Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Ils boivent lentement leur dernière timbale, ils la dégustent, dehors la pénombre de la nuit les attend, qui monte du fond de la mer jusqu'au ciel où elle allume les étoiles. La mer respire lourdement, elle est sombre et muette, et quand elle se tait, chaque chose fait silence, jusqu'à la montagne en surplomb où le blanc et le noir alternent...
Chacun est plongé dans ses pensées, le regard droit devant soi sans pourtant regarder quoi que ce soit.
Les rêves nous libèrent parfois des amarres de la vie. Ils sont tel un soleil dans les coulisses du monde. Nous nous endormons au creux d'un soir de janvier, le vent du nord ébranle la maison, les vitres peu épaisses tremblent, nous fermons les yeux et le soleil nous illumine.
Voici un roman initiatique d'un auteur islandais que j'aime beaucoup. Premier roman de l'auteur traduit en français, il est le premier volet d'une trilogie à lire ensemble ou séparément, ce que je ne savais pas. J'emprunterai donc les autres titres à l'occasion d'une de mes visites à la médiathèque. Le suivant s'intitule "La tristesse des anges" et le troisième "le cœur de l'homme".
De cet auteur, je vous ai déjà présenté sur ce blog :
- D'ailleurs les poissons n'ont pas de pieds, ICI. lu en 2015, mon premier livre de l'auteur !
- Ásta, ICI, lu en 2019.
Nous allons te parler de gens qui vivaient en notre temps, soit il y a plus de cent ans, et ne sont guère plus pour toi que des noms inscrits sur des croix inclinées ou des pierres tombales fissurées. D'une vie et de souvenirs qui ont disparu en vertu de l'implacable loi du temps. Et cela, nous allons le changer. Nos paroles sont telles des brigades de sauveteurs qui jamais ne renoncent à leur quête, leur but est d'arracher des évènements passés et des vies éteintes au trou noir de l'oubli et cela n'a rien d'une petite entreprise, mais il se peut qu'elles glanent en chemin quelques réponses et qu'elle nous délivrent de l'endroit où nous nous tenons avant qu'il ne soit trop tard.
La plupart des villages d'Islande ont été construits sur les arêtes de morue, lesquelles sont les piliers qui soutiennent la voûte des rêves.
Au tout début du XXe siècle, en Islande, Bárður, qui est devenu pêcheur comme tant d'autres, aime les livres et les mots. Un matin, il est tellement obnubilé par quelques vers du "Paradis perdu" de Milton, qu'il veut absolument retenir par cœur, qu'il part en mer en oubliant sa vareuse, sa seule arme contre le froid.
Sur la barque qui les emmène au large pêcher la morue, les six hommes rament sans relâche, chacun ayant un rôle précis à jouer, en mer comme sur terre, puis posent leurs lignes. Mais ce jour-là le destin les rattrape, une tempête d'une rare violence, éclate soudainement et ils sont pris dans la tourmente. Aucun ne sait nager, ils ne doivent surtout pas chavirer et regagnent la côte avec peine, en laissant derrière eux une partie de la pêche.
Malgré leurs efforts pour regagner au plus vite la côte et la chaleur des baraquements, Bárður ne résiste pas au froid. Il est trempé et meurt en chemin...
Le gamin est son seul ami... Comme Bárður, il sait lire et écrire, ce qui était plutôt rare en ce temps-là. Il est bouleversé par la mort de son ami. Il ne veut plus retourner en mer et se met en tête de ramener le livre fautif à son propriétaire, un vieil aveugle qui vit dans une vallée voisine.
Le voyage à pied dans la neige, avec la tempête qui fait rage, est des plus périlleux pour le jeune garçon de vingt ans. Une fois sa tâche accomplie, il compte bien aller rejoindre son ami...et tous ceux qui lui étaient chers et qui ont autrefois disparus, et se jeter du haut de la falaise.
Mais arrivé sur les lieux, il fait connaissance avec le capitaine Kolbeinn, le vieil aveugle à qui appartient le livre maudit, Helga et Geirbrudur, qui vivent ensemble dans la même maison.
Son ami, lors de ses apparitions éphémères mais tellement réelles aux yeux du gamin, veut-il qu'il le rejoigne dans l'au-delà, comme le garçon le pense ?
Les événements vont lui faire comprendre qu'une autre solution est possible...ce n'est pas un hasard si Bárður a mis ce trio particulier sur sa route. Et s'il lui demandait en fait de s'efforcer de vivre ?
