Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Marcher c'est écouter, suivre une trace, sentir les douceurs de la terre ou l'arête des pierres, boucler une boucle, aller en ligne droite ou faire un détour, chercher le chemin, trouver le chemin, revenir en arrière, repartir en avant, s'élever vers un sommet, descendre vers une combe, contempler, s'exclamer, s'interroger...
Je n’imaginais pas qu’on puisse marcher gratuitement, pour le plaisir, pour la beauté du monde, tranquillement...
L'auteur, Marie Gillet nous invite au fil de ses pas à l'accompagner sur les petits chemins qui parcourent la garrigue, quelque part près de la mer méditerranée, entre Maures et Garlaban. Originaire de l'Île de France, elle a fait de la Provence varoise, sa région d'adoption.
Lorsqu'elle marche sur les chemins au gré de ses envies, elle emporte toujours dans son sac à dos un livre et des petits carnets dans lesquels elle note des mots, ceux qui lui viennent à l'esprit en observant les fleurs, les paysages, les pierres ou les arbres qui lui rappellent sa région de naissance... surtout ces chênes qu'on appelle chez nous des yeuses qui restent verts toute l'année.
Une fois rentrée chez elle, ces mots vont lui permettre d'écrire de jolis textes évocateurs et très poétiques, des textes d'où émergent son ressenti devant tant de beauté, de sérénité, de lumière mais aussi ses souvenirs d'enfant solitaire quand, alors que personne ne se souciait d'elle, elle partait explorer la forêt toute proche de sa maison. Le lecteur découvre son enfance meurtrie d'enfant abandonnée, livrée à elle-même, vivant dans le silence et la négation de son ressenti, et envahie de questions qui resteront pour la plupart sans réponse.
La lumière est venue suite à un déménagement très rapide, quand celui qu'elle surnomme le "Chef" (son père ?), est venu s'installer avec elle en Provence, puis l'a laissée aux bons soins de Mètou. Alors, elle a pu trouver auprès d'elle et des personnes de son entourage, l'amour, l'écoute et la tendresse dont elle avait grand besoin pour grandir, pour s'épanouir, pour aimer à son tour et retrouver confiance dans les êtres humains et dans la vie.
Ces belles personnes, qui ont comptées pour elle, elle les met à l'honneur avec beaucoup de pudeur dans ce récit de vie. Elle nous montre comment ils l'ont accueillie et aimée, comment ils lui ont transmis l'amour de la nature, la confiance en soi, la chaleur des relations humaines...et à présent qu'ils ont presque tous disparus, elle nous raconte tout ce qu'elle leur doit, en quoi elle leur est redevable de ce qu'elle est devenue aujourd'hui, grâce à eux.
Après avoir connu de nombreux combats, des chutes et des deuils, des moments de doute et des drames, s'être fait aussi beaucoup de mal à elle-même, elle a enfin trouvé l'apaisement et la sagesse au cœur de cette nature qu'elle aime tant. Elle considère à présent la vie comme un cadeau. Elle ne cueille plus de fleurs, ne fait plus de photos, elle profite tout simplement du spectacle et de l'ambiance qui l'entoure à chacune de ses balades.
Reste en elle cette blessure qu'elle a du mal à refermer, sans doute la cause de ses multiples séjours à l'hôpital, de ses maladies, de ses questions qu'elle n'a jamais pu poser au Chef, cet homme taciturne et taiseux, meurtri lui aussi, qui ne savait que faire d'elle, si petite, et pourtant l'aimait à sa façon et n'avait pas que des défauts. Les passages où elle raconte comment il l'emmenait en balade dans la forêt et jouait avec elle chaque printemps à rechercher les violettes, tout en lui demandant de ne rien dévoiler des lieux où elles savaient si bien se cacher parmi les feuilles, le silence entre eux scellant à jamais ce secret, font partie des pages les plus émouvantes de ce récit.
Sa toute petite enfance a été marquée à jamais par ce silence, cette solitude, ce sentiment d'abandon...elle aurait tant aimé lui demander où était partie sa maman, mais elle n'a jamais pu le faire...
