Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Irène me demande quel âge elle fête aujourd'hui. Trente-sept ? Trente-huit ? Elle a oublié...
C'est à ce moment précis que je comprends.
Trente-huit ans. A partir d'aujourd'hui, Irène va devenir, chaque jour, un peu plus vieille que notre mère.
Parfois, j'ai l'impression que nous avons tous un âge. Un âge de personne. Pas celui inscrit sur notre carte d'identité, non, pas notre âge de naissance qui augmente chaque année à notre anniversaire. Notre âge de personne est celui que nous gardons toute notre vie. Qui ne change pas.
Elles sont trois filles, trois sœurs, toutes les trois rousses et belles, mais un peu perdues ce jour-là...
La vie les a peu à peu séparées avant qu'elles ne se retrouvent toutes les trois à l'arrière de la voiture, comme lorsqu'elles étaient petites, pour retourner dans la maison de leur enfance, afin de fêter l'anniversaire d'Irène, l'aînée, fleuriste dans la vie et mère de famille, qui a 38 ans aujourd'hui.
Il y a aussi Charlie la petite dernière, un peu garçon manqué, et la narratrice qui aime sa tranquillité, un peu paumée parce qu'elle ne sait toujours pas si elle aime ou pas le garçon avec qui elle vient de passer la nuit.
Elles ne sont plus aussi proches l'une de l'autre qu'avant, mais d'un autre côté, ne peuvent vivre séparément bien longtemps non plus.
Ce qui les unit envers et contre tout c'est la mort de leur mère alors qu'elles étaient petites. Albert, le père vit à présent avec Catherine, qui n'a pas vraiment été acceptée depuis toutes ces années, c'est le moins qu'on puisse dire. Elle n'en peut plus de lutter contre Martine, cette mère devenue parfaite depuis qu'elle est morte.
Alors autour de la table de fête, l'ambiance se délite et il ne faudra pas grand chose pour qu'elle devienne explosive. Catherine laisse échapper sa rancœur et lâche alors une phrase assassine. La mère aurait eu un amant, une des filles ne serait pas d'Albert !
Ce secret de famille bien caché qui est malencontreusement révélé par Catherine, fait l'effet d'une bombe à retardement. Les filles mettent un temps assez long avant d'en reparler et de se rendre compte que leur vie quotidienne a perdu de son intérêt. Leur relation avec leur père change peu à peu. De héros, il devient suspect...l'agressivité monte d'un cran.
C'est Irène l'aînée qui se met dans la tête que l'amant de sa mère ne peut être que son ami d'enfance, lequel est devenu avocat. Il serait donc son père ? Elle cherche aussitôt à le contacter.
Mais bien évidemment, vous vous en doutez, les choses ne sont pas aussi simples qu'il y parait...
Elle dit qu'elle en a marre de nous. De notre égoïsme. Que nous sommes des mal élevées. Des hyènes. Marre de notre père, qui est un lâche.
Elle n'en peut plus, d'entendre parler de nous, toujours nous. Nous, nous. Les filles. Et puis Martine. Toujours Martine. Qui n'était pas une sainte, parce que, faire un enfant avec un autre et ne rien dire à personne, c'est quand même pas des comportements de Vierge Marie.
Rome. Papa avait promis d'y emmener notre mère, dès qu'elle serait guérie, mais on ne disait jamais ce mot, comme si, au fond, elle n'avait pas été vraiment malade.
...Nos parents nous ont parlé des vacances en Italie qu'ils prendraient bientôt, et papa nous a montré un guide touristique qu'il avait acheté, avec une photographie du Vatican sur la couverture et ce mot sonnait étrangement à mes oreilles, je m'étais demandé qu'il s'agissait d'un camp de vacances : le "Vati camp".
Voici un court roman qui se lit d'une traite. J'ai entendu parler pour la première fois de l'auteur, en automne dernier, lors de la sortie de son roman "La carte postale" que je voulais lire. Mais la liste d'attente à la médiathèque était très longue, et voulant absolument découvrir sa plume, j'ai donc emprunté celui-ci qui est son premier roman.
Je ne suis pas déçue et même si le sujet de ce roman est déjà vu, j'ai trouvé que l'auteur le traitait avec une certaine légèreté, de l'humour, voire même un peu de cynisme, mais aussi beaucoup de douceur.
Le problème de la paternité (et de la maternité), les drames familiaux, les deuils sont traités avec justesse et pudeur.
Le roman est divisé en cinq parties. Quatre décrivent une fête de famille et les événements qui vont bouleverser la vie quotidienne des différents protagonistes, et le dernier est une sorte d'épilogue dans lequel le secret que nous avions peu à peu découvert, est révélé au grand jour.
La narratrice est la "fille du milieu", celle qui ne s'assoit jamais du côté des vitres dans la voiture, celle qui ne fait pas de vague, qui est pour la paix familiale et cherche toujours à arrondir les angles. On ne saura jamais son nom ainsi coincée entre Irène l'aînée et Charlie, la petite dernière.
Toutes trois ont des caractères très différents et cherchent désespérément à vivre, à exister dans leur féminité, sans avoir eu un vrai modèle de femme et, à trouver une place dans le monde en dehors de l'image de leur père.
J'ai aimé la complicité qui les réunit, qui leur permet de se comprendre à demi-mots, de s'excuser par avance du mal qu'elles pourraient éventuellement se faire. Ce sont trois écorchées vives, trois jeunes femmes exsangues, tant elles ont enfoui au plus profond d'elles-mêmes leurs souffrances et leurs souvenirs.
Le récit est réaliste et décrit avec beaucoup de pudeur et de tendresse les angoisses du jeune enfant devant l'absence inexpliquée et incompréhensible de leur mère, leur ressenti et ce dont elles se souviennent ou pas des journées qui ont suivi sa disparition, les jeux avec le père aimant, tout ce qui, à la fois, a cimenté leurs relations, mais les a parfois séparées.
C'est un très beau roman qui m'a beaucoup touchée et j'ai adoré découvrir la plume de l'auteur.
Je me souviens que, lorsque nous étions enfants, il était très facile pour toi d'être père. Tu étais proche de nous, tu aimais jouer, nous lire des histoires le soir et nous regarder grandir. Tout était simple alors dans nos relations. Je me demande souvent pourquoi cela a été si difficile pour toi de nous voir devenir femmes. De petits animaux tendres, nous devenions soudain une autre espèce. Celle d'un camp adverse.
Il faudrait pouvoir, à l'aide d'un filtre magique ou d'une visionneuse interne, remonter le temps et se revoir, avant. Se souvenir de ce que nous pensions alors, de nos impressions, mais avec la prescience des événements à venir, afin de ne pas oublier certains détails, que nous regretterons plus tard, d'avoir négligés au profit de futilités qui occupaient nos esprits et nous semblaient, alors de la plus haute importance_et que nous avons, depuis, évidemment oubliées.