Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
J'ai en tout cas l'impression d'avoir joué de mon mieux le rôle que le hasard, ou le destin, ou le karma, ou Dieu avait choisi de me faire tenir. Nos commencements ne sont pas libres, bien que le soient jusqu'à un certain point-jusqu'à quel point ? - nos fins. A la vérité, et au risque de jongler avec les mots, je dirais que la vie ne me semble pas avoir de dessin (de dessein) défini. (Ou, si elle en a un, c'est à des profondeurs que nous ne pouvons pas atteindre).
Quand on parle de l'amour du passé, il faut faire attention, c'est de l'amour de la vie qu'il s'agit ; la vie est beaucoup plus au passé qu'au présent. Le présent est un moment toujours court et cela même lorsque sa plénitude le fait paraître éternel. Quand on aime la vie, on aime le passé parce que c'est le présent tel qu'il a survécu dans la mémoire humaine. Ce qui ne veut pas dire que le passé soit un âge d'or : tout comme le présent il est à la fois atroce, superbe, ou brutal, ou seulement quelconque.
Voici un livre que j'ai terminé il y a déjà un certain et que je ne vous ai pas encore présenté. Comme beaucoup de recueil d'entretiens, il se lit petit à petit...entre deux autres ouvrages.
Marguerite Yourcenar a accordé ces entretiens à Matthieu Galey entre 1971 à 1979. Le livre est paru pour la première fois en 1980 et a été traduit en anglais, en néerlandais, en italien et en allemand...
Il a provoqué une discorde durable entre eux. En effet, dès sa sortie, Marguerite Yourcenar a réalisé qu'elle s'était beaucoup trop livrée, voire "déshabillée", dans ces entretiens, ce qu'elle n'avait jamais fait auparavant. Elle a considéré aussi que le célèbre critique littéraire l'avait interrogé sur les sujets qui l'intéressaient lui, pas ceux qui correspondaient à ses préoccupations à elle. Enfin, c'est certain que dans le recueil, le lecteur sent bien qu'elle est plutôt autoritaire, et que lui veut la mener sur certains sujets qu'elle ne préfère pas aborder.
Grace Frick, sa compagne de toujours, et son jeune ami Jerry Wilson, firent tout pour que la discorde ne s'arrange pas. (Enfin je n'étais pas là !! C'est ce que j'ai lu sur le net !).
Le titre du livre est inspiré de la dernière phrase des célèbres "mémoires d'Hadrien" : "Tâchons d'entrer dans la mort les yeux ouverts". Mais les yeux ouverts c'est aussi l'attitude qu'a eu Marguerite Yourcenar, tout au long de sa vie. Elle a toujours eu en effet, sur le monde qui l'entourait, beaucoup de clairvoyance.
Celle qui a été la première femme à entrer à l'Académie française en 1981, et non sans mal, se livre donc ici à des confidences tant sur ses œuvres et sa création littéraire, que sur sa vie personnelle sans toutefois entrer, je le précise, dans des détails intimes.
D'origine flamande, née dans une famille bourgeoise, Marguerite Antoinette Jeanne Marie Ghislaine Clenewerck de Crayencour transformera son nom en Marguerite Yourcenar (anagramme de Crayencour avec un C en moins) pour publier ses premiers écrits à compte d'auteur dès 1921. Elle n'a que 18 ans !
Plutôt que d'entretiens, il s'agit en fait de conversations portant sur divers sujets comme son enfance, les personnes qui l'ont influencées dans sa vie, les livres qu'elle a lus ou écrits, son immense besoin de liberté, de découvertes, de voyages, ses passions, l'importance de la religion qui pour elle est "ce qui relie" l'homme à ce qu'il a été... et sera, son avis sur la politique, sur l'amour, et aussi sur sa vision de la mort.
Elle nous raconte ses premiers souvenirs d'enfance. Sa grand-mère est pour elle LA figure féminine marquante puisque c'est elle qui va l'élever. En effet, sa mère meurt dix jours après sa naissance.
Son père est un homme exceptionnel, très cultivé qui voyage beaucoup et qui la considérera très vite comme une adulte et partagera avec elle ses lectures, ses voyages et ses immenses connaissances. Elle se sent son égale. C'est un homme libre et indépendant, qui tient à sa liberté et qui a adopté comme maxime "On n'est bien qu'ailleurs". Il dit aussi très souvent quand elle lui soumet une difficulté passagère "ça ne fait rien, on s'en fout, on n'est pas d'ici, on s'en va demain", sans doute une phrase employée lorsqu'il était sous-officier de cuirassiers.
Il sera cependant un père aimant...et très présent pour elle. Il lui donnera toujours envie d'avancer dans la vie quels que soient les problèmes rencontrés.
