Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
L'objet est une chose qui a trouvé un partenaire, une chose qui a trouvé une vie propre, une vie singulière, au sein d'une relation avec celui qui la voit, la pense ou la possède.
L'auteur dans chacun des sept chapitres constituant cet essai, s'appuie sur de nombreux exemples concrets afin de décortiquer notre relation particulière aux choses.
Il étudie de près la façon dont les auteurs le précédant, les philosophes, les précurseurs, ont observé eux-mêmes cette relation de l'homme aux objets. Il s'appuie en particulier, sur les écrits de Georges Pérec, Roger Lewinter, Francis Ponge, Roger Caillois...en narrant la manière dont eux-mêmes ou les personnages de leur roman, s'approprient les objets qui les entourent, autant d'auteurs que l'auteur nous donne envie de relire, tant ils ont su nous montrer que les objets avaient une âme.
Il nous explique ensuite, la symbolique de certains objets, naturels ou créés par les hommes et leur importance dans notre culture. Ainsi en est-il de l'objet sacré, des reliques, de ces "choses de rien" comme il les nomme, mais qui suscitent chez les croyants, tant de ferveur. Ce faisant, il nous fait voyager. Nous partons par exemple, pour l'Egypte ancienne, regarder de plus près l'importance des Ouchebtis, ces petites figurines au fort pouvoir symbolique, qui représentaient les serviteurs censés accompagner le défunt dans son dernier voyage et qui étaient donc placées dans le tombeau.
L'auteur est fasciné et son récit devient encore plus fascinant, quand il aborde la charge symbolique de la Gradiva ("celle qui marche en avant"), un personnage féminin qui apparait dans la nouvelle de W.Jensen, parue au début du XXe siècle et qui se trouve sur un bas-relief dans un des musées du Vatican. Freud avait acquis un moulage de cette image féminine qui a donné naissance à de nombreuses interprétations tant par Freud lui même que par les surréalistes.
Ainsi aborde-t-il ensuite, une autre figure féminine mystérieuse : la Vierge noire. Ayant passé son enfance près de la ville du Puy-en-Velay, l'auteur ne pouvait qu'être fasciné et troublé lui aussi par Notre-Dame du Puy, la vierge noire la plus célèbre de la région.
Je connaissais l'existence des objets médiateurs utilisés en sorcellerie, par les chamans, les magiciens, ou autres envoûteurs qui par la pensée, peuvent entraver le destin des autres, les guérir du mal ou encore les ensorceler. Ils peuvent être traditionnels comme le dagyde par exemple (figurine à visage humain confectionnée de chiffons), ou pas. Mais j'ignorais tout de la manière dont Alexandra David-Neel, lors de son voyage au Tibet avait acquis son poignard magique...
L'auteur s'attache ensuite à l'objet d'art et analyse le désir particulier de l'homme de posséder les plus beaux tableaux, les plus belles œuvres, ou d'en faire éventuellement la collection. Il décrit la fébrilité qui s'invite alors, l'exaltation devant les objets qui sera cependant de nature éphémère, alors que l'amateur d'art à l'inverse trouvera dans la recherche de l'objet de sa quête, une joie sans cesse renouvelée. Il aborde divers courants artistiques comme le surréalisme. Il note l'importance des musées, des conservations d'œuvres rares, et cite des auteurs qui ont bâti leur récit au cœur même de ces structures, ces musées, ces bibliothèques et autres lieux d'archives. Asimov, Brussolo, Borges, Mallarmé sont autant d'auteurs dont il tire des exemples concrets de leurs écrits pour étayer ses propos.
Il s'appuie aussi sur l'expérience des peintres qui s'entrainent à ne voir que les détails des objets au cœur des paysages, pour ainsi se focaliser sur ce qu'ils ont de mystérieux, laisser libre cours à leur créativité, et à leur imaginaire comme le ferait l'écrivain.
Et bien entendu un dernier chapitre est consacré au livre en tant qu'objet dans sa version ancienne mais aussi à l'importance de son contenu, à ce qu'il apporte à celui qui l'ouvre et le découvre.
D'autres objets, entourés tous de mystère, traversent le récit comme le disque de Phaistos, la Dame d'Auxerre, une statuette trouvée en Bourgogne, les statuettes de Freud dont il aimait s'entourer et qu'il collectionnait (dont la Gradiva...). Il parle aussi d'objets plus simples car appartenant au quotidien comme les boutons, mais aussi des inventaires d'objets à la Prévert, entre autres, dans lesquels les objets sont réels ou imaginaires et, bien entendu, les objets apparaissant dans les contes ne sont pas oubliés...
