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Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...

La carte postale / Anne Berest

Grasset, 2021 / Le livre de poche, 2022

Grasset, 2021 / Le livre de poche, 2022

Dans quelques décennies, les enfants de ma fille retrouveront à leur tour des photographies. Et nous aussi, nous aurons l'air d'appartenir à un monde très ancien...

Toute leur vie, Nachman et Esther se sont fait du souci pour leur fils Emmanuel, parce que c'était un enfant désinvolte, qui ne voulait pas travailler à l'école ni rien faire comme tout le monde. Et c'est sa désinvolture qui le sauvera...

En janvier 2003, au milieu des cartes de vœux, Lélia, la mère de l'auteur reçoit une carte postale anonyme, étrange et dérangeante. 

Au recto, l'Opéra Garnier. Au verso l'adresse, et une liste de prénoms écrits les uns en dessous des autres : Ephraïm, Emma, Noémie, Jacques. Ce sont ses grands parents maternels, sa tante et son oncle, tous morts en déportation à Auschwitz en 1942, durant la Seconde Guerre Mondiale.  

Anne, alors enceinte de sa fille incite sa mère à lui raconter ce qu'elle sait de sa famille maternelle. 

Dans une première partie, c'est donc la vie de la famille Rabinovitch qui nous est contée, souvent imaginée ou développée à partir de photos, de documents anciens ou d'archives retrouvés. L'histoire est racontée à Anne par Lélia. Elle s'interrompt  de temps en temps pour faire de brèves remarques, le temps de souffler un peu, de remettre à un autre jour la suite du récit. 

L'histoire de la famille démarre en Russie au début du XXe siècle, à la fin de la Première Guerre mondiale, lorsque Ephraïm met du temps à comprendre que les peurs de son père sont réelles et que l'antisémitisme qui commence à se développer dans leur pays, va gagner toute l'Europe. Ses parents Nachman et Esther partent en Palestine. Ils conseillent à leur trois fils, Ephraïm, Boris et Emmanuel de partir aux Etats-Unis ou de venir les rejoindre.

Quand Ephraïm se décide à les rejoindre avec sa petite famille,  Emma sa femme, et Myriam et Noémie ses filles, il découvre que son père est à la tête d'une petite orangeraie qui suffit à peine à leur subsistance. Là-bas, les petites filles sont heureuses, elles connaissent une certaine liberté. Mais Ephraïm doit ravaler ses projets d'avenir. Lui qui est un ingénieur doué, un créateur et un inventeur de génie comprend que cette vie de labeur n'est pas faite pour lui. Il décide de rejoindre son frère Emmanuel à Paris, espérant pouvoir là-bas faire connaître ses projets. Les années passent, Jacques leur fils vient au monde alors que le dossier de naturalisation n'avance pas. La famille part s'installer dans un petit village de l'Eure, les Forges, où ils viennent d'acquérir une petite maison et comptent tout faire pour passer inaperçus et faire oublier à leur entourage qu'ils sont juifs, mais pas pratiquants pourtant, mais la guerre vient d'éclater...

Dans une seconde partie,  à cause d'une petite phrase anodine prononcée  par Clara sa fille en sortant de l'école "Parce qu'on aime pas trop les juifs à l'école" Anne, l'auteur, sombre dans le désarroi. Elle décide de mener  une enquête sur ses origines pour comprendre. Lélia, sa mère accepte de l'aider.

Toutes deux vont tenter de savoir qui a écrit cette fameuse carte postale...

Les personnages sont des ombres, conclut Lélia en ouvrant la fenêtre sur le soir tombant, pour allumer la dernière cigarette de son paquet. Personne ne pourra plus dire comment ils furent exactement de leur vivant. Myriam a gardé la plupart de leurs secrets...

Myriam était un être qui avait besoin de mettre de la distance entre elle et les autres. Elle n'avais pas envie qu'on s'approche de trop près. Je me souviens que parfois elle nous regardait avec un trouble dans le regard. Je suis sûre aujourd'hui de ne pas me tromper si j'affirme que c'étaient nos visages qui en étaient la cause. Soudain, une ressemblance avec ceux d'avant, une façon de rire, de répondre, cela devait la faire souffrir.

J'ai beaucoup lu sur la Seconde Guerre Mondiale, la déportation et la Résistance et je ne m'en lasse pas car je trouve important de lire tous ces livres qui ont été écrits pour qu'on n'oublie jamais les événements atroces qui ont eu lieu, les mesures antisémites et l'implication de l'Etat français dans la déportation de milliers de juifs étrangers et autres personnes vers les camps de la mort. 

Le livre d'Anne Berest est en cela un magnifique travail de mémoire, émouvant, captivant, bouleversant et incroyablement vivant du début à la fin. Lu durant l'hiver, j'ai dévoré ses 500 pages en trois soirées et il m'a poursuivi longtemps. Il faut dire aussi que c'est l'histoire de sa propre famille qu'elle nous raconte mais je retiendrai que c'est avec une certaine distance propre à la nouvelle génération, avec un ton juste et la mission toute simple de transmettre aux générations futures ce qui ne doit pas être oublié, sans pathos, tout comme les noms de ceux qui n'ont pas survécu, et qui ont mis des années à être déclarés morts en déportation. 

J'ai aimé la manière dont elle redonne vie à ses ancêtres, comment elle comble le silence assourdissant laissé par Myriam sa grand-mère. Elle nous montre comment, seule survivante de sa famille et culpabilisée de l'être, celle-ci a enfoui au fond d'elle-même toute sa souffrance au point de ne jamais vouloir parler de ses années de jeunesse. 