Peut-être devrait-il passer dans le journal l'annonce ainsi libellée :
"Perdu dans la rue : le but de la vie, le repos du sommeil, la joie de notre couple, mon sourire et ma fougue. Celui qui les retrouvera est prié de les rapporter à l'imprimerie, il sera honnêtement récompensé".
Le gamin ne rentre pas chez lui, d'ailleurs comment est-il possible de se diriger vers un lieu qui n'existe pas, pas même dans notre tête ? Il n'appelle pas cette vallée son pays, bien qu'il s'y soit réveillé et endormi la majeure partie de son existence et il ne donne à aucune ferme le nom de foyer...
Il ne veut jamais revenir dans cette campagne où dort la majeure partie de son enfance, les rêves avortés, les regrets sur la vie qu'il ne lui a pas été donné de vivre, cette campagne où vivent les gens chez qui il a habité après que son père s'est noyé...
"Entre ciel et terre", est un roman initiatique, sombre mais prenant qui nous parle du fil ténu entre la vie et la mort. C'est un roman à la fois poétique et très profond car à chaque page vous trouverez matière à réflexion.
L'auteur est islandais. Dans ce roman, il nous parle avec beaucoup de réalisme de son pays, tel qu'il était, il y a à peu près un siècle, lorsque les pêcheurs de morue vivaient loin de leur proches parfois pendant des années, s'entassaient dans des baraquements et allaient pêcher tous les jours quel que soit le temps, pour subvenir aux besoins de leur famille.
Les rivalités, les jalousies mais aussi l'entraide et le partage étaient bien présents. Ce milieu était dur et ne leur faisait pas de cadeau, car la défection d'un seul homme pouvait faire périr tous ceux qui se trouvaient avec lui sur la barque.
En lisant ces pages, le lecteur ressent la force des éléments, la tempête, le vent, le froid, la neige qui ne cesse de tomber mais aussi la solitude des hommes.
A travers ce qui arrive à Bárður, qui est mort à cause de son amour particulier des mots, l'auteur nous parle de poésie, de la puissance des mots qui peuvent sauver ou mettre en danger, et d'amitié.
J'ai beaucoup aimé ce gamin, un peu perdu et qui se cherche encore. Le lecteur ne saura jamais son nom, mais cela n'a pas d'importance. C'est évident que la pêche n'est pas faite pour lui, même s'il est très bien accepté par les hommes, il est trop fragile, trop rêveur, trop sensible. Il doute de lui, a toujours peur de dire ou de faire des "bêtises" ce qui tout de suite dans ce monde rude de pêcheurs, attire sur lui la gentillesse des femmes, et nous le rend particulièrement sympathique.
L'amitié sincère qui se noue entre Bárður et le gamin, apparait alors comme une sorte d'entracte, une belle page poétique, qui contraste avec la rudesse du monde extérieur, mais crée un lien bien réel, bien que fragile, entre les deux mondes.
Entre ciel et terre, comme nous dit le titre, il y a la mer et lorsqu'on est tous embarqués sur le même bateau, elle ne fait pas de cadeau aux rêveurs... tout comme la vie.
Un très beau roman à découvrir absolument !
Où est Bárður ? se demande-t-elle machinalement, elle demande au vent, demande aux flocons, mais aucun ne répond, ils n'en ont nul besoin, le vent se contente de souffler, à peine arrivé, il repart aussitôt ; quant aux flocons, ils descendent du ciel, voilà pourquoi ils sont blancs et façonnés sur les ailes des anges...
Certains poèmes nous conduisent en des lieux que nuls mots n'atteignent, nulle pensée, ils vous guident jusqu'à l'essence même, la vie s'immobilise l'espace d'un instant et devient belle, limpide de regrets ou de bonheur. Il est des poèmes qui changent votre journée, votre nuit, votre vie. Il en est qui vous mènent à l'oubli, vous oubliez votre tristesse, votre désespoir, votre vareuse, le froid s'approche de vous : touché ! dit-il et vous voilà mort.
On dirait que les mots sont encore capables de toucher les gens, c'est incroyable, peut-être toute lumière ne s'est-elle pas éteinte en eux, peut-être que, malgré tout, il subsiste quelque espoir.
...il ne lui restait que de rares moments pour les petits qui, avec leur questions enfantines, nous rapprochent de l'essentiel. Papa, pourquoi le soleil ne tombe pas, pourquoi ne voyons-nous pas le vent, pourquoi les fleurs ne parlent pas, où s'en va la nuit pendant l'été, la lumière en hiver, pourquoi les gens meurent-ils, pourquoi sommes-nous obligés de manger les animaux, ça ne les rend pas tristes, quand est-ce que le monde va mourir ?