Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Ce roman, qui vient d'obtenir le Prix FEMINA 2017, raconte l’histoire d’un triple meurtre qui a eu lieu en octobre 1941 dans le château d’Escoire, en Dordogne, au cœur du Périgord.
Georges Girard, sa sœur Amélie, et Louise la bonne, sont découverts sauvagement assassinés à coups de serpe (d’où le titre).
Le seul survivant Henry, le fils de Georges, est tout de suite inculpé car tout l’accuse...
De plus, il était le seul héritier des deux victimes et, manque de chance ou préméditation, il venait d’emprunter deux jours avant, l’arme du crime, et avait obligé son père à venir les rejoindre au château, alors qu’il n’avait pas l’intention d’y venir.
Aucune porte n’a été fracturée et les témoignages ne concordent pas.
Alors que tout le monde le pense coupable, il sera pourtant acquitté lors de son procès aux assises, en 1943, après 19 mois d’emprisonnement dans les conditions terribles de l’époque…
Maurice Garçon, son avocat, un ami de son père, a fait une plaidoirie remarquable et les jurés, convaincus de son innocence, ont à peine pris le temps de délibérer...
Henry Girard est libre, certes, mais il sera poursuivi toute sa vie par cette accusation et ne se remettra jamais de la perte de ses proches.
Que Maurice Garçon ait cru son client innocent ne prouve assurément pas qu'il l'était. Mais au moins que certains détails négligés par les enquêteurs permettaient de le penser. C'est pour essayer de les déterrer que je suis là, avec ma petite pelle...
Je ne suis pas du tout férue de fait divers et si l’histoire me touche c’est parce qu’Henry Girard n’est autre que Georges Arnaud, le futur auteur d’un livre qui nous a tous marqué, « le salaire de la peur » qu’il écrira des années après, suite à son errance en Amérique du Sud et qui sera porté à l'écran par Henri-Georges Clouzot, avec Yves Montand et Charles Vanel, et lui assurera son succès d'auteur. Mais c'est aussi parce que l'auteur n'a pas son pareil pour nous raconter cette terrible histoire...
Philippe Jaenada est donc reparti sur les terres du massacre. Il s’est plongé dans les archives, les journaux de l’époque, les correspondances trouvées dans le dossier (plus de mille pages).
Le narrateur qui n’est autre que l’auteur nous raconte son voyage vers ses terres encore aujourd’hui "sauvages", où il va falloir qu’il se fasse accepter par les villageois pour aller recueillir les impressions transmises de génération en génération, sur ce meurtre atroce et s’approcher du château pour s’imprégner des lieux.
En parallèle, nous avançons dans la connaissance de la vie du jeune Henry, tel qu’elle a été décrite au procès.
Il aurait été mal aimé par sa famille car il était laid mais surtout parce que différent, trop grand, trop maigre, trop sensible, trop intelligent (il a le bac à 15ans) et surtout trop rebelle et irrespectueux…
C’est vrai qu’il a été profondément perturbé par la mort prématurée de Valentine, sa mère, d’une tuberculose, mort dont il ne se remettra jamais et qui aurait eu pour conséquence son rejet de sa famille trop riche, trop bourgeoise, trop guindée…
Mais c’est vrai aussi que Georges, son père, était dans un grand désarroi : il avait perdu sa jeune sœur, puis sa femme. Il ne savait pas comment gérer son fils…
En plus d’être rebelle, le jeune Henry aurait eu, alors qu’il était étudiant, une vie de « dépravé », buvant, sortant, dépensant sans compter mais partageant ses largesses avec les plus pauvres que lui, ou ses maîtresses de passage, puis avec sa femme Annie, qui à son tour ne sera pas du tout acceptée par la famille…
Enfin c’est ainsi qu’il est décrit par les divers témoignages…un rebelle prêt à tout pour obtenir de l’argent, même à menacer sa tante et incapable de respecter ses proches et en perpétuelles disputes avec eux, ce qui s’avérera totalement faux.
Et il sera acquitté…
Le lecteur découvre alors, dans la seconde moitié du roman, que beaucoup de pistes n’ont pas été poursuivies, que de nombreux témoins de l’affection qu’Henri portait à ses proches n’ont jamais été convoqués au procès, que la scène de crime elle-même, n’a pas été étudiée de près comme elle aurait dû l’être…et même que certains faits relevés par les brigadiers, arrivés les premiers sur les lieux le jour du crime, ont carrément été contestés par les plus hauts gradés.
Tout cela paraît inouï, inimaginable dans un cadre aussi grave que celui d'une instruction et d'un procès qui vont décider de la vie d'un jeune homme, et pourtant : non seulement il était très facile d'ouvrir les volets de l'extérieur puis de pousser la fenêtre, mais, un peu mieux, les volets et la fenêtre étaient ouverts le matin...
Voilà un auteur que je découvre. Journaliste pour « Voici » que par ailleurs je ne lis jamais, il a un véritable don pour nous raconter les événements, le déroulé de l’enquête et nous faire douter de la culpabilité comme de l’innocence de Georges Arnaud.
L’humour de l’auteur et sa capacité d’autodérision agrémentent ce roman qui se lit avec beaucoup de plaisir, malgré les scènes quasi insoutenables qui décrivent les meurtres.
Il faut savoir qu’à l’origine, l’auteur a rencontré le petit-fils de Georges Arnaud et c’est pour lui qu’il a eu envie de reprendre l’enquête et de réécrire l’histoire…
L’auteur, sous la voix du narrateur, mêle l’histoire du meurtre et le procès, son enquête, son voyage sur les lieux avec, ses propres sentiments sur l’histoire, sa vie familiale, ses propres livres ou lectures, lus ou écrits.
Il nous refait le procès de ce fait divers qui aurait pu être une grave erreur judiciaire, vu que l'accusé risquait la peine capitale. Il reprend tous les témoignages, étudient de près les phrases qui ont été sorties de leur contexte, les replace dans les lettres, ou les conversations qui ont été réellement prononcées, et retranscrites lors des interrogatoires, mais qui apparemment n’ont jamais été lues en totalité (sauf par l’avocat).
Le lecteur découvre alors un Henry totalement différent du portrait qui a été brossé, un être attentif aux autres, solidaire de leurs difficultés et profondément généreux même s'il a commis quelques erreurs dans sa vie.
Je ne veux pas rejoindre le camp de ceux qui passent leur temps à regretter un temps où leurs parents regrettaient un temps où les vieux regrettaient un temps où tout était mieux et il restait de vrais hommes (au bout du compte : Cro-Magnon, quel bonhomme, et les soirées devant la grotte à mordre dans le mammouth ; on savait vivre !), mais les fous furieux dans le genre de Georges Arnaud, qui ne laissent rien passer et sautent à la gorge de toutes les injustices à leur portée, qui y consacrent leur vie, il me semble qu'il n'y a plus de quoi monter une équipe de basket...
Le romancier confie avoir passé deux ans pour aller chercher au-delà des apparences, les informations qui lui ont permis de raconter l’histoire.
Une belle façon de rendre son honneur à un homme bafoué qui a porté sur lui toute sa vie les soupçons de tous parce que, peut-être à cause de la guerre, l’enquête a été bâclée et que les rumeurs populaires en ont fait le coupable idéal.
Ce roman, qui se lit comme un thriller, est un coup de cœur pour moi, malgré ses 600 pages, et me donne envie non seulement de relire les œuvres de Georges Arnaud, mais aussi de découvrir les autres romans de Philippe Jaenada.
Le seul livre que j'ai envie d'écrire, c'est la rencontre d'un père et de son fils. Mais ce bouquin-là, je le garde pour moi.