Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Peut-on avoir un coup de coeur pour un roman terrible et poignant qui nous parle des drames de la seconde guerre mondiale ? Ma réponse est oui...
Il y a eu tant de parution sur ce sujet que j'ai failli passer à côté de celui-là.
Une amie lectrice me l'avait conseillé et la chronique éclairée de Zazy (dont vous trouverez le lien, en fin d'article) m'a convaincu.
Dans ce roman, l'auteur a choisi de faire revivre les derniers instants du régime nazi...un pan de l'histoire connu, un sujet terrible, traité ici avec beaucoup d'originalité.
"Vous aurez une vie de reine et puis...et puis...Mais qu'est-ce c'est ...?"
La vieille cartomancienne s'était rejetée en arrière, levant des yeux de folle.
"Non ! Non...c'est affreux ! "
Magda rumine le souvenir de cette sorcière arc-boutée sur sa cyphose.
"C'est affreux ! Non...Partez, partez !" ordonna-t-elle en plaquant ses deux mains dans le dos de Magda, pour se débarrasser d'elle et de tout ce qu'elle charriait. C'était il y a trente ans.
Elle voudrait savoir ce qu'on dira d'elle plus tard. Quelle image laissera-t-elle dans la mémoire du siècle ? Elle n'a jamais blessé personne. Elle n'a jamais haussé la voix. Elle a été à la hauteur. Elle s'est battue. Elle a menti. Elle a collé au personnage qu'on avait voulu faire d'elle. Digne de son rôle.
Ce roman reprend en effet l'histoire bien connue de Magda Goebbels, celle qui a été surnommée la première dame du IIIe Reich. Dans Berlin assiégé, Magda Goebbels, épouse du ministre de la propagande nazie, Joseph Goebbels, doit descendre dans le bunker d'Hitler avec ses six enfants.
Là, tous les dignitaires nazis se terrent comme des rats, attendant de vivre leurs derniers instants. L'ambiance est lourde. Elle a gravi avec eux les échelons du pouvoir. Elle a été adulée par le peuple, montrée en exemple et a pu oublier son enfance.
Elle s'apprête aujourd'hui à mettre fin à ses jours...
Mais avant, elle a encore des choses terribles à accomplir, et elle est assaillie par le doute. Elle qui a toujours voulu être parfaite et qui a d'ailleurs donné l'image de la famille parfaite, selon les critères nazis, va devoir affronter ses peurs.
Le lecteur fait plus ample connaissance avec sa vie passée, son enfance sans père, sa vie solitaire dans un pensionnat en Belgique, puis, son adoption par le nouveau mari de sa mère, le sien ne l'ayant jamais reconnu. Nous revivons son entrée dans le parti nazi, puis sa propulsion au sein de l'entourage d'Hitler...
Pendant ce temps, des centaines de femmes, d'hommes et d'enfants parmi lesquels Aimé, Fela, Judah et bien d'autres, marchent vers une destination inconnue. Ils sont épuisés. Ils ont survécu à la folie des camps de la mort...
Leur camp vient d'être libéré par les russes mais rien n'est terminé pour autant pour eux, car ils vont devoir encore se battre pour survivre, subir la violence des soldats qui veulent effacer toute trace de leur existence, et celle de la population locale allemande.
Parmi eux, une enfant silencieuse accompagne Fela, sa mère...c'est Ava. Elle est juive, elle se cache et tente de porter secours à celle qui l'a cachée et protégée depuis des années. Sa mère a été grièvement blessée à la jambe suite aux expériences qui ont été pratiquées sur elle dans le camp, par des médecins nazis.
Nous les suivons dans leur périple, nous voyons l'histoire se dérouler à travers ses yeux d'enfants.
La petite Ava sait que Fela transporte avec elle un grand secret, un trésor même...des lettres de déportés passées de mains en mains depuis leur départ.
Parmi cette correspondance, il y a les lettres écrites à sa fille, par un certain Richard Fredländer, le père adoptif de Magda Goebbels. Elles sont très précieuses pour l'Histoire...mais ça, Ava ne le sait pas encore, mais elle le pressent.
Richard Fredländer a fait partie des premiers déportés et n'a pas survécu à la folie. Les lettres, seuls passages fictifs du livre, nous en apprennent un peu plus sur son arrestation, sa déportation à Buchenwald et sa survie dans les camps ainsi que les conditions terribles de vie de tous les déportés.
Ces lettres font le lien. Elles sont enfermées dans un rouleau de cuir et deviennent au fil du récit le symbole des milliers de voix qui ne peuvent plus s'exprimer pour raconter l'horreur vécue, et pour qu'on ne les oublie pas...car si les voix s'envolent, les écrits restent.
