Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Depuis que ma mère est morte, je ne tue plus les mouches. Sans doute poursuit-elle sa vie dans l'un d'elles ou dans toutes, comme elle est dans les nuages qui passent sur la ville, le pollen des platanes qui fait les tuiles vertes au printemps, et les quartiers d'ombre et de vent où je marche seul, frôlé par des enfants qui s'en vont et reviennent des écoles sous les feuilles qui tombent.
Continuons la redécouverte des œuvres de René Frégni dont je ne me lasse pas. Ce récit est encore une fois largement autobiographique.
Dans celui-ci, l'auteur dépeint la solitude et la douleur vécues lors de son divorce quand il a compris que sa femme ne l'aimait plus et que désormais, seule sa petite Marilou et l'écriture, le reliaient à la vie. Cela le projette des années en arrière et lui rappelle ce qu'il a ressenti à la mort de sa mère.
Il nous raconte les mois qui ont précédé la douloureuse disparition de celle tant aimée qui lui avait donné la vie. L'auteur ne nous épargne rien des visites à la clinique et des couloirs dont on finit par connaître par cœur, et dans tous les détails, les multiples tableaux, ni des traitements lourds et handicapants qui semblent faire à sa mère plus de mal que de bien. Il décrit avec des mots pudiques mais très réalistes, sa révolte face à l'inéluctable. Il nous dépeint ses errances, ses faiblesses et ses doutes alors que sa petite Marilou venait à peine de naître et lui offrait alors le bonheur d'être père.
Il relie les deux événements et compare avec beaucoup de finesse les deux situations de perte, tout en nous montrant avec justesse comment l'amour de sa petite Marilou l'a aidé à accepter la maladie de sa mère, en lui faisant vivre des moments très forts.
Ce faisant, il nous parle aussi de toutes les femmes, celles qu'ils croisent dans la rue les jours d'été quand les robes se font légères, celles qu'il a aimées ou qu'il rêve d'aimer un jour.
Mais la plus belle de toutes parmi les femmes restera sa mère. Pour le petit garçon qui sommeille en lui, elle le sera pour toujours. Et il nous le dit avec des mots très doux rendant son récit totalement bouleversant.
L'été m'envahit d'amour et je marche jusqu'au soir dans les rues de la ville en prenant soin de pleurer dans les quartiers perdus où je ne croise que des chats et des vieux sur un banc qui regardent leur maison s'écrouler et le soleil qui meurt.
Si l'amour cessait d'exister du jour au lendemain, notre planète s'éteindrait. L'amour, toutes les folies de l'amour, rien que l'amour, le reste n'est qu'inutile poussière de vanité.
Beaucoup d'écrivains ont parlé de leur mère, mais René Frégni le fait avec ses mots à lui, des mots sensibles, pudiques, pleins de tendresse pour celle qui est, d'après lui, la seule personne qui l'a aimé tel qu'il était. Il le lui rend bien cet amour infini, dans ce bel hommage. Il a trouvé les mots justes pour nous parler de cet amour particulier qui unit une mère à son enfant, même devenu grand.
Bien entendu, comme dans tous les romans de l'auteur, il fait référence à sa vie personnelle, là il nous parle de sa séparation douloureuse avec sa femme et de la solitude qui fait si mal, mais aussi de l'amour qu'il porte à Marilou, sa fille.
Il évoque aussi les partages qu'il a pu avoir avec certains détenus. L'histoire de Jacky par exemple, nous donne à lire une scène déchirante lorsque la femme de ce détenu, ne pouvant plus en supporter davantage, est venue une dernière fois au parloir avec sa fille lui dire adieu.
René Frégni n'a pas son pareil pour nous faire entrer dans sa vie intime sans pathos, en toute simplicité, et nous en ressortons bouleversés car il touche à ce que nous avons de plus profond en nous, parfois bien enfoui. Quand l'amour n'est pas là, il lui reste les mots...et quels mots !
C'est un très beau livre. Comme dans tous ses romans ou récits, la vie est là, la nature nous invite à nous émerveiller de chaque petite chose qu'elle nous offre, et notre enfance finalement n'est pas si loin même si nous avançons en âge. Il suffit de lui tendre la main.
C'est un livre intense car très court (140 p.) et encore une fois, c'est une belle découverte car je ne l'avais jamais lu.
Prix Paul Léautaud 1998.
Je me devais de vous le présenter au lendemain de la Fête des mères...et cette semaine d'ailleurs, je vous présenterai deux autres romans sur le thème des relations mère-enfant.
Écrire c'est aimer sans la peur épuisante d'être abandonné. Seules les mères et l'écriture ne nous abandonnent jamais. Chaque cahier qui s'ouvre est un berceau calme et blanc. Chaque cahier fait de nous un enfant.
Tous les mots ne sont pas dans les dictionnaires. Les vrais mots sont dans le regard d'une maman, dans son sourire...
Je vais tourner une nouvelle page, poser ma tête sur mon cahier de draps blancs. Les mots viendront bientôt construire des châteaux de rêves.
Là-bas, sur les ailes déployées de l'horizon, sur les grandes ailes blanches de sa tendresse, elle devient l'été, la pluie, le temps. Et chaque jour un peu plus je sens que je me rapproche d'elle, et je deviens ce qu'elle est devenue : la lumière et le vent.