Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
J'ai découvert l'auteur Fabrice Caro (ou Fabcaro) par ses BD, dont deux ont été présentées sur ce blog : Zaï, Zaï Zaï et Moins qu'hier (plus que demain), deux BD que j'ai beaucoup aimé. J'ai donc eu envie de découvrir ce roman qui m'attendait à la médiathèque.
Je m'étais promis de ne pas lui écrire. Par une sorte de théorie qui veut que l'absence renforce la présence, qu'il faut nourrir la cristallisation comme on nourrit un animal de compagnie, créer le manque, laisser le champ libre au mystère. Que fait-il ? Où est-il en ce moment ? M'a-t-il déjà oubliée ? Ce n'était peut-être pas le bon choix...
A quoi ressemblaient les ruptures avant le portable ? A quoi ressemblaient les chagrins d'amour filaires à cadran circulaire ? On attendait des heures, près du téléphone, à espérer que Lucille nous rappelle, on creusait des tranchées dans le salon à force de l'arpenter en long en large, on vérifiait vingt fois de suite que le combiné était bien raccroché, car ça ne pouvait être qu'un incident technique, il n'était pas envisageable que Lucille ne rappelle pas...
Qu'attendent les opérateurs pour créer une fonction "Effacer à distance les messages que vous regrettez d'avoir envoyés avant que le destinataire ne les ait lus"?
Adrien passe la soirée en famille. Autour de la table, sont réunis ses parents ainsi que sa soeur et son futur beau-frère qui vont bientôt se marier...
Adrien vient d'envoyer un court message à son amie Sonia, dont il est terriblement amoureux, mais qui elle, a choisi de faire une pause dans leur relation...une pause qui dépasse à présent les 30 jours, c'est long ! Evidemment il regrette son texto trop court, sa ponctuation, sa banalité, les non-dits qu'il cache et qui n'expriment pas du tout son ressenti, d'autant plus qu'elle ne lui répond pas...et que l'attente devient, au fur et à mesure que se déroule le repas, quasiment insoutenable.
Remontent alors à la surface toutes les frustrations de sa vie, tandis que son futur beau-frère lui demande de faire un discours pour le mariage qui aura lieu dans un peu plus d'un mois, que sa mère sert à table son éternel gratin dauphinois pour accompagner le gigot, et que les discussions sur des sujets d'une grande banalité occupent les différents convives.
Adrien se promet d'appeler Sonia au dessert, si elle n'a pas répondu avant. Le dessert est toujours un gâteau au yaourt, c'est facile comme repère, pense-t-il.
Mais ce qu'il ne sait pas c'est que ce soir-là, c'est sa sœur qui s'est chargée du dessert et c'est une tarte poires-chocolat qui arrive sur la table !
Dans les repas de famille, par ma faute, nous avons toujours été un nombre impair à table. Je suis celui qui ne vient pas par deux, je ne suis qu'une moitié d'entité. Quand j'arrive, on jette un coup d'oeil furtif par-dessus mon épaule pour vérifier qu'il n'en manque pas un morceau. Voilà : j'ai toujours été impair. A cause de moi, on a du mal à couper le gâteau...
Comment se fait-il que les cérémonies de mariage soient des moments d'une infinie mélancolie alors qu'en toute logique ce devrait être l'inverse ? Pourquoi font-elles remonter à la surface tous les échecs, les manques, les regrets, les remords qui ont jalonné nos vies ?
Voilà un roman bourré de tendresse et d'humour dans lequel le lecteur passe du rire aux larmes. Bon j'exagère un peu là, mais c'est un roman à la fois drôle et terriblement émouvant !
Les personnages sont attachants et j'ai passé un excellent moment de lecture en découvrant ce roman désopilant à souhait.
Sophie la sœur ne se rappelle jamais qu'Adrien n'aime pas le poivron entre autre...De plus, elle lui offre chaque année une encyclopédie de quelque chose, même maintenant qu'on peut tout trouver sur internet, elle continue, persuadée parce qu'il ne l'a jamais démenti, qu'il adore ça et voue une véritable passion aux encyclopédies.
Ludo son fiancé qui a demandé à Adrien de faire un discours pour leur mariage, ramène toujours sa science et personne ne peut le contredire.
Les parents ne changent jamais rien à leurs habitudes. La mère soigne tout avec un jus d'orange (même les maux du cœur ?). Le père veut être complice et fait des clins d’œil, même quand cela n'a rien à voir avec le sujet de discussion du moment.
Bref vous l'aurez compris, les repas dans cette famille ne sont pas tristes mais suivent un déroulement immuable, sans aucun silence et chacun ne parle que de banalités pour ne pas s'attarder sur les sujets qui fâchent !
L'auteur n'a pas son pareil pour décrire le quotidien dans ses plus petits détails. Il nous fait rire en nous décrivant les situations absurdes dans lesquelles Adrien se fourre toujours depuis son enfance, les petites manies de chacun, les travers de notre société hyper-connectée.
Adrien, vous l'aurez compris, est incapable de dire non...Il nous livre ses réflexions, ses forces et ses faiblesses dans un monologue terriblement humain et touchant.
L'attente est très longue, et son esprit vagabonde en imaginant des situations improbables et des suppositions de plus en plus loufoques, comme nous savons si bien le faire souvent.
En parallèle, il nous livre quelques tentatives possibles de discours, autant de brouillons qu'il imagine jusqu'à trouver le ton juste qui sera seul capable pense-t-il, d'émouvoir l'assistance...
C'est un livre qui fait du bien. J'avoue que cela faisait longtemps que je n'avais pas autant ri toute seule lors d'une lecture, non pas que je me sois moquée des personnages, oh non c'est le contraire...ils sont terriblement humains et bon nombre de situations décrites ici, ne manqueront pas de vous rappeler, votre propre vécu familial.
...Et puis tu sais, ce n'est pas grave de se casser la gueule, tu te la casseras encore, très souvent même, crois-moi, parce la vie est un vélo rouge sans petites roues. Tu vas en manger du sable, jusqu'à l'indigestion, autant t'habituer au goût très tôt parce que tu vas avaler l'équivalent du Sahara...