Elle ne fréquentera jamais l'école et pourtant possédera elle-aussi une immense culture, mais sera une petite fille plutôt solitaire.
- C'était néanmoins l'enfance d'une petite fille solitaire.
- Jusqu'à un certain point. Enfin par à-coups, tantôt solitaire, tantôt très entourée d'autres enfants, de personnes chez lesquelles mon père faisait des séjours. Mais solitaire par moments, tout de même, oui, et je crois que l'habitude précoce de la solitude est un bien infini. Elle apprend à se passer des êtres. Elle apprend aussi à aimer davantage les êtres...
En 1939, après avoir vécu en Italie, elle part s'installer aux Etats-unis avec sa compagne, Grace Frick, qui deviendra la traductrice de son oeuvre, et avec qui elle restera jusqu'à la fin de sa vie. Elles s'installeront dans le Maine sur l'île des Monts-Déserts, en 1942.
Le lecteur est tout de suite invité à entrer dans son oeuvre immense par les personnages, qu'elle a le plus souvent choisi parmi ses proches ou au cours de ses voyages. Elle nous montre comment ils prennent forme et entrent dans sa vie pour ne plus jamais la quitter, ce qui explique aussi qu'elle nous les décrive aussi bien, qu'ils soient tellement présents et vivants pour le lecteur, qu'il nous semble côtoyer des personnes réelles.
Elle nous parle de l'acte d'écrire, des rituels, de la façon dont un auteur se documente et s'imprègne de l'ambiance d'une époque, avant de prendre la plume. Et du silence qu'il faut savoir faire en soi pour écouter ce que les personnages ont à dire...ainsi elle écrit facilement car elle a déjà "tout écrit en pensée."
Dans ce recueil, on découvre à quel point Marguerite Yourcenar est un être et un esprit libre et indépendant. Elle dit qu'elle laisse les pensées la traverser et les retranscrit tout simplement dans ses livres.
Elle fait preuve d'un grand humanisme. Elle est persuadée que tous les êtres sont importants non par leur possession mais bien par leurs actes, qu'ils soient riches ou pauvres, connus ou pas.
Elle a aussi un avis très marqué pour son époque concernant la planète et la nécessité de la préserver, de protéger la nature et la biodiversité (c'est elle qui a prévenu Brigitte Bardot du massacre des bébés phoques qui a fait tant de bruit ensuite dans les médias de l'époque). Je n'avais pas découvert cette facette de sa personnalité en la lisant.
Enfin, elle nous interpelle, en tant que lecteur : Que recherchons nous en lisant ? Et...à quel point nos choix de lectures sont-ils des miroirs qui nous révèlent à nous-même ce que nous sommes ?
Ce sont, vous l'aurez compris, des entretiens très intéressants qui m'ont fait réalisé à quel point Marguerite Yourcenar avait été une femme d'avant-garde, libre, courageuse, parfois seule à afficher des idées novatrices, comme ses préférences sexuelles, dans notre monde si intolérant et effrayé par la différence. Mais de sa vie intime, il n'en sera pas question ici.
Une belle "leçon" de sagesse parfois un peu pessimiste cependant. Je mets ce terme de "leçon" entre parenthèse car de leçons elle ne voulait justement, surtout pas en donner...à personne !
Des entretiens qui donnent envie de (re)parcourir son oeuvre. Pour une fois, mieux connaître l'auteur peut permettre de mieux la comprendre.
Une belle découverte faite lors de mon dernier Cercle de Lecture, puisque nous avions décidé de redécouvrir ensemble cet auteur.
Tout écrivain est utile ou nuisible, l'un des deux. Il est nuisible s'il écrit du fatras, s'il déforme ou falsifie (même inconsciemment) pour obtenir un effet ou un scandale ; s'il se conforme sans conviction à des opinions auxquelles il ne croit pas. Il est utile s'il ajoute à la lucidité du lecteur, le débarrasse de timidités ou de préjugés, lui fait voir et sentir ce que le lecteur n'aurait ni vu ni senti sans lui.
Mais voici de longues années qu'il ne se passe pas un matin où, en me levant, je ne songe d'abord à l'état du monde, pour m'unir un instant avec toute cette souffrance. Et on réussit pourtant à être heureux, parfois, malgré cela, mais d'une autre espèce de bonheur.
Retrouvez ci-dessous les "Nouvelles Orientales", un recueil de nouvelles de l'auteur, que j'avais présenté sur le blog il y a déjà presque 4 ans.
Nouvelles orientales / Marguerite Yourcenar - Dans la Bulle de Manou
Cela fait longtemps que je voulais me replonger dans l'ambiance de Marguerite Yourcenar... C'est parce que je suis tombée, en déballant des cartons de livres dans notre maison de vacances, sur la...
http://www.bulledemanou.com/2015/09/nouvelles-orientales-marguerite-yourcenar.html