Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Il me posa sur un lit de fleurs, marguerites et giroflées, myosotis et ancolies. Peu m'importaient les dégâts, seul m'importait le muguet qui caressait mon visage...
Je n'aurais jamais imaginé qu'un jour je finirais dans les bras d'un homme...tout en m'inquiétant de mes plantes !
Encore une fois, Tracy Chevalier nous propose de revisiter l'histoire à travers une oeuvre d'art. Ici les six tapisseries de la Dame à la licorne, que je n'ai jamais pu aller admirer au Musée du Moyen Âge, et que vous pouvez découvrir, si vous ne les connaissez pas, sur l'article de Wikipedia que la lecture de ce roman m'a donné envie d'aller consulter...
Nous sommes donc au Moyen Âge à Paris.
Si dans la véritable histoire, on ne sait toujours pas par qui ces tapisseries ont été commandées, ni chez quel lissier des Flandres elles ont été réalisées, Tracy Chevalier fait son choix.
C'est donc Jean Le Viste qui sera le commanditaire, les armes de sa noble famille apparaissant sur les tentures. Par contre, l'auteur invente de toute pièce le personnage du peintre qui réalisera les dessins : il s'agit de Nicolas des Innocents, un miniaturiste connu pour ses œuvres à la cour du Roi de France (Charles VIII).
Dans le roman, Nicolas des Innocents est donc invité à se rendre dans la belle demeure parisienne de Jean Le Viste, afin de prendre des mesures pour réaliser six tapisseries qui décoreront et réchaufferont les murs d'une grande salle de réception.
Au départ, Jean Le Viste désire orner ses murs de scènes de bataille, mais sa femme Geneviève, persuade le peintre de ne point satisfaire sa demande...
Le jour de sa visite, Nicolas des Innocents croise la belle Claude, la fille aînée du couple. Il en tombe amoureux... Vu qu'il n'est pas du même milieu, et qu'il aime un peu trop les jeunes femmes, elle ne peut être à lui. Il le sait mais ne s'y résout pas, elle non plus. Tout sera fait pour les éloigner l'un de l'autre et préserver la jeune fille de la tentation.
Tandis que sa famille fait tout pour l'éloigner de ce peintre un peu trop entreprenant et rustre à la fois, celui-ci se rend dans les Flandres dans la famille du lissier, dans laquelle il va vivre quelques temps pour superviser les travaux.
Là-bas, la vie est très différente et personne n'apprécie particulièrement l'orgueilleux dessinateur parisien, sauf la belle Aliénor, née aveugle, qui cultive amoureusement son jardin de fleurs, tout en aidant ses parents du mieux possible dans la réalisation des tapisseries...
" A quoi ressemble Notre-Dame de Paris ? demanda mon père. J'ai ouï dire qu'elle était encore plus grande que notre cathédrale".
Nicolas se mit à rire. "Votre cathédrale est une cabane de berger comparée à Notre-Dame. Notre-Dame, c'est le paradis sur terre. Elle a les plus belles tours, les plus formidables cloches, les plus éblouissants vitraux qui soient. Je donnerais tout l'or du monde pour en dessiner de semblables."
Ce roman choral est très intéressant !
L'auteur n'a pas son pareil pour nous décrire les ambiances si différentes entre Bruxelles (où vit le lissier et sa famille) et la vie parisienne. Comme d'habitude, elle sait particulièrement bien nous faire entendre les bruits, sentir les odeurs et ressentir les ambiances...
L'auteur aborde aussi les relations compliquées entre les hommes et les femmes qui varient selon leur milieu social. Les femmes ont du mal à être considérées pour ce qu'elles font. Au point de vue social, il y a un fossé énorme entre les riches et les pauvres qui n'arrangent pas les relations, ni la compréhension.
La diversité des personnages nobles ou artisans, servantes ou femmes de la noblesse, donne un rythme au roman dans lequel on ne s'ennuie pas. En effet l'auteur leur donne la parole à tour de rôle, nous permettant ainsi de mieux faire leur connaissance à travers leurs pensées les plus intimes.
Les personnages féminins sont les plus attachants. Leur vie n'était pas facile. Elles sont toutes étonnamment fortes et montrent un don de persuasion étonnant !
Claude Le Viste est déjà une jeune femme rebelle et prête à enfreindre les ordres de sa mère pour vivre sa passion amoureuse.
Aliénor, la fille du lissier, sait particulièrement bien faire fi de ses différences pour aider ses parents à l'atelier, cultiver son jardin de fleurs, travailler de nuit (puisque pour elle cela ne change rien) et aimer quand elle le désire...
Le personnage de Nicolas, si orgueilleux et prétentieux, homme à femmes, n'est pas du tout attachant car il se moque complètement des conséquences de ses folles nuits passées avec les jeunes femmes. Cependant son personnage a une place centrale dans le roman.
J'ai aimé découvrir les détails de la fabrication des tapisseries : le savoir-faire des lissiers est extraordinaire !
La minutie requise, les subtilités du changement de couleur, l'interprétation des dessins de l'artiste, tout est superbement expliqué. C'est une belle découverte que de voir toutes les étapes de la réalisation entre les dessins et la tapisserie finale.
La pression exercée par les riches pour obtenir leur commande sans tenir compte ni du contrat de départ, ni des délais proposés par les artisans, ni de la pénibilité au travail et des retards humains possibles, est tout à fait révoltante.
Quand on admire ces chefs-d'oeuvre et que l'on réalise tout ce que cela représente de travail humain, on ne pense pas à toutes ces petites mains qui se sont abîmées pour les réaliser, ni non plus à ces yeux qui se sont fatigués, n'apportant même pas la richesse à ceux qui les ont exécutés, et quelquefois, juste de quoi subsister...
J'ai aimé aussi croire que l'histoire qui nous est ainsi contée par Tracy Chevalier, est bien celle de la création de ces superbes tapisseries de la Dame à la licorne, tissées autour de 1500 et qui représentent les cinq sens, le toucher, l'odorat, le goût, l'ouïe et la vue...et pour la sixième sans aucun doute le libre arbitre, mettant ainsi la femme au centre de l'oeuvre, comme Tracy Chevalier la place au centre de son roman.
Ses doigts sont aussi habiles que sensibles. Je me dis parfois qu'elle a des yeux au bout des doigts. Elle est capable de distinguer la laine bleue de la laine rouge car les teintures donnent à la laine des textures différentes...
C'est là un grand jour pour le lissier qui voit avec émotion cette tapisserie à laquelle il a oeuvré depuis si longtemps...enfin prête à être retirée du métier. Comme nous travaillons toujours à des bandes de tapisserie de la longueur de la main, qui sont ensuite enroulées sur une ensouple en bois, nous ne voyons jamais la tapisserie dans son ensemble avant qu'elle soit achevée.
Il faut ajouter que nous travaillons sur le revers et ne voyons l'endroit qu'en glissant un miroir au-dessous pour vérifier le travail. Ce n'est qu'après avoir coupé les fils de chaîne et posé la tapisserie sur le sol que nous la voyons terminée. Nous contemplons alors en silence le résultat de notre labeur.
Vivre pareil instant est proche de la sensation que vous avez à manger des petits radis craquants et printaniers après avoir été condamné à des mois de vieux navets.
Voilà un roman que j'ai adoré lire et découvrir, un de plus de l'auteur dont j'ai déjà lu : " A l'orée du verger" ; "La dernière fugitive" ; et "La jeune fille à la perle".
Ce roman entre également dans le challenge de Philippe. Il s'agissait que le titre du roman comporte le nom d'un...