Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
C'est si facile de parler de moi sans Lila ! Le temps s'apaise et les faits marquants glissent au fil des années, comme des valises sur le tapis roulant d'un aéroport : je les prends, je les mets sur la page, et c'est fini.
Raconter ce qui lui arriva pendant ces mêmes années est plus compliqué. Alors le tapis roulant tout à coup ralentit, puis accélère, prend un virage trop serré et sort des rails. Les valises tombent et s'ouvrent, leur contenu s'éparpille ici et là. Certaines de ses affaires finissent mêlées aux miennes, je suis obligée de les ramasser puis de revenir sur la narration qui me concerne...
"Le nouveau nom" est le tome 2 de la saga intitulée "L'amie prodigieuse" dont le quatrième tome vient de paraître en Italie et le troisième bientôt en France.
Nous avions laissé Lila le jour de son mariage avec Stefano, le riche épicier. Elle est sur le point de partir en voyage de noces, puis de s'installer dans le superbe appartement acheté par son mari, loin du quartier. Mais la fête tourne au drame quand elle s'aperçoit que Stefano lui a menti en s'associant en cachette avec Marcello et Michele Solara, les deux camorristes du quartier qu'elle déteste depuis toute petite. Car elle ne peut plus nier que la camorra règne sur le quartier et surtout que son frère, son père et son mari n'en sont que de tristes victimes...
Déçue, elle prend alors en grippe Stefano, le rejetant avec violence et provoquant coups et scènes conjugales sans fin.
Pourtant elle accepte de travailler dans la nouvelle épicerie qu'il a ouverte depuis peu, suscitant la jalousie de sa belle-soeur, puis dans le magasin de chaussures ouvert en ville par les frères Solara.
C'est alors que, désespéré qu'elle ne lui donne pas de fils, Stefano décide de lui payer des vacances au bord de la mer.
Lenù, qui avait été tenue à distance par Lila parce que celle-ci ne voulait pas lui montrer les marques de coups dûes aux violences conjugales, est invitée à quitter son emploi d'été à la librairie pour l'accompagner. La mère et la belle-soeur de Lila sont aussi du voyage.
Voilà que les deux amies retrouvent à Ischia, le beau et mystérieux Nino dont Lenù est amoureuse depuis qu'elle l'a croisé dans les couloirs du lycée.
Lila, libérée de son époux, va peu à peu tomber sous le charme du jeune homme qui l'aime depuis sa tendre enfance à l'époque où il habitait encore le quartier. Elle ne va pas hésiter une seconde à user de ses charmes pour le conquérir.
Lenù arrivera à un tel point de jalousie que leur belle amitié va voler en éclat ! Car malgré sa réussite scolaire, obtenue grâce à son sérieux et son assiduité, elle doute toujours autant d'elle-même.
Leur chemin de vie les sépare...
Lila s'aperçoit que sa vie va prendre un autre tournant, qu'elle s'est mariée trop jeune et que, en voulant vivre l'amour fou, elle s'est précipitée encore une fois sans réfléchir.
Tandis que Lenù au contraire, se rend compte que, vu son milieu d'origine, elle n'est rien, comparée à ses camarades de l'école normale pour qui la réussite est évidente et obligatoire. Elle se déprécie et déprime, multiplie les flirts sans lendemain depuis que sa relation avec Lila est devenue conflictuelle.
J'avais vite compris que Franco et sa présence avaient occulté la réalité de ma condition sans la changer...J'aurais toujours peur : peur de dire ce qu'il ne fallait pas, d'employer un ton exagéré, d'être habillée de manière inadéquate, de révéler des sentiments mesquins et de ne pas avoir des idées intéressantes.
Mais c'est sans compter sur des talents inconnus qui vont la révéler au monde qui l'entoure. La réussite en effet, se profile à l'horizon...
Voilà un second tome qui met à mal l'amitié des deux jeunes femmes.
L'immense besoin d'être aimée et reconnue de Lila, l'amène à commettre de graves erreurs. Lenù par contre va prendre ses distances et ne pas chercher tout de suite à la revoir.
La violence est encore terriblement présente. Toutes les relations humaines sont exacerbées et les personnages entretiennent des rapports passionnels.
Les personnages secondaires sont toujours présents mais certains vont être plus importants que d'autres, qui tombent un peu dans l'oubli au fur et à mesure que Lenù s'éloigne de son quartier...
Les deux jeunes adolescentes sont devenues des jeunes femmes prêtes à tout pour connaître le bonheur, échapper à leur condition et se sentir enfin libres.
...le peu de fois où je les avais vu ensemble, j'avais toujours été surprise. Quelque chose d'indéfinissable passait entre eux qui, confusément, devait venir de l'enfance. Je crois qu'elle avait confiance en Enzo, elle sentait qu'elle pouvait compter sur lui. Quand le jeune homme prit sa valise et se dirigea vers la porte restée ouverte, elle hésita un instant et puis le suivit.
Avec force et sensibilité, l'auteur nous décrit ce monde rigide des années 60 où les traditions prédominent, alors que pointent en Europe les prémisses de la libération des femmes qui elles aussi veulent être des êtres libres de leur vie.
Les deux amies ont trouvé toutes deux leur propre méthode pour briser le déterminisme social qui leur colle à la peau.
L'originalité de ce tome réside à nouveau dans les relations entre les deux amies, les conflits qui les opposent et les moments forts qui les rapprochent, ainsi que les détails de leur vie quotidienne.
L'auteur nous livre ici une analyse pertinente du rôle et du poids du déterminisme social dans leur destinée.
J'avais intégré l'acharnement méthodique de la recherche universitaire qui soumet à la vérification la moindre virgule, ça oui et je le démontrais lors des examens ou dans le mémoire que je rédigeais. Mais de fait, je demeurais complètement démunie, acculturée à l'excès, privée de cette cuirasse qui leur permettait, eux, d'avancer d'un pas tranquille. Le professeur Airota était un dieu immortel qui avait donné à ses enfants des armes magiques bien avant la bataille.
Le récit est construit à la perfection : tous les événements s'enchaînent et le lecteur avale cet énorme tome de 554 pages sans s'en apercevoir.
C'est donc encore une fois, un témoignage très fort qui décrit bien le prix à payer par les jeunes femmes pour avoir le droit de s'émanciper mais qui heureusement n'est pas dénuée d'espoir et nous donne envie de lire la suite de la saga.
Dans l'inégalité, il avait quelque chose de beaucoup plus pervers, et maintenant je le savais. Quelque chose qui agissait en profondeur et allait chercher bien au-delà de l'argent...
Dans quelques mois, il existerait du papier imprimé, cousu et collé, rempli de mes mots et avec mon nom sur la couverture-Elena Greco, moi, le point de rupture d'une longue chaîne d'analphabètes ou de semi-analphabètes, un nom obscur qui brillerait maintenant pour l'éternité.