Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Dieu Tout-Puissant, désolé mais maintenant je suis athée ; et d'abord est-ce que vous avez lu Nietzsche ? Ah, ce bouquin, quel bouquin ! Dieu Tout-Puissant, je vais jouer carte sur table avec vous. Je vais vous faire une proposition. Vous faites de moi un grand écrivain, je rejoins le sein de l'Eglise. Et s'il Vous plaît, Mon Dieu, encore un petit service : faites que ma mère soit heureuse...Amen
Il était trois heures du matin à peu près. Un matin incomparable : le bleu et le blanc des étoiles et du ciel étaient comme des couleurs du désert et je me suis arrêté pour les regarder tellement elles étaient douces et émouvantes ; à se demander comment c'était possible, pareille beauté...
Tout ce qui en moi était bon s'est mis à vibrer dans mon coeur à ce moment précis, tout ce que j'avais jamais espéré de l'existence et de son sens profond, obscur.
Nous sommes dans les années 30 en Californie. Les États-Unis sombrent dans la Grande Dépression. Mais les rêveurs se retrouvent tous à Los Angeles, la ville où tout est permis et où à défaut de fortune ou de bonheur, le soleil brille toute l'année.
Le récit fait suite à "La route de Los Angeles". Le lecteur retrouve avec plaisir Arturo Bandini, l'alter ego de John Fante. Il a 20 ans et rêve toujours de devenir un Grand écrivain. Il vient tout juste de s'installer dans un hôtel miteux où la taulière n'accepte pas les juifs et le tolère à peine et de loin, lui le latino-américain beaucoup trop brun, car fils d'immigrés italiens.
Il est plein d'espoir car sa nouvelle "Le Petit Chien Qui Riait" est enfin parue et lui a rapporté un peu d'argent...mais l'argent s'est envolé et a été trop vite dépensé ! Du coup il n'arrive pas à payer son loyer, crève de faim tout en mangeant des oranges, et attend que son éditeur l'appelle pour lui annoncer qu'une de ses autres nouvelles va être enfin publiée, mais le problème est que d'autres nouvelles il n'y en a pas ! Malgré l'admiration qu'il a pour son bienfaiteur, Monsieur Hackmuth (le directeur de publication) Arturo n'arrive plus à écrire.
Il comprend très vite que pour avoir quelque chose à raconter sur sa vieille machine à écrire, il faut qu'il sorte et affronte la vie...et surtout les femmes. Alors il va errer sans but dans les rues recouvertes de la poussière du désert proche, entrer dans les bars, côtoyer ses semblables.
Un soir, il va croiser sur son chemin la belle Camilla, une serveuse mexicaine pauvre qui ne sait pas lire, et il va lui déclarer sa flamme... à sa façon. Il est puceau, elle ne le sait pas ; il fantasme sur les femmes latino et blondes, elle est brune ; il rêve de leurs étreintes, mais il tremble à leur approche quand il ne s'enfuit pas carrément. Camilla en aime un autre, elle voudrait elle-aussi sortir de la pauvreté, mais sa rencontre avec Arturo va déranger ses plans et ses rêves.
De plus, elle est tellement impulsive qu'elle terrorise Arturo qui en devient balourd mais reste toujours aussi facétieux...et tellement maladroit qu'il en est touchant. Leur relation est très compliquée, tumultueuse et violente car ils ont en eux tous deux trop de fougue, d'orgueil, de préjugés, de haine, de passion et de sensibilité...
Quand j'étais môme au Colorado, c'étaient Smith, Parker et Jones qui me mortifiaient avec leurs noms horribles, qui m'appelaient Rital, Wop ou Macaroni ; c'étaient leurs enfants qui me faisaient du mal, tout comme je t'ai fait du mal ce soir...
J'ai vomi à lire leurs journaux, j'ai lu leur littérature, observé leurs coutumes, mangé leur nourriture, désiré leurs femmes, visité leurs musées.
Mais je suis pauvre et mon nom se termine par une voyelle, alors ils me haïssent, moi et mon père et le père de mon père, et ils aimeraient rien tant que de me faire la peau et m'humilier encore...
alors quand je te traite de métèque ce n'est pas mon coeur qui parle mais cette vieille blessure qui m'élance encore, et j'ai honte de cette chose terrible que je t'ai faite, tu peux pas savoir.
Alors je me suis mis à la machine et j'ai écrit sur tout ça, comment ça aurait dû être, ce qui aurait dû se passer, et je crachais ça en martelant les touches avec une telle violence que la machine n'arrêtait pas de s'éloigner de moi sur la table.
J'ai retrouvé avec grand plaisir le style empli d'humour, teinté d'un cynisme certain de l'auteur. J'aime aussi sa rage de vivre !
Il n'a pas son pareil pour transformer le réel, décrire de manière poétique des moments dramatiques, raconter la vie quotidienne de ces personnes si pauvres mais éperdues du désir d'être enfin reconnues comme de véritables citoyens américains. La blessure du racisme n'est jamais bien loin dans les écrits de John Fante.
Le récit est intense, tantôt passionné, tantôt empli de sensibilité et Arturo personnage central toujours à vif, tant il est sensible, tantôt loufoque, toujours tourmenté mais capable d'auto-dérision, est toujours terriblement émouvant...et attachant.
Encore un livre "écrit avec les tripes et le cœur" comme le disait de l'auteur, Charles Bukowski qui en a rédigé la préface, préface également présente dans l'édition ci-dessous dont je vous ai déjà parlé qui regroupe les trois romans que je vous ai présenté à ce jour...
"Demande à la poussière", "Ask the Dust" sous son titre original a été publié pour la première fois en 1939 par l'éditeur américain Stackpole qui fut poursuivi en justice par Adolf Hitler pour avoir publié une traduction anglaise de Mein Kampf sans autorisation. A la suite de quoi l'éditeur perdit le procès et fit faillite ce qui entraîna, l'échec commercial du roman de Fante.
Ce titre sera publié à nouveau en 1980 puis traduit en français et découvert par le public francophone en 1986. Un film au titre éponyme, tiré du roman, est sorti en 2006.
"Demande à la poussière"est considéré aujourd'hui comme faisant partie des deux meilleurs romans écrits sur Los Angeles, tant la ville y est présente et un personnage à part entière, avec "L'incendie de Los Angeles" (que je n'ai jamais lu) titre original"The Day of the Locust" de Nathanael West qui a lui aussi donné lieu à une adaptation cinématographique sous le titre "Le jour du fléau". Peut-être les cinéphiles le connaissent-ils ?
Los Angeles, donne-toi un peu à moi ! Los Angeles viens à moi comme je suis venu à toi, les pieds sur tes rues, ma jolie ville je t'ai tant aimée, triste fleur dans le sable, ma jolie ville.