L'objet d'art protège et rassure, il vient vaincre les fragilités et exalter l'imagination. A celui qui possède le plus rare, le plus convoité de tous les tableaux, des tapisseries ou des joyaux, il procure l'illusion d'être Dieu.
Dans ce livre très intéressant que j'ai pris tout mon temps pour découvrir, je m'en excuse auprès de l'auteur, celui-ci nous explique les différentes manières dont nous, les hommes, nous approprions les objets qui nous entourent, autant de façons de mieux nous connaître et nous comprendre.
Quelles sont les raisons profondes qui poussent quelqu'un à vouloir toujours posséder davantage ?
En effet, dans cet essai riche en découvertes, et qui demande tout de même une bonne culture générale, et/ou la curiosité nécessaire pour approfondir les propos de l'auteur en effectuant quelques recherches complémentaires, celui-ci aborde le sujet des choses et le désir de possession qui s'empare parfois à l'excès des humains que nous sommes. Il nous démontre que notre attachement à un objet, entraine un enrichissement personnel, si on résiste au fait de se laisser envahir comme notre société de consommation nous y incite, notre société d'abondance qui fait plus de mal que de bien, puisqu'elle nous détourne du côté bénéfique de notre relation intime à l'objet.
Vous l'aurez compris, l'auteur étaye ses réflexions par de nombreux exemples pris dans sa propre pratique de psychanalyste. Il nous emmène aussi en voyage, sur les traces des archéologues ou des explorateurs, qui ont ramené de nombreux objets. Il nous livre au passage des anecdotes, racontées dans leurs récits de voyage, ce qui rend la lecture très plaisante. Il s'appuie aussi sur ses propres expériences, vécues durant son enfance (ex la vierge noire du Puy), nous décrit l'attachement que lui-même a pour des objets de son quotidien.
L'auteur ne suit pas une chronologie dans le temps mais le fil de ses pensées.
Derrière les objets et la relation particulière et intime que nous entretenons avec eux, se cache une partie de nos secrets inavoués, notre désir d'exister, la connaissance de soi et l'essence même de l'homme et de nos sociétés. Car les objets ont de tout temps été le reflet de notre culture. Au fil du temps, ils parlent à la place des hommes qui les ont créés et ne sont plus là pour le faire.
Il parait alors évident que chacun des objets qui nous entoure, nous informe alors, pour qui sait être réceptif, sur une petite partie de nous-même qui fait partie de notre vie et constitue notre richesse personnelle, que ce soit un objet de valeur, ou pas, ce qui compte c'est la valeur qu'il a à nos propres yeux, l'enchantement qu'il produit quand on le regarde ou qu'on le touche, les souvenirs qui y sont rattachés, le regard plein de tendresse ou d'admiration que nous portons sur lui.
Que les objets nous envahissent et nous obligent à dépendre d'eux, ou que nous ne voyions en eux qu'un moyen de s'émerveiller chaque jour de la beauté qui nous entoure, la multiplicité des relations que nous entretenons avec eux, est intéressante à découvrir. L'auteur le fait sans porter aucun jugement sur nos comportements, il ne s'attache qu'à décrire la réalité, tout en s'appuyant sur du concret. Les objets qui nous entourent forment une construction unique qui nous ressemble et qui est mouvante car modifiable à l'infini au cours de notre vie.
Je vous l'assure, à la lecture de cet essai, vous ne regarderez plus les objets qui vous entourent de la même façon et si vous aimez collectionner des objets, vous jetterez sur cette activité un regard plein d'indulgence, qui vous fera comprendre pourquoi vous avez tant ce besoin irrépressible d'amasser...
Qu'il en ait conscience ou que cela demeure confus dans son esprit, l'artiste crée pour lui-même, pour satisfaire un désir ou, plus profondément pour se soumettre à une nécessité interne...
Dès que je m'approche d'une chose, dès que je porte sur elle un regard appuyé, dès que ma convoitise s'accroît, cette chose, inerte jusque-là, s'enflamme et devient belle. Le Graal n'est, au fond, qu'une affaire de passion et d'intense engagement dans l'action conquérante.
L'auteur Bernard Chouvier, que j'en profite pour remercier ici pour sa confiance, est psychologue clinicien, psychanalyste, et professeur émérite de psychopathologie clinique à l'université de Lyon. Il a écrit de nombreux ouvrages.
Je vous ai déjà présenté sur ce blog un de ses essais (il suffit de cliquer sur le titre pour aller lire ma chronique)
et des contes pour enfants :