Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Il y a toujours une fenêtre que je laisse ouverte pour que les Monstres puissent entrer. Je ne le fais pas vraiment exprès. Mais tous les Monstres rentrent dans toutes les têtes de la même façon : on les y invite. Parce qu'il y a quelque chose en eux qui nous fascine, qui nous comble, ou du moins qui absorbe notre esprit logique en polarisant nos réflexions. Quand ils sont là, c'est trop tard.
Le narrateur, psychologie clinicien comme l'auteur, nous livre ses souvenirs d'enfance en alternance avec le récit de sa vie quotidienne.
Il travaille dans un centre psychiatrique, dans le service pour malades volubiles et le lecteur découvre certains aspects de ce milieu particulier. Nous faisons connaissance avec Didier, Henri, Pierrot, Jean-François, Blanche...et bien d'autres et avec leurs délires quotidiens que le narrateur appelle, non sans humour, des "décompensations poétiques". Il appelle ses patients, des "Monuments".
Le soir, quand il rentre seul à la maison, il aime dialoguer avec une jeune femme dont il ne nous dira pas le nom, mais est-il besoin de le savoir puisqu'elle lui a dit qu'elle était une Elfe...
A elle (et à nous, texte en italique), il raconte son enfance, et avec des détails qui ne manquent pas de réalisme, ses peurs, ses incompréhensions, ses relations avec sa famille, la mère qui n'aime que les bébés et se désintéresse de ses enfants quand ils grandissent, le père personnage non moins inquiétant qui les nourrit en excès, tout en s'adonnant à sa passion la taxidermie...Les parents sont absents, incapables de faire vivre les enfants dans la sécurité tant affective que matérielle. Pas étonnant que son enfance soit peuplée de démons intérieurs et de "Monstres" qui sont toujours là, prêts à réapparaître au moindre problème. Rien ne lui a jamais été expliqué des mots incompris et mal interprétés, ou autres événements, ce qui ne peut qu'effrayer un jeune enfant, déjà fragilisé par son imagination débordante et ses hallucinations.
Quoi qu'il en soit, l'Elfe est partie un matin et n'est jamais revenue, car on ne peut emprisonner une Elfe n'est-ce-pas, et le narrateur a compris trop tard, qu'elle avait besoin d'air, de liberté et qu'il l'avait faite fuir avec sa peur de l'abandon et son manque viscéral d'amour... et surtout à cause de la présence sous-jacente de ses démons qui, du coup, maintenant qu'il est seul, reviennent plus pressants et angoissants que jamais.
Existe-t-elle vraiment ? Fait-elle partie de ses fantasmes, et donc, a-t-il tout imaginé de leurs échanges, de leur relation, de leur amour ?
Vous aurez la réponse en lisant ce livre.
Eux [les "Monuments"] ce sont des modèles uniques qui sont nés sans mode d'emploi et en kit et qui ont dû se fabriquer seuls. Alors, bien sûr, ça donne des constructions très personnelles.
Voici un court roman d'à peine 102 pages, presque une nouvelle, premier texte publié par son auteur, psychologue clinicien dans la vie quotidienne. C'est un livre étrange, original, déjanté et plein de tendresse. Le roman est bien écrit, le texte est fluide et se lit d'une traite.
Le livre alterne les souvenirs d'enfance, une enfance traumatisante donc, dont le narrateur n'arrive pas à se détacher, et le récit de ses dérives et fantasmes d'adultes, qui lui font maintes fois perdre pied dans la réalité.
J'ai trouvé certains passages très poétiques, d'autres angoissants, quand les souvenirs d'enfance resurgissent avec leurs démons...bien que tout soit suggéré avec beaucoup de finesse, le lecteur sent bien que ce petit garçon a eu beau enfouir ses monstres, ils sont toujours là, tapis en lui, et prêts à le terroriser à nouveau. Son enfance n'a pas été ordinaire, c'est le moins qu'on puisse dire, entre une mère qui aime mettre au monde des enfants, dont elle ne s'occupe plus dès qu'ils grandissent, et un père passionné par la taxidermie, activité inquiétante pour un très jeune enfant.
Le roman est bourré de références littéraires à Boris Vian, Harry Potter, aux contes de fées et autres...
Certains passages de l'enfance m'ont fait penser au magnifique album qui avait tant fait parler de lui lors de sa sortie, "Max et les Maximonstres" de Maurice Sendak (lire ICI l'interprétation psychanalytique du conte).
C'est un roman très prenant, quand vous entrez dedans, vous ne pouvez plus le quitter, tant il vous démontre avec des propos poétiques que la folie et la normalité se confondent, et que la limite entre les deux n'est le plus souvent, qu'une simple affaire de point de vue.
Bien entendu, ceux qui travaillent dans le milieu de la psychiatrie y trouveront d'autres indices. J'espère de tout cœur que ce roman n'est en rien autobiographique mais que l'auteur a simplement pris pour exemple des cas parmi ses "Monuments", car "Ne devient pas fou qui veut".
Merci à lui de m'avoir proposé cette lecture...
Il n'y avait rien d'autres dans le monde que les Elfes, les Monstres et les Monuments