Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Pour témoigner de ce qui arriva ensuite, il faudrait peindre le silence avec des mots, même si les mots ne suffiront jamais à traduire une réalité, et ce n'est pas nécessaire. Il le faudra pourtant.
La littérature avait la faculté d'ensemencer son imagination et d'épandre sa richesse entre les murailles de la vallée, de transformer les pierres des carrières en diamants bruts, d'inventer un langage nouveau que lui seul était en mesure d'interpréter.
On n'est pas fiables, nous les hommes, on croit que le monde peut avancer sans qu'on l'aide, dit-il, comme s'il se parlait à lui-même.
Dans une vallée perdue et sombre du Massif Central, le Gour Noir, les femmes, les hommes et les enfants se tuent au travail pour subsister.
Ils sont tous sous l'emprise de Joyce, le directeur de la centrale électrique qui, depuis qu'il est arrivé dans la région, régente tout la ville. C'est un despote qui sait se faire obéir par la terreur. Certes, il a tout construit : la ville et ses rues qui portent toutes son nom, la centrale électrique, le barrage, la carrière... Il a mis des espions partout dans le village pour contrôler tout le monde et faire régner la peur. Et il a ses propres gardiens qui veillent au respect de "sa" loi à leur manière.
Là, un peu éloignée de la ville, vit la famille Volny. Il y a ...Elie, le grand-père, qui a perdu une jambe à l'usine et ne peut plus y travailler ; Martha sa fille, dévouée aux siens, qui laisse la religion avoir trop d'emprise dans sa vie ce qui l'éloigne de sa famille ; et Martin, le mari, qui est un taiseux : il a été traumatisé pendant la dernière guerre, par la perte d'un de ses compagnons de combat.
Et puis, il y a les quatre enfants : Marc qui aime lire et se cache pour le faire car son père est persuadé que les livres sont néfastes et peuvent tuer, vous comprendrez pourquoi en lisant le livre ; Matthieu qui revit dès qu'il est près de la rivière, et veut avant tout protéger l'équilibre de la nature, la respirer, l'entendre vivre ; Luc...celui "qui n'est pas comme les autres", que l'école a renvoyé chez lui parce que personne ne pouvait plus rien faire pour lui. Il a découvert 'l'île au trésor" à la radio et depuis se prend pour Jim et cherche sans fin, le trésor.
Et enfin il y a Mabel (Jean en fait de son vrai nom !) la seule fille, belle, libre et différente, parce que rebelle, adulée par ses frères...Elle est "le rayon de soleil" de la famille.
Les quatre enfants sont inséparables, ils jouent près de la rivière sous le viaduc, se balancent dans le vide accrochés à des cordes, aspirent à plus de liberté et à ne plus vivre sous la coupe de Joyce.
Mabel ne supporte plus sa vie et l'emprise de la religion sur sa mère. Elle décide de quitter sa famille pour aller travailler dans un bar de la ville. Mais là-bas, les hommes de Joyce veillent et la surveillent, et la jeune fille n'échappe pas à leurs regards affutés. Elle sait se défendre, mais jusqu'à quand le pourra-t-elle ?
Alors que les habitants sont déjà déstabilisés par un crime horrible et non élucidé (mais nous lecteurs, savons qui en est l'auteur), Gobbo l'étrange marin venu d'on ne sait où, décide d'intervenir à son tour pour protéger Mabel et inciter les hommes de la centrale à se révolter...
Orphelin de naissance, Joyce n'avait eu droit qu'au mépris tout au long de son enfance. En âge de comprendre comment allait le monde, il s'était empressé de retourner ce mépris contre les autres, croyant ainsi venger son enfance saccagée et mettre sa propre douleur à distance. Malgré les défaites et les succès, il n'y était jamais parvenu, car il savait que le mépris n'est qu'un écran destiné à se protéger de son propre effondrement, et le cynisme, le moyen d'épaissir cet écran.
Dans ce roman social, l'auteur nous prouve encore une fois à quel point il maîtrise l'art de l'écriture. Avec beaucoup de talent, il met de la poésie là où il n'y en a pas, tout en nous plongeant dans une ambiance lourde, froide et très noire. Il excelle c'est certain dans le roman noir en milieu rural.
Comme dans les précédents romans que j'ai lu de cet auteur, tous les personnages ont été meurtris dans le passé ou durant leur enfance. Ils ne savent pas faire autrement que répéter les gestes qui les ont eux-mêmes fait souffrir, pour faire souffrir à leur tour et s'enfoncer encore plus dans le malheur. Ce déterminisme social est éprouvant pour le lecteur qui se demande tout le long du roman, comment celui-ci va se terminer. Le suspense va crescendo et la fin à laquelle je ne m'attendais pas du tout, est en apothéose.
Heureusement, malgré la noirceur des jours et le manque d'espoir d'un avenir meilleur, tous ont des rêves. Les gens ont encore au fond d'eux, l'envie d'une vie différente et le désir de se rebeller et de se sentir plus libres.
J'ai beaucoup aimé le début du récit, la description de la vie quotidienne et des jeux des enfants.
J'ai aimé le personnage du grand-père qui est d'une grande sagesse, et soutient ouvertement les enfants, face à la rigidité de la mère et à la violence souvent incontrôlable du père.
J'ai aimé aussi voir le monde à travers les yeux de Luc, son innocence, et son imagination. Forcément, il ne devine rien des intentions malfaisantes des autres. J'ai aimé l'amour qu'il partage avec sa fratrie et la façon dont il s'exprime dans les pages.
J'ai aimé l'ambiance, non pas que j'aime les ambiances noires, non mais parce que l'auteur sait particulièrement bien créer une ambiance mystérieuse, rude, sauvage, je devrais dire. J'ai aimé aussi le mystère qui entoure le personnage de Gobbo.
J'ai bien entendu détesté le personnage de Joyce, tout comme celui de ses acolytes et de Lynch, le flic pourri.
Je n'ai pas aimé les scènes de sexe qui certes expliquent beaucoup de choses, entre autres, les liens puissants qui unissent les personnages, mais étaient-elles toutes bien nécessaires au roman ?
Je n'ai pas aimé garder trop de distance avec les personnages, ni le fait de ne pas arriver à m'attacher en profondeur à un seul d'entre eux.
Franck Bouysse est un auteur que je continuerai à lire car chacun de ses romans est marquant.
J'ai déjà lu et présenté de lui sur ce blog :
Et donc il m'en reste encore beaucoup à découvrir, ce que je ferai à petites doses vu la noirceur de ses romans.
La plupart des gens ne savent pas dire le monde, pourquoi ils en font partie, les incompréhensions qui les attristent, alors ils tentent de ramener le monde à eux, de le façonner à leur main, et ils ne savent même pas que c'est le monde qu'ils tiennent, que ça en fait toute la beauté. Que la beauté, c'est justement de ne pas savoir qu'on tient le monde entre ses mains...