Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
J'ai vingt-deux ans. Je m'appelle Cameron Atuli. Qu'ai-je bien pu faire, ou que m'a-t-on fait pour que je décide de cette suppression d'une partie de ma mémoire ? Et pour qu'Aldani House, qui fonctionne toujours sur un budget serré, finance la chose ?
Mon corps ne me donne aucun indice, sauf...mais je ne veux pas y penser. De toute manière, je n'ai pas vraiment envie de savoir pourquoi la mémoire a été effacée. Je peux toujours danser, c'est tout ce qui compte.
Nous sommes en 2030, dans un temps proche du notre à présent, mais ce n'était pas le cas en 1998, lorsque ce roman est paru pour la première fois aux USA, ou en 2001, lors de sa première traduction en français (Flammarion /collection "Imagine").
Tous les pays doivent faire face à une chute vertigineuse de la fertilité qui est survenue brutalement dix ans auparavant. Il est reconnu mondialement à présent qu'elle est due à l'emploi de produits chimiques et en particulier aux perturbateurs endocriniens. Aux USA où se déroulent l'histoire, le grand basculement a eu lieu, entendez l'inversion de la pyramide des âges. Il y a maintenant plus de personnes âgées que de jeunes gens en âge de procréer, ce qui accentue le phénomène. Les naissances sont rarissimes et les riches n'arrivent plus, même en échange de beaucoup d'argent, à se procurer un enfant à adopter. Quand aux pauvres, ils savent que ce rêve est impossible pour eux. Leur désir d'enfant est tel qu'il n'est pas rare de croiser dans les rues des poussettes avec de petits animaux, chiens ou chats, habillés comme des enfants et traités comme tels par leurs "parents adoptifs".
La vieillesse est donc la norme. Les jeunes représentent désormais pour le pays une ressource nationale précieuse qui est protégée mais aussi exploitée.
C'est dans ce contexte particulier que Shana Walders, une jeune appelée de l'armée américaine, assiste à une scène incroyable, lors de l'évacuation d'une zone devenue dangereuse, suite au déraillement et à l