Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Le 18 août 2021, j’ai passé la nuit au Musée Anne Frank, dans l’Annexe. Anne Frank, que tout le monde connaît tellement qu’il n’en sait pas grand-chose. Comment l’appeler, son célèbre journal, que tous les écoliers ont lu et dont aucun adulte ne se souvient vraiment.
Est-ce un témoignage, un testament, une œuvre ?
Celle d’une jeune fille, qui n’aura pour tout voyage qu’un escalier à monter et à descendre, moins d’une quarantaine de mètres carrés à arpenter, sept cent soixante jours durant. La nuit, je l’imaginais semblable à un recueillement, à un silence. J’imaginais la nuit propice à accueillir l’absence d’Anne Frank. Mais je me suis trompée. La nuit s’est habitée, éclairée de reflets ; au cœur de l’Annexe, une urgence se tenait tapie encore, à retrouver.
Plutôt que savoir, il faudrait dire que je connais cette histoire qui est aussi celle de ma famille. Savoir impliquerait qu’on me l’ait racontée, transmise. Mais une histoire à laquelle il manque des paragraphes entiers ne peut être racontée. Et l’histoire que je connais est un récit troué de silences, dont la troisième génération après la Shoah, la mienne, a hérité.
On ne pourra pas dire qu'on ne savait pas ; on pourra dire qu'on ne savait pas que faire de ce qu'on savait. On pourra dire l'impuissance qui nous saisit, qui nous écrase, plus on sait et moins on peut. Ce dont on est témoin est semblable à une question qui nous serait adressée. Nous pouvons choisir de l'ignorer.
Tout a été dit ou presque sur ce récit que je voulais lire depuis sa sortie et que je suis enfin arrivée à emprunter à la médiathèque le mois dernier après une longue attente.
Parce qu'elle désire contribuer à la collection "Ma nuit au musée", Lola Lafon demande l'autorisation de passer une nuit dans le Musée Anne Frank d'Amsterdam. Là, en août 2021, elle s'installe pour la nuit dans la cache vide où la famille Frank a vécu pendant la Seconde Guerre mondiale.
Avant de débuter cette expérience nocturne dans le musée, l'auteur se documente, rencontre des survivants, parfois des personnes qui ont simplement connu un membre de la famille Frank. De ces rencontres, elle va se servir pour élaborer son récit dans lequel elle cite de nombreux extraits de ces entretiens. Elle se réfère également à de nombreux auteurs. J'ai choisi de ne pas vous les dévoiler, ni de citer leurs noms, car déjà que le livre est très court, je préfère vous les laisser découvrir.
Bien que ce livre soit tenu de correspondre à l'attente de l'éditeur, il reste d'une grande sincérité car vous vous en doutez, le choix de ce musée n'est en rien du au hasard. La solitude, l'ambiance particulière de ce séjour nocturne dans l'annexe, provoquent chez l'auteur la remontée souvent douloureuse de souvenirs liés à sa propre vie, à son enfance et à sa famille...
Quand l'arbre généalogique a été arraché, la naissance d'un enfant revêt une importance particulière : le nouveau-né devient une preuve de survie. Il ne pourra se contenter d'exister. Il héritera d'un devoir : celui de vivre plus fort, pour et à la place des disparus.
J'ai trouvé la lecture de ce récit très émouvante.
Le lecteur qui a lu le célèbre "Journal d'Anne Frank" sans forcément avoir pu visiter le musée (comme c'est mon cas), redécouvre l'histoire à travers le regard de l'auteur qui nous livre son ressenti dans un récit très intimiste. Elle nous oblige à nous poser de nombreuses questions sur cette sombre période de l'Histoire de la Seconde Guerre mondiale. Elle, dont la famille a été marquée par les camps et la Shoah, dont l'enfance a été bouleversée par la dictature de Ceausescu, trouve les mots justes pour nous parler de la déportation et des camps.
J'ai appris des éléments de l'histoire de la famille Frank que je ne connaissais pas. Par exemple, je ne savais pas qu'Anne Frank, qui voulait devenir écrivain, avait remanié le texte de son journal et que son père, à son retour des camps, quand il en a accepté la publication, avait eu à choisir entre les deux versions. Je ne savais pas non plus que les feuillets éparpillés avaient été "sauvés" grâce à une amie de la famille qui savait à quel point ce journal comptait pour Anne, et espérait le lui rendre à son retour. Je savais par contre que la première édition que j'avais lu quand j'étais adolescente, avait été édulcorée. Je l'ai appris des années après. Je savais aussi que la pièce de théâtre controversée, ne relatait rien de la vérité vécue dans l'annexe par la famille Frank.
J'ai trouvé particulièrement bouleversante l'attitude de l'auteur qui n'ose plus, une fois sur place, franchir le seuil de la chambre d'Anne, et passe la nuit à contourner le problème, à arpenter à petits pas discrets le musée, alors qu'elle est venue pour visiter l'annexe et voir en détails la chambre de la jeune fille. Elle sait si bien transcrire son ressenti, ses doutes, son impression de violer un territoire intime, que nous ne sortons pas indemne de cette lecture.
Le contexte particulier, l'absence, l'annexe vidée de ses occupants en disent davantage que tous les écrits du monde. Tout semble figé dans un monde de silence, celui dans lequel les nazis l'ont laissé. Le papier peint, les quelques traces de vie aux murs_ comme ces graduations faites par le père pour contrôler la croissance de ses filles_, les quelques portraits, collés par la jeune fille pour décorer les murs et se créer un espace personnalisé, comme dans toutes les chambres d'ados, deviennent les témoins d'une vie...qui n'est plus.
C'est là que pendant plus de deux ans la famille Frank a vécu, enfermée au-dessus de l'atelier d'Otto. Quatre autres personnes se sont jointes à eux dans l'annexe au fil du temps rendant les conditions de vie encore plus difficile. C'est dans ces conditions extrêmes que la jeune fille rédigera son journal, vivra intensément son adolescence jusqu'à ce jour terrible du 4 août 1944 où la Gestapo débarque. De toute la famille qui sera déportée, seul Otto, son père, reviendra.
Je n'ai qu'une envie à présent, c'est découvrir l'intégrale d'Anne Frank que je m'étais promis de lire un jour, ce que je n'ai pas fait jusqu'à présent, car bien entendu, vous vous en doutez j'ai lu son journal plusieurs fois et je l'ai fait lire à de très nombreux adolescents au cours de ma carrière professionnelle.
Ce récit a fait l'objet de nombreux avis sur la blogosphère, vous pouvez cliquer sur les liens pour en prendre connaissance.
Dominique sur son blog "A sauts et à gambades" ICI,
Keisha sur son blog "En lisant en voyageant" ICI,
et enfin d'Alex sur son blog "Mot-à-Mots" ICI.
Désolée si je vous ai oublié, vous pouvez ajouter votre lien dans vos commentaires !
Et bien entendu, encore une fois pour compléter ma présentation, je vous propose cette analyse très intéressante du récit de Lola Lafon, ICI sur internet, sur le site "En attendant Nadeau, Journal de la littérature, des idées et des arts".
Nous sommes les enfants des romans que nous avons aimés, ils se déposent au creux de nos peines, de nos manques, ils contiennent tout ce qui se dérobe à nous, qui passe sans qu'on ait pu le comprendre, nous sommes faits d'histoires qui ne nous appartiennent pas, elles nous irriguent et nous hantent...
Comment marcher sur des traces sans les effacer...