Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
En tout homme se perpétue la mémoire de l'humanité entière. Et l'immensité de tout ce qu'il y a à savoir, chacun le sait déjà. C'est pourquoi il n'y aura pas de pardon...
Voici un livre que j'avais lu lors de sa sortie en 2010 et que je désirai relire et présenter sur ce blog, blog que je n'avais pas encore à l'époque de ma première lecture.
Messieurs, dit-il, la souffrance et la peur ne sont pas les seules clés qui ouvrent l'âme humaine. Elles sont parfois inefficaces. N'oubliez pas qu'il en existe d'autres. La nostalgie. L'orgueil. La tristesse. La honte. L'amour. Soyez attentifs à celui qui est en face de vous. Ne vous obstinez pas inutilement. Trouvez la clé. Il y a toujours une clé.
Aujourd'hui encore, je me demande par quelle aberration vous avez pu vous persuader que vos actions étaient meilleures que les miennes. Vous aussi, vous avez cherché et obtenu des renseignements, et il n'y a jamais eu qu'une seule méthode pour les obtenir, mon capitaine, vous le savez bien, une seule, et vous l'avez employée, tout comme moi...
L'auteur s'est inspiré d'un épisode réel de la bataille d'Alger. Il s'agit de l'arrestation de Larbi Ben M'hidi, un des chefs de la rébellion, responsable de terribles attentats (ici il prend le nom de Tahar).
Dans un cadre sordide et sombre, dont le lecteur ne devinera pas l'emplacement exact, il dresse le portrait de trois hommes réunis par la grande Histoire, et qui souffrent chacun à leur manière de ce qu'ils sont devenus.
Le héros principal du roman est le Capitaine Degorce, un chrétien convaincu, pris de remords pour ce qu'il a fait, et qui n'arrive pas à surmonter sa honte. Il n'arrive pas non plus à avouer ses fautes à sa femme, qu'il aime par-dessus tout, mais dont il reste éloigné depuis si longtemps qu'il ne sait plus comment lui avouer ses crimes. Il s'en tient donc à des propos totalement futiles dans les lettres qu'il envoie à ses proches. Son principal défaut, outre le fait qu'il donne les ordres, c'est donc en plus d'être hypocrite, qu'il se justifie sans cesse de ses actes, se posant des questions inutiles, cherchant ainsi une rédemption à laquelle il pense pouvoir prétendre.
Le lieutenant Andreani, se sent méprisé par le capitaine qui lui donne toutes les basses besognes. Il ne rêve que de se venger de celui qu'il a beaucoup trop admiré dans le passé. Et c'est 50 ans après qu'il va s'adresser à celui-ci et lui exprimer tout son mépris, tout en laissant dans ses propos transparaître par moment une certaine douceur, pour celui qu'il a tant aimé.
Tahar, enfin, est un prisonnier respecté pour son intelligence et dont la sagesse et la sérénité vont profondément marquer le Capitaine Degorce...qui en oubliera ce qu'il a fait.
Le thème de la torture et de la conscience des bourreaux qui la pratiquent n'a rien d'original, mais toute la force de ce roman provient du talent de Jérôme Ferrari, de son style et de son écriture particulière, et de cette manière époustouflante qu'il a de nous faire entrer dans son récit et de nous rapprocher suffisamment des personnages pour que nous nous posions des questions en même temps qu' eux.
C'est un roman intemporel très profond je trouve, sur le bien et le mal, le courage et la lâcheté des hommes, les limites entre la liberté ou sa privation, la culpabilité et la compassion, et l'espoir possible d'une rédemption.
L'auteur a voulu nous parler de manière générale des actes odieux perpétrés en temps de guerre et de leurs conséquences sur les victimes, comme sur les bourreaux, ce qui bien entendu n'excuse rien.
La construction de ce roman très littéraire est complexe mais abordable, car l'auteur sait parfaitement bien orchestrer son récit en faisant alterner les deux voix, celles du capitaine Degorce et d'Andréani, l'exécuteur des tortures.
C'est un roman fort qui n'est pas facile à lire tant le sujet est douloureux car il nous décrit la noirceur des hommes... mais je trouvais important d'en parler ici.
Le sang des nôtres et le sang que nous avons répandu ont été depuis longtemps effacés par un sang nouveau qui sera bientôt effacé à son tour...