Dans ce récit qui se lit comme un roman, l'auteur a réuni dix textes écrits chacun à partir d'une liste de mots qu'elle nous propose en introduction. Toutes les listes ont été établies durant un mois de février lors de ses balades hivernales quand la lumière de l'hiver offre beaucoup de douceur au promeneur.
Le thème principal du récit est la nature sauvage, une nature que l'auteur aime passionnément tout comme le vent, celui qu'on nomme chez nous le Mistral et avec lequel il nous faut toujours composer puisqu'il nous apporte le soleil et le ciel bleu toute l'année. Au départ, elle a marché dans la nature pour elle-même, à présent elle la regarde autrement, disponible, prête à recevoir ce qu'elle a à lui offrir. La nature a besoin de silence, elle suit le cycle des saisons et nous invite à accepter celui de la vie. La nature sauve les hommes parce qu'elle peut combler tous les manques, apaiser leur âme.
Le ton est juste, pudique, les mots à leur juste place eux-aussi, et la poésie est présente à chaque ligne, dans chacune des pages de ce récit.
Par exemple, les pages dans lesquelles l'auteur nous décrit les différents tons de bleus qu'elle voit autour d'elle, sont tout simplement magnifiques. Je suis admirative qu'elle ait pu aussi bien décrire tous les tons de bleus que nous voyons en Provence au fil des saisons. Je les ai vu comme peints sur des tableaux.
Le titre, enfin, fait référence à l'Odyssée et me donne envie de replonger un jour prochain dans ce chef d'œuvre d'Homère, vous découvrirez à quel passage il fait référence en lisant ce livre. L'auteur s'est souvenue de ce passage marquant, alors qu'elle se trouvait devant un champ d'asphodèles, des fleurs qui reprenaient vie après un incendie destructeur...je ne vous en dirai pas plus.
J'ai tout aimé de cette lecture poétique et touchante, emplie de sérénité et de sagesse. Les révélations toujours par petites touches de son enfance solitaire et meurtrie, des deuils, des maladies, sont très émouvantes. J'ai retrouvé les senteurs de ma Provence, les couleurs, la lumière, le silence et l'ambiance particulière de mes balades dans la garrigue. J'ai aimé aussi le côté contemplatif de certains passages, tout comme les citations d'auteurs, les extraits de poèmes ou de tableaux de peintre, les listes de mots qui étayent le récit et bien entendu les belles personnes qui traversent ce récit.
C'est un livre lumineux à s'offrir pour se faire du bien...et à relire au gré de nos envies.
Je vous invite à aller visiter le blog de Marie Gillet (lien ICI) pour ceux qui ne la connaissent pas encore et à découvrir les mille petits riens qui font son bonheur du jour... et le nôtre.
Découvrez d'autres extraits chez Andrée, ICI et l'avis de Marie-Claude ICI.
Tout en marchant, je revoyais ces moments qui m'avaient appris qu'on a besoin de peu de choses pour être heureux. Goûter d'un morceau de pain et de gros carrés de chocolat noir. Avec Mètou je n'ai jamais eu faim. Apprendre à nager à l'Estagnol. Avec Mètou je n'ai jamais eu peur. Construire un gué sur le ruisseau. Avec Mètou, je ne me suis jamais ennuyée. Peu avant le pré, je me suis arrêtée de marcher car l'émotion a étreint mon coeur. Elle n'est plus là, Mètou. J'ai entendu pourtant sa voix, tout à coup. "Tu es où, ma Nine ? "
J'ai pris tout mon temps pour savourer ce livre plein de sagesse. Vous trouverez sur mon blog d'autres écrits de Marie Gillet que je vous invite à découvrir aussi. C'est une belle personne, un auteur à suivre, sans hésitation.
- Nous, présenté ICI.
- Journal d'une seconde vie, présenté ICI.
Bonnes lectures !
C'est pareil dans la vie : rien n'est jamais acquis. On peut se dire que le vent s'est calmé et puis tout à coup, il se remet à souffler. On peut se dire qu'on est guéri et qu'on pourra marcher jusqu'au bout de la vie, et puis on tombe encore une fois.
Hier, c'était différent. Demain, le sera également. Rien ne compte que ce qui est, juste au moment où on le vit.