Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Devant nous, un long couloir s'enfonçait sous la terre.
Au pied des murs s'entassaient des sacs de nylon et des bagages personnels, comme après un naufrage on verrait sur la plage les affaires éparses des malheureux perdus en mer.
L'auteur est essayiste, journaliste et écrivain. Il a été rédacteur en chef du quotidien "Taraf" jusqu'en 2012. Suite à la tentative de putsch contre Erdogan, en juillet 2016, une vague d'arrestations a lieu en Turquie, de manière totalement arbitraire, parmi les journalistes, les enseignants, les intellectuels et tous ceux qui se sont engagés, par leurs écrits ou leurs propos, contre le gouvernement en place.
Ahmet Altan et son frère (journaliste et professeur d'économie) sont arrêtés, comme leur propre père, quarante cinq ans auparavant. L'auteur sera condamné à la perpétuité en 2018, car accusé d'avoir incité la population à la révolte. Un nouveau verdict permettra dans un premier temps de le libérer, mais il sera arrêté à nouveau, quelques jours après.
Dans ces dix-neuf textes, poignants, mais tellement vivants et dignes, écrits du fond de sa cellule en toute discrétion, et sortis des lieux par ses avocats, feuillet après feuillet, l'auteur nous décrit son quotidien, sa solitude, la solidarité qui s'installe peu à peu entre les hommes, tous là pour les même raisons obscures.
Jour après jour, qu'ils soient croyants ou pas, jeunes ou plus âgés, ils font connaissance, ils se racontent et échangent des anecdotes sur leurs vies, leurs familles, leurs croyances, dans une grande tolérance qui est, pour nous, une belle leçon de vie.
L'auteur sait particulièrement bien exprimer ses doutes, partager ses réflexions sur la liberté, la croyance religieuse, l'amour et bien d'autres sujets, et nous faire part de ses espoirs. Le lecteur ne peut qu'admirer son courage, alors qu'il vit dans des conditions épouvantables, et qu'il va connaître la torture et l'humiliation.
L'auteur nous parle aussi de ses lectures, et de l'importance de ne jamais cesser d'écrire, pour se sentir vivre en tant qu'écrivain même dans ce lieu. L'écriture pour lui, tient autant de la résistance, que du rêve éveillé, et de l'envie qu'on ne l'oublie pas, lui qui croupit dans cette cellule, loin des siens et du monde.
Il nous décrit ses deux procès avec une pointe d'humour, ce qui rend leur lecture supportable, car comment rester de marbre devant telle injustice. Les droits élémentaires de l'homme sont bafoués, même le juge n'en revient pas d'avoir à s'occuper d'une telle affaire. Tout n'est que mise en scène.
L'auteur nous livre toute une série d'actions simples que nous faisons tous les jours en liberté et que lui ne peut plus faire comme...se regarder dans un miroir, ouvrir une porte tout seul pour sortir, embrasser ceux qu'il aime, regarder le ciel sans barreaux, autant de preuves criantes de la privation de liberté. Le pouvoir des mots est terriblement évocateur.
Le lecteur ressent cette détention au fin fond de lui-même, comme s'il était lui-même enfermé.
C'est un livre dont il est très difficile de parler, car tout est dans l'ambiance, dans les mots et le ton employés, tout en pudeur et retenue. L'auteur sait mettre la juste distance entre les évènements vécus et son ressenti. Il reste digne et cela nous touche et nous révolte d'autant plus.
Je ne peux que vous inviter à découvrir ce livre empli d'humanité. Bien que certains passages soient terriblement choquants, vous vous en doutez, il est porteur d'espoir, car l'auteur sait mettre de la légèreté dans ses propos. Il nous invite à rêver, à mettre de la poésie dans notre vie, à croire en la puissance des mots et de la liberté. Personne ne peut nous prendre nos pensées. Pourtant lorsqu'il écrit ces réflexions, du fin fond de sa prison, l'avenir de l'auteur est bien obscurci.
C'est un livre accessible à tous qui n'est pas un livre politique mais un témoignage. Il ne peut qu'inviter le lecteur à vouloir en savoir davantage sur ce qui se passe en Turquie, et il est donc édifiant à ce propos. Il peut être lu dès le lycée afin de susciter des débats en classe, sur l'acte d'écrire, la privation de liberté, les droits de l'homme ou la liberté d'expression.
La Cour Européenne des droits de l'homme a condamné l'Etat turc à cause de la détention injustifiée d'Ahmet Altan. Il a été libéré par les autorités turques le 14 avril 2021. J'avais acheté ce livre en librairie, la veille. Il était temps que je vous le présente.
A force d'aimer on s'habitue à l'amour.
Or, pour comprendre l'immensité de l'amour que cette habitude recouvre, il faut parfois en avoir été brutalement sevré.
Et je savais dorénavant que je pourrais traverser tous les incendies, que la flamme de mon esprit triompherait de tous les feux dans lesquels mes geôliers voudraient me faire brûler.
Me jeter en prison était dans vos cordes ; mais aucune de vos cordes ne sera jamais assez puissante pour m'y retenir.
Je suis écrivain.
Je ne suis ni là où je suis, ni là où je ne suis pas.
Enfermez-moi où vous voulez, je parcours encore le monde...
[...]vous ne m'enfermerez jamais.
Car comme tous les écrivains, j'ai un pouvoir magique : je passe sans encombre les murailles.