Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
D'Hubert Delahaye, j'avais beaucoup aimé découvrir "Histoires de mer" un recueil de nouvelles sur le thème de la mer, présenté sur le blog ICI.
Aussi lorsque Pascaline, que je remercie ici, m'a proposé de recevoir "De thé et d'amour", j'ai tout de suite accepté et je n'ai pas été déçue.
Ce livre d'à peine plus de 100 pages, est une petite pépite emplie de poésie et de délicatesse, un régal de lecture, que vous aimiez le thé ou non, le Japon ou non.
Des pas glissent sur les tatamis et Yamamoto sensei débouche de la petite cuisine dans un kimono bleu cobalt à fines rayures noires, la coiffure sobre et impeccable, le visage légèrement pomponné, le sourire sans exagération et les yeux qui ne se posent pas sur moi tout de suite parce que cela ne se fait pas.
Parfois la sensei me gronde, parfois elle sourit de mes gaucheries. Elle sait que je viens surtout parce que j'aime le goût du thé, pour le plaisir, et elle ne m'en veut pas. J'ai même l'impression qu'elle voit en moi la possibilité d'une détente, d'un moment un peu décalé, aux règles assouplies pour adapter le thé à un contexte international.
Dans les années 70, un jeune français étudiant à Kyôto, vient s'initier tous les samedis matin, à la cérémonie du thé chez Madame Yamamoto. Il désire en connaître tous les détails et éprouve beaucoup de sympathie pour la vieille dame.
Tous les participants, après avoir vu Madame Yamamoto exécuter les gestes ancestraux devant eux, doivent préparer le thé chacun leur tour. La sensei rit souvent de leurs maladresses et recommence avec patience ses explications.
Un samedi, la cérémonie commence en retard à cause d'une jeune femme qui n'est pas encore arrivée. C'est Ichie...
Dès le départ le narrateur la trouve ravissante et particulièrement attirante. Les deux jeunes gens sympathisent d'autant plus rapidement que Miya, la jeune sœur d'Ichie, habite le même quartier que lui. Miya, dont Ichie s'occupe depuis la disparition de leurs parents, est une personne surprenante pour le jeune homme. Elle est l'opposée de sa sœur. Un jour, alors qu'Ichie s'est absentée de la cérémonie du thé, le jeune homme, inquiet, se présente chez Miya pour avoir des nouvelles de son amie. Quelques jours après, Ichie, fâchée qu'il se soit présenté seul chez sa jeune sœur, lui explique pourquoi elle la surveille de près, car considérée comme "dérangée".
Les clichés ont la vie dure, le narrateur n'imagine pas un instant que cette jeune femme en Kimono puisse être une femme moderne, ni elle, que ce jeune homme, maladroit et étranger, puisse se montrer prévenant et sensible. Ichie va être obligée de s'expliquer...à sa façon !
L'étranger reste un personnage mystérieux aux réactions imprévisibles et beaucoup de gens craignent l'imprévisible.
Ici, il existe des choses qu'on n'ose pas dire ou faire dans le rituel des relations sociales : corriger, se moquer, montrer trop fort son désaccord, négliger sa salutation ou en faire trop et ajouter au trouble.
C'est aux rites que l'on reconnait une grande civilisation.
Voilà un récit rédigé à la première personne, ce qui nous donne l'impression d'écouter une confession. L'auteur nous livre ses propres souvenirs d'étudiant et ses réflexions sur cette culture qu'il découvre avec ses traditions et ses codes.
Ne vous attendez pas à de grands rebondissements. Tout est dit par petites touches pudiques, au fur et à mesure que les deux jeunes gens se font confiance. On est dans une ambiance particulière qui est celle des romans japonais, avec des moments étranges, emplis de mystère, d'autres moments plus réalistes et toujours beaucoup de sérénité.
Le pavillon de thé est une merveille. Le lecteur s'y installe avec grand bonheur. La cérémonie du thé est décrite en détails avec les gestes précis, les objets indispensables d'une grande beauté, qui je ne le savais pas, varient selon les saisons et le thé utilisé, les formules convenues, mais aussi les émotions, et l'état d'esprit dans lequel on doit être pour que cette cérémonie ancestrale soit une réussite.
Le lecteur a tout de suite envie d'en apprendre davantage sur les personnages, auxquels en peu de pages, il s'attache mais qui resteront auréolés de mystère. La fin nous offre de belles pages sensuelles et d'une grande douceur.
J'ai plongé avec délice dans cette autre culture si éloignée de la notre et cette lecture a été pour moi une belle découverte. Il ne me reste plus qu'à lire "Lettres d'Ogura" du même auteur, un livre qui est dans ma pile en attente depuis un certain temps déjà.
"Hubert Delahaye a passé sa vie professionnelle au sein du Collège de France dans le domaine de la sinologie. Il a été attaché à la chaire d’Histoire sociale et intellectuelle de la Chine de Jacques Gernet puis aux Instituts d’Extrême-Orient en tant que maître de conférences. C’est tout naturellement qu’il s’est intéressé aussi aux voisins japonais, ces insulaires si proches des Chinois et en même temps si différents…"
[Source : https://www.etonnants-voyageurs.com/spip.php?article21985]