Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Tu es resté plus de trois nuits à cet endroit où le chemin s'efface...
Ce que tu ignorais, c'est qu'aucun œil familier ne pouvait plus te voir. Leurs corps avaient été empilés non loin des caféiers du village, une fosse barrait le sol comme une cicatrice profonde faite à la terre.
Les objets ont une force insoupçonnée en eux. Il suffit de les sortir de leur tiroir ou que nous sachions qu'ils sont là pour qu'une horde de souvenirs nous assaillent : ce sont nos racines qui nous parlent et nous font découvrir ce que nous sommes...
Mon Dieu que cette odeur t'a rappelé des choses...Tu as fermé les yeux, et aussitôt des images se sont mises à défiler, des papillonnements de lumière.
Dormir dans cette valise t'avait protégé du froid, des bêtes sauvages, des pluies torrentielles et de cette brume épaisse qui te cernait. Recroquevillés, tes pieds étaient tous deux calés sur les bordures intérieures. Tu sentais les cailloux aiguisés à travers la peau épaisse, mais tu dormais quand même...
Suzanne anime des ateliers d'écriture à l'école où elle a été elle-même élève. Elle demande à chacun des élèves d'apporter un objet de famille car elle veut que les enfants s'expriment sur leur vie personnelle et sur leur vécu familial.
Ce qu'elle ne sait pas en proposant cet atelier d'expression, c'est qu'elle met dans l'embarras Arsène, un jeune garçon tutsi, originaire du Rwanda qui a été sauvé par une ONG et adopté en France par un couple d'enseignants.
Seul rescapé de son village, il ne possède qu'un seul objet pouvant attester de ses origines, une valise en cuir qui a appartenu à son grand-père et que sa grand-mère lui a mise dans les mains, avant de l'obliger à se sauver...juste avant le massacre des habitants du village.
Sa grand-mère lui a sauvé la vie, la valise aussi. Elle lui a servi d'abri et de lit pendant sa longue fuite.
Alors que l'enfant ne se sent pas d'écrire, Suzanne accepte de l'écouter...
Les mots peuvent -ils aider à exorciser le passé et à cicatricer des plaies ?
Vous étiez deux sur ce chemin. Seul, tu n’aurais pas survécu.
L'auteur revient avec une plume légère, mais sensible, sur le génocide rwandais, décidément exploré à cette rentrée littéraire.
Le récit de la fuite d'Arsène est émouvant et le lecteur ressent la force de ce petit garçon, son instinct de survie, son courage aussi et les blessures profondes que lui a infligé la vie.
Le roman alterne le récit de l'errance du petit garçon (à la deuxième personne du singulier) transportant toujours sa valise avec lui, valise qui le sauvera des hommes et de leur cruauté mais aussi des bêtes sauvages, avec le récit de l'enfance de Suzanne qui a, elle aussi, des plaies à panser, même si ses souffrances paraissent dérisoires à côté de celles d'Arsène. Elle a perdu son père alors qu'elle était toute petite et jamais personne ne lui a dit qu'il n'avait pas "disparu" mais qu'il était mort.
Deux visions de la mort différentes mais qui occasionnent toutes deux des traumatismes irréparables...
Dans le cas d'Arsène, c'est une vision trop précoce d'une horrible réalité, enfouie tant elle est terrible, et sur laquelle il ne peut dire aucun mots, puis le sentiment d'être abandonné, de se retrouver seul au monde, la peur de mourir, et celle de la nuit source de tous les dangers, la faim, la soif....
Dans le cas de Suzanne, c'est un espoir qui ne s'éteindra jamais car des mots n'ont pas été prononcés. Même devenue adulte, elle attendra toujours son père. Il lui faudra retourner sur les lieux où elle a habité et redécouvrir dans la cache près de la cheminée, qu'elle avait elle-même imaginée, le petit mot d'adieu qu'elle lui avait écrit lorsque sa mère a décidé de déménager...
Il lui faudra elle-aussi ressortir des objets...un rasoir, une pipe, pour voir resurgir cet homme qu'elle a tant aimé. Elle arrivera enfin à faire son deuil.
L'auteur nous livre ici une histoire poignante mais toute en délicatesse.
La façon dont les deux personnages se rapprochent, la patience et la pudeur avec lesquelles Suzanne aide le jeune garçon à se livrer et à parler pour la première fois de ce qu'il a vécu, est tout à fait intéressante.
C'est un roman court et très facile à lire qui, à l'inverse de "Petit pays" dont je vous ai parlé récemment, pourra être mis dans les mains de lecteurs adolescents dès 14-15 ans. Il n'offre aucune difficulté de lecture et peut être considéré comme une première approche de ce drame contemporain.
Les lattes du parquet grincent toujours, réaniment les détails d'une vie passée. A l'époque, la mère tapait sur une machine à écrire, ses doigts agiles sautaient sur les touches. Ce bruit était devenu un bruit domestique, tel le sifflement de la cocotte ou le bruit de l'aspirateur. Il y avait un son qui euphorisait par-dessus tout Suzanne, c'était le bruit de la serrure de la porte d'entrée audible de chaque extrémité de l'appartement. Les yeux rieurs, bien que fatigués, de son père la scrutaient comme un animal affamé d'amour.