Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
C'est là que je lui ai dit.
Que j'écrivais.
Tous les jours.
Que j'avais commencé à écrire sur le temps qu'il faisait, comme mon père, et sur les changements de lumière au-dessus du glacier de l'autre côté du fjord, que j'avais d'abord décrit les nuages blancs qui flottaient comme un écheveau de laine sur l'aire de glace, puis que j'avais ajouté des gens, des lieux et des événements.
Les hommes naissent poètes. Ils ont à peine fait leur communion qu'ils endossent le rôle qui leur est inéluctablement assigné : être des génies. Peu importe qu'ils écrivent ou non. Tandis que les femmes se contentent de devenir pubères et d'avoir des enfants, ce qui les empêche d'écrire.
Dans les années 60 en Islande, Hekla (qui porte le nom d'un volcan) quitte son père et la ferme de son enfance pour Reykjavik, avec quatre manuscrits dans sa valise, et sa machine à écrire. Elle compte bien trouver un travail à la ville pour continuer à faire ce dont elle rêve le plus au monde, écrire. Mais en ce temps-là, les femmes doivent se marier et faire des enfants, c'est tout ce que la société (et les hommes) leur demande. Alors se faire publier, il ne faut même pas y penser, ce qu'elle a déjà réussi à faire cependant, en prenant un pseudo...masculin. Les femmes écrivains sont rares à cette époque en Islande et considérées comme "sans talent".
Là-bas, elle retrouve avec bonheur son fidèle ami d'enfance, Jon John qui est marin à ses heures mais ne trouve sa place nulle part, étant homosexuel et meurtri par son enfance passée à être traité de bâtard. Lui rêve de pouvoir enfin aimer un homme en toute liberté sans qu'on l'accuse d'être pédophile, ce qui n'a rien à voir. Il voudrait vivre de son art, car ce qu'il aime avant tout c'est créer des vêtements. Il voudrait devenir styliste de mode, ou costumier de théâtre. Il ne supporte plus de ne plus "être comme tout le monde" et de se faire violemment agresser.
Tous deux se protègent mutuellement, et lui seul est capable de comprendre le désir d'écrire de la jeune femme.
Elle retrouve aussi son amie d'enfance Isey, aujourd'hui mariée et mère de famille, qui comme elle, aime les mots, mais n'a plus le temps de les fixer par écrit autrement que dans son journal intime qu'elle remplit en cachette de son mari, ce cahier semblant être le seul capable de la maintenir à flot et de lui permettre de trouver un sens à sa vie d'épouse.
Harcelée par un homme qui désire la voir participer au concours de Miss Islande, et par les clients de l'hôtel où elle travaille comme serveuse qui ne cherchent qu'à la tripoter ou à la mettre dans leur lit, Hekla a du mal à continuer à écrire, d'autant plus qu'elle tombe amoureuse d'un poète qui travaille à la bibliothèque qu'elle fréquente. Tous deux s'installent ensemble.
Mais rien ne se passera comme prévu. Hekla tient trop à sa liberté. Elle ne veut pas avoir à choisir ! Féministe dans l'âme, elle va devoir se battre pour que son rêve se réalise.
Les mots m'évitent, dès qu'ils me voient, ils prennent la fuite comme un banc de nuages noirs poussés par un vent propice. Il en suffit d'une quinzaine pour écrire un poème et je ne les trouve pas. Je suis au fond de l'eau, oppressé par le poids de tout un océan salé et froid, mes mots n'atteignent jamais le rivage...
Nous sommes faits de l'étoffe de nos rêves...
Je tombe toujours sous le charme des personnages quand je lis un roman de Auður Ava Ólafsdóttir. Elle n'a pas son pareil pour nous faire entrer dans l'ambiance de ses romans qui se passent tous en Islande (au moins en partie) et nous décrire à merveille la vie quotidienne des habitants de ce pays, le plus souvent méconnu du grand public qui n'a de lui que ses paysages de carte postale.
Dans les années 60, le pays vivait quasi exclusivement de la pêche d'où les difficultés pour les hommes de trouver un travail ailleurs que sur les bateaux.
Là-bas bien entendu, les années 60 ressemblent beaucoup aux années 60 de chez nous avec leur côté conservateur. Les idées féministes ont du mal à faire leur chemin, même dans les milieux intellectuels, où pourtant tout le monde en discute quotidiennement. Mais en parler ce n'est pas les accepter vraiment, ni les appliquer dans leurs propres vies : les hommes n'en sont pas encore capables. D'ailleurs, les femmes sont exclues de leurs cercles de discussion, c'est dire...
Le roman aborde aussi sans détour la cause homosexuelle à travers le personnage de Jon John, obligé de fuir son propre pays, pour trouver à peine un peu plus de liberté ailleurs.
Ainsi l'auteur met-elle en avant les contradictions de la nature humaine, mais elle le fait avec humour, légèreté, délicatesse, sans animosité ni agressivité, et à travers des personnages attachants, sincères et authentiques, emplis de tendresse et d'humanité. Son sens du détail nous captive dès les premières lignes et nous donne envie de tourner les pages très vite tout en savourant au passage de magnifiques moments de poésie, des dialogues réalistes, des situations quotidiennes certes, mais puissamment évocatrices. Le roman est parsemé de petites phrases et de poèmes ce qui ajoute à son charme.
Un roman que j'ai eu un grand plaisir à découvrir. Il a obtenu en 2019 le Prix Médicis étranger.
J'ai déjà lu de cet auteur :
Et vous ?