Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
On attend du psychologue qu'il entrave l'avènement de la pensée singulière. On nous impose même des outils de mesure : on estime la quantité de pensée singulière d'une personne par rapport à une norme établie par des experts.
C'est terrible, la pensée filtrée...Parce qu'il n'y a plus rien, tout simplement. Plus d'image ni de parole. Les rêves n'ont plus de pattes ni d'ailes. Ils tombent au sol et s'assèchent...
Voici un court roman qui fait suite à "Monstrueuse féérie" présenté à l'automne dernier sur mon blog ICI.
Nous retrouvons le narrateur rencontré dans "Monstrueuse féérie", mais les choses ont changé pour lui. Alors que dans le premier opus, il travaillait dans une clinique psychiatrique et était rattaché au service spécialisé pour malades volubiles, il est aujourd'hui résident dans ce même service, depuis sa "décompensation poétique" (il appelle ainsi ses poussées délirantes).
Son nouveau statut est différent, il a bien une chambre, il y retrouve tous ses "Monuments" entendez, ses patients préférés, perdus dans leurs rêves, mais il est aujourd'hui, interné lui-aussi, ce que le lecteur ne tarde pas à découvrir...même si le narrateur a tendance à l'oublier et à croire le contraire, car il pense qu'il est "patient-salarié".
Les Monuments sont d'une grande aide pour lui, car ils le réconfortent et les Voix dans sa tête se taisent peu à peu, tandis que les Monstres ne demandent qu'à ressortir au moindre problème. Ils sont aussi d'une grande aide pour les enfants malades quand le soir venu, ils réveillent leurs imaginations en leur faisant le récit de vies extraordinaires, ou autre récits proches des contes de notre enfance...
Le lecteur retrouve donc dans le service, Blanche-Colombe, Henri, Didier, Brigitte,. ..et les autres, qui sont toujours là eux-aussi. Mais actuellement de nouvelles méthodes sont testées, un système de filtration de la pensée des patients a été mis en place, ne permettant plus de rêver comme avant car ce système veut normaliser ce qui ne peut pas l'être.
Le narrateur raconte sa rencontre avec Lucy, une jeune femme anorexique, qui se transforme la nuit en ogresse, et leur relation compliquée, tumultueuse et très toxique pour l'un comme pour l'autre. Pourtant, elle arrive à parler de ses problèmes, ce qu'elle n'a jamais fait avec personne, elle parle de son enfant mort, de son métier de thanatopractrice qui lui permet de réparer les corps brisés.
Elle a décidé de l'aider pour que, lui aussi, se délivre de ses traumatismes d'enfance, et elle tente donc de s'emparer de ses Monstres. Elle les enferme dans des bocaux...comme elle le fait des "traits unaires" qu'elle prélève et enferme pour garder un souvenir, quelque chose de vivant des personnes disparues qu'elle croise dans son métier.
Mais l'enfance du narrateur a été terrible et quand elle s'attaque au souvenir le plus violent de son passé, à son Monstre le plus angoissant, elle tombe gravement malade...
On aimait bien ça, jouer aux Monstres dans le noir : on prenait des airs d'écoliers, les yeux baissés, tout penauds, et on les regardait s'agiter et rugir en nous livrant leurs récits.
A présent que je faisais partie des leurs, ils m'avaient confié quelques-uns de leurs secrets. J'avais appris, par exemple, qu'ils quittaient régulièrement le Centre à l'heure des ombres. Qui à cheval sur un mouton d'écume, qui traversant des catacombes secrètes, d'autres encore attachés aux pattes d'oiseaux de nuit, ils s'en allaient rendre visite aux enfants malades.
Il y a des éléments, à un certain niveau, qu'on ne peut plus dévoiler aux autres. Parce que, sinon, personne ne voudrait plus connaître personne.
L'auteur, psychologue clinicien dans la vie quotidienne nous offre là une suite toujours aussi déjantée et originale. On y retrouve la tendresse et la poésie qui était déjà présentes dans le premier roman. Son style est clair et la lecture est fluide.
C'est encore une fois un roman (sur)prenant, qui nous parle de la folie des êtres humains et du lien ténu qui existe entre elle et ce que l'on appelle la "normalité" (=la "pensée filtrée"). Il nous invite à nous questionner sur les conséquences pour notre société d'une pareille uniformisation de nos pensées.
Le lecteur entre dans la vie des personnages et se retrouve immergé dans un monde étonnant, où le narrateur nous livre des visions délirantes et souvent effrayantes, parfois proches de nos propres angoisses. Les Monstres, "simples vues de l'esprit" nous apparaissent souvent bien trop réels...
Il en est ainsi en particulier quand le narrateur repart en pensées dans ses souvenirs d'enfance, ou nous raconte les événements traumatisants vécus plus récemment...et qui ont mené à son internement.
J'ai attendu d'avoir un peu de calme autour de moi pour me plonger dans cette lecture, car pour suivre l'imaginaire du narrateur, il faut tout de même un peu de concentration tant ses propos sont imagés, singuliers et fascinants à la fois. Un texte à lire absolument au second degré !
Merci à l'auteur de m'avoir permis de découvrir ce second tome et d'avoir patienté pour la parution de ma chronique. Comme il s'agit en fait d'une trilogie, vous aurez l'occasion de découvrir le troisième tome, "Clapotille" que je lirai avec grand plaisir.
Lorsqu'il neigeait, cependant, dans le pays à la langue inconnue, la neige vaporisait comme une brume à la surface de la ville capitale où j'avais pris mes quartiers...Dans ces moments-là, les gens devenaient étranges. Certains se mettaient à haranguer la foule, annonçant une fin du monde quelconque, et ça me faisait quand même un peu plaisir qu'il y ait d'autres personnes qui aient des problèmes...
Sous la cloche, on voyait tout de suite qu'on était dans une boule à neige. Quand les flocons se faisaient moins denses, apparaissaient un rêne, dans la forêt un grand cerf, un petit train, un traîneau, un lapin par la fenêtre, un éléphant, un Père Noël à bicyclette, qui se balançait. L'impression de douceur était féérique...
A l'intérieur du café, les Voyageurs [du sentier de la perdition] racontaient des histoires, avec les yeux qui moussaient.
Et ils racontaient les Voyages dans les chemins qui ne vont nulle part. Et ils racontaient l'errance le long des escaliers de pierre qui vont indéfiniment sans monter ni descendre. Certains racontaient même qu'à la fin du Voyage, lorsqu'on était parvenu au bout du désert, il y avait un rideau peint aux couleurs du ciel qu'il fallait soulever pour partir en ataraxie pour toujours...