Ma fille,
J'aimerais tant que mes mots aient un de sens à tes yeux. Non qu'ils aient du poids. Je n'y prétends pas. Je souhaiterais qu'ils retiennent un instant ton attention et confondre ton silence avec un simple malentendu.
Mes lettres sont des boomerangs. Elles me sont toutes revenues...
Magda Goebbels aurait pu sauver son père : elle ne l'a pas fait pour se préserver, et parce qu'elle avait menti sur ses liens éventuels avec des juifs...
Aucun jugement n'est porté ni sur elle, ni sur ses actes, sur les actes des nazis en général, mais un lent cheminement de la pensée permet au lecteur de mieux appréhender sans toutefois ni les accepter, ni les prôner, les actes de cette femme devenue la femme la plus connue du IIIe Reich.
Elle a balayé d'un revers de main, par pure ambition ceux qu'elle avait aimé (et ceux qui l'avaient aimé), non seulement son père adoptif Richard Friedländer, mais aussi son premier et grand amour, Haïma Viktor Arlozoroff, assassiné en 1933 à Tel-Aviv.
Elle nous apparaît comme une femme froide, calculatrice et détestable jusqu'au bout et encore plus, par son acte final, celui de sacrifier ses enfants qui n'y étaient pour rien. L'aîné, Harald, sera sauvé parce qu'il a été fait prisonnier. Il sera le seul survivant. Aujourd'hui, vous trouverez facilement cette information sur le net, il est devenu riche et possède la plupart des actions du groupe BMW.
Je n'ai éprouvé aucune empathie pour elle et je suis sans doute naïve, mais j'ai été choquée de lire, ici ou là, que certains lecteurs en avaient eu...
Elle avait voulu être une autre, par pure ambition, apparaître comme une femme modèle. Mais au fond d'elle, elle voulait être plus moderne et libre que les femmes du peuple qu'elle méprisait.
Son destin l'a rattrapé...
Elle a porté beaucoup d’enfants. Sept en tout : Harald, Helga, Hildegarde, Helmut, Holdine, Hedwig, Heidrun. Les prénoms des six derniers commencent par un « H », à la gloire de ce régime qui a fait d’elle une grande dame. Celui aussi de Harald, son aîné, né quand rien n’était encore, avant le putsch de la Brasserie, avant les premiers faits divers qui feraient parler d’eux. Ses enfants servent la grande cause. La sienne, bien sûr, mais aussi celle de l’Allemagne tout entière. Ils seront sacrifiés. Ils tomberont avec elle.
Combien de femmes ont osé avant elle ? Pourvu que l'Histoire retienne son sacrifice. Qu'on ne parle d'elle que comme de la dernière grande dame. Et que personne, jamais, ne souille cette image-là ! Elle voudrait que tout meure en surface. Qu'il ne reste plus rien. Plus de mémoire. Rien.
L'auteur est journaliste. Il nous livre ici un premier roman poignant, basé sur des faits réels, un témoignage différent de tout ce que nous avons pu lire jusqu'ici sur les camps, richement documenté.
La construction du récit est très intéressante. Trois voix, trois regards sur les événements, trois femmes d'âge et de conditions différentes. L'écriture toute en finesse ne pourra que vous toucher et vous surprendre jusqu'à la fin.
J'ai été captivé par la façon dont l'auteur aborde cette terrible histoire avec la bonne distance et des mots simples mais terriblement humains. La rencontre d'Ava avec la journaliste Lee Meyer, inspirée de Lee Miller, fait partie des moments inoubliables de ce roman poignant.
Lire ce livre...c'est notre devoir de mémoire, pour ne pas oublier que des rêves de milliers de déportés ont été piétinés. Ils sont là bien présents entre les lignes et nous avons du mal à les effacer.
Ava pleure des larmes rentrées, enfouies. Elle crie, elle hurle sans émettre un seul son parce qu'elle retient tout dedans, au bide, au creux, dans la paume de ses mains serrées comme les mâchoires d'un étau. Elle est toute seule maintenant.
Vous pouvez lire l'avis de Zazy ci-dessous...
Spitzer Sébastien - Ces rêves qu'on piétine - ZAZY - mon blogue de lecture
Ces rêves qu'on piétine Sébastien Spitzer Les éditions de l'Observatoire Août 2017 304 pages ISBN : 9791032900710 4ème de couverture : Sous les bombardements, dans Berlin assiégé, la femme ...
http://zazymut.over-blog.com/2017/12/spitzer-sebastien-ces-reves-qu-on-pietine.html