Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Août c'est le meilleur mois dans notre coin. La saison des mirabelles. La lumière vers les cinq heures de l'après-midi est la plus belle qu'on peut voir de toute l'année. Dorée, puissante, sucrée et pourtant pleine de fraicheur. Déjà pénétrée de l'automne, traversée de zestes de vert et de bleu. Cette lumière, c'est nous. Elle est belle, mais ne s'attarde pas, elle annonce déjà la suite.
La semaine, Fus et moi, on était en apnée, on se parlait sans se parler. On posait les pieds là où on pouvait encore les poser. En respectant les quelques points qu'il fallait pour que la chose reste vivable.
Depuis que leur mère ("moman") est morte, le père élève seul ses deux fils, Fus l'aîné (Frederic qui doit son surnom a sa passion pour le foot), et Gillou le plus jeune. Bien entendu, il a fallu faire face après trois années de traitements, de séjours à l'hôpital et les mois qui ont suivi l'enterrement ont été particulièrement terribles. Leur joie de vivre s'en est allée avec elle.
Le père s'occupe des caténaires et doit très vite redescendre sur terre. Il fait ce qu'il peut pour gérer le quotidien avec ses fils, est le plus souvent possible présent auprès d'eux et les élève dans les valeurs qui sont les siennes et que lui ont transmises ses propres parents. Tous les trois sont unis et partagent de bons moments même si la mère leur manque terriblement.
Le père s'est remis à fréquenter la section locale du Parti Socialiste, dont en tant que cheminot il est le pilier, et retrouve du plaisir à discuter avec ses amis même si leurs rencontres sont loin de ressembler à des rencontres politiques, ils y croient encore. Tous déplorent cependant le manque de jeunesse parmi eux, et le fait que certains dans le groupe se mettent à tenir des propos racistes.
Et puis les années passent...
Fus grandit, il fait de plus en plus souvent des choses seul avec ses copains, passe des vacances en Espagne, partage des soirées qui s'éternisent après les cours au lycée. Le père a confiance et ne voit rien venir. Il se dit que Fus est encore un gosse certes, mais qu'il doit lui laisser faire ses propres choix pour qu'il puisse un jour devenir adulte. Fus ne veut pas faire d'études longues, qu'importe, il ira à l'IUT du coin. Il faut dire aussi qu'il n'y a pas grand chose à faire dans cette petite ville de Lorraine pour un ado qui ne sait plus où il en est.
Aussi le père ne croit pas son ami Bernard de la section qui lui dit avoir vu Fus coller des affiches avec un groupe de jeunes du FN.
Le jeune frère est différent. Il veut continuer ses études en prépa à Paris, avec l'aide d'un ancien ami de son frère. Il couvre son aîné qu'il admire et qu'il aime par-dessus tout. Mais il poursuit son chemin, s'en va étudier en ville et ne voit pas le drame arriver lui non plus. Son frère aîné reste avant tout pour lui un héros. Mais difficile de se construire dans une famille qui n'en est plus une.
Comment être heureux dans ces régions oubliées, quand les fins de mois sont difficiles et les tentations bien trop importantes ailleurs pour les jeunes ?
Tous trois vont tomber de bien haut quand le drame éclate...
Cette minute où tout avait déraillé aurait pu tout aussi bien ne pas être, ne jamais exister. ça n'enlevait rien à la responsabilité de Fus, mais cela le rendait moins seul, moins monstrueux.
Est-ce qu'on est toujours responsable de ce qui nous arrive ? Je ne me posais pas la question pour lui, mais pour moi. Je ne pensais pas mériter tout ça, mais peut-être que c'était une vue de l'esprit, peut-être que je méritais bel et bien tout ce qui m'arrivait et que je n'avais pas fait ce qu'il fallait.
Ce roman a obtenu plusieurs prix dont le Prix Femina des Lycéens en 2020, le Prix littéraire Georges-Brassens et le Prix Stanislas du premier roman la même année. C'est un roman coup de poing qui nous parle de la relation père-fils, une relation fragilisée par l'absence de la mère, la souffrance et la solitude qu'elle a laissés derrière elle.
C'est aussi une histoire d'amour fraternel réciproque et très fort.
Tout ce que le lecteur comprend c'est que Fus manque de repères et qu'il se réfugie dans une bande qui n'était pas à priori faite pour lui, mais qui a su l'entourer et l'intégrer, lui permettre d'exprimer sa révolte et de trouver un sens à sa vie. Alors que Fus est passionné de sport, le lecteur a du mal à le voir s'éloigner de son équipe.
Il est ému de voir ce père seul s'occuper de ses fils, ce père qui trouve important d'aller voir Fus jouer au foot le dimanche malgré sa fatigue, qui tente de maintenir le lien coûte que coûte et reste fier de lui tout en le regardant jouer avec tendresse.
J'ai aimé la subtilité du récit qui donne la parole au père, taiseux par ailleurs en société. Le lecteur accède ainsi à ce qu'il pense au fond de lui de plus intime, à cet amour immense qu'il a pour ses enfants qu'il ne sait exprimer que maladroitement. Il est terriblement émouvant ce père, perdu devant les actions de son fils aîné, décalé par rapport aux valeurs auxquelles il croit et qu'il leur a inculquées.
Ce qui fait la force de ce roman, c'est ce père qui se met à nu, ce père blessé au plus profond de lui-même qui nous parle en direct, sans pathos, sans fioriture, qui reniera son fils dans un premier temps avant que l'amour soit le plus fort et qu'il soit prêt à se pardonner et à lui pardonner.
Même si l'auteur décrit une petite ville qu'il connait bien, et plonge dans ses propres souvenirs pour nous faire vivre des instants qui sentent le vécu, ce n'est pas un roman autobiographique pour autant.
Je devais le lire depuis très longtemps et c'est chose faite et c'est un roman bouleversant qui est pour moi un véritable coup de cœur !
L'avis d'Alex ICI et de Zazy ICI. Merci à elles de m'avoir donné envie de découvrir cet auteur que je n'avais encore jamais lu et dont je vous ai présenté récemment "Ainsi Berlin" ICI.
Une fois encore je n'avais rien su faire d'autre que de gueuler. J'avais la rage, mais les coups n'étaient pas venus, à blanc comme dans un cauchemar...
Des nuits entières, j'avais essayé de l'effacer de mes souvenirs, mais il continuait à danser devant moi, joyeux, torse nu, enlaçant son frère...
J'essayais de tailler dans tout ça, de virer cet enfant perdu et de reformater mes souvenirs...
Sans lui que me restait-il ?