Malgré le récit familial tellement émouvant, le lecteur n'échappera pas pour autant à la description des horreurs perpétrés dans les camps de transit, lors de la déportation dans les trains, à l'arrivée dans les camps de la mort... ni au retour de ceux qui ont survécu et sont attendus par leur famille à l'hôtel Lutetia. 

Mais au delà du récit familial et initiatique, de l'enquête et du rappel historique des faits, même connus pour la grande majorité, la véritable question que soulève son récit c'est le devenir des juifs aujourd'hui dans un monde qui devient à nouveau de plus en plus intolérant. 

Et je rajouterai en plus, moi qui vis en Provence et qui habite pas très loin du Plateau des Claparèdes (entre Apt et Sivergues), de Buoux et de la vallée de l'Aiguebrun dans le Vaucluse, dont il est question dans le récit, que bien entendu les pages relatant la vie de Myriam dans sa cabane, m'ont particulièrement émue, quand on connait les lieux ou presque (car je ne sais pas où est la cabane), cela est un plus bien entendu.

J'ai juste été surprise qu'à deux endroits dans ces pages (édition empruntée à la médiathèque), l'auteur évoque les Alpilles, or de cet endroit, les seules montagnes que l'on aperçoit sont, le Ventoux au loin et bien entendu le Grand Luberon puisqu'on est à ses pieds et le petit Luberon juste à côté. Bizarre tout de même...les Alpilles sont complètement à l'opposé du département. Il faudra que j'y retourne pour vérifier ! 

Ce livre a reçu le Prix Renaudot des lycéens en 2021 et Grand Prix des Lectrices de ELLE en 2022, des prix largement mérités. 

Je vous invite à aller lire les chroniques de Brigitte ICI, d'Eve ICI, d'Hélène ICI et celle plus mitigée d'Alex ICI.

Du même auteur sur mon blog : "La fille de son père" présenté ICI.

Ce livre est à la fois une enquête, le roman de mes ancêtres, et une quête initiatique sur la signification du mot « Juif » dans une vie laïque.

Je vois le visage de Jacques, sa tête brune d'enfant, posée contre le sol de la chambre à gaz.
Je pose mes mains sur mes yeux grands ouverts pour les fermer dans cette page.

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T
Je reviendrai te lire quand je l'aurai terminé, c'est ma lecture en cours.
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M
Un grand MERCI à tous pour vos messages ou votre visite silencieuse. Merci de votre intérêt et de votre fidélité...
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C
un livre que je devine passionnant, poignant merci de ta comme toujours très bonne présentation, c'est vraiment un plaisir de découvrir des livres chez toi<br /> belle journée<br /> bisous<br /> patricia
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A
J'ai eu la chance de part il deux fois au jury Messin des lectrices de elle. C'était il y a plus de 49 ans. Un bon souvenir. Nous avions choisi un livre d'André Brink.<br /> Certainement un très bon livre. Merci. Bises
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A
Participer au lieu de part il ..
P
Je vais bientôt le lire; je viens de l'acheter. Je ne lis donc pas ton article. J'ai juste vu ton interrogation pour le lieu géographique, mais moi, je ne le remarquerai pas.
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M
Il faut absolument que je découvre ce roman, ça fait un moment que je l'ai noté !
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V
il a l'air prenant ce livre, et certainement triste. gros bisous Manou. cathy
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B
Parfois les auteurs s'accordent un peu de liberté avec la géographie locale.
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C
bonjour<br /> je vois que tu as lu avec soin les moindres détails, je pense aux Alpilles. Parfois les auteurs ne connaissent pas les lieux, se réfèrent à des renseignements assez vagues sans doute<br /> bel aprem avec ce mistral !!!
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R
What an emotional read this must be! HUGS
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B
Un livre émouvant que je dois lire absolument !<br /> Merci pour ta superbe présentation<br /> Bisous Manou
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F
Bonjour, ça me tente bien, à voir quand j'irai à la fnac, je te souhaite une bonne journée, bisous
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P
Ce livre est une merveilleuse leçon d'histoire. Un livre qu'il me plairait de lire mais l'émotion doit être forte.<br /> C'est bien de présenter ces romans. Merci encore Manou. Bises
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F
Un roman que je viens de rendre à la bibliothèque de ma ville ce matin. Un livre que j'ai beaucoup aimé, redonner vie à ses ancêtres, raconter leur histoire. Une véritable émotion.
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G
Je ne lis que des avis élogieux sur ce roman, et pourtant, je n'arrive pas à me décider à le lire. Le sujet peut-être trop dur, d'autant que j'ai pas mal lu dessus l'an dernier.
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D
Merci de nous présenter ce livre qui est un témoignage et une quête du passé. Indispensable à lire, d'autant plus à notre époque où l'intolérance revient hélas en force...
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M
C'est une priode qui m'intéresse, mes parents ont subi cette guerre et n'en parlaient jamais...Apres le deces de maman en vidant la maison , j'ai decouvert leus échanges épistolaires pendanr cette guerre, des photos aussi de papa en soldat et de defilés , Petain etait au pouvoir... de la difficulté de se nourrir pour maman et sa mere. De la descente dans le sud pour fuir Amiens bombardé...<br /> Alors ce livre m'interpelle... merci pour le partage Manou. Bisous
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M
Je ne connaissais pas ! Des sujets intéressants en tout cas, abordé dans ce roman.
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E
Bonjour Manou. Très belle chronique de ce magnifique roman ! Merci pour le lien vers ma critique. Bonne journée et bisous
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C
Merci pour ton partage, tu me fais découvrir beaucoup de livres que je ne connais pas.<br /> Belle journée<br /> Bisous, Lili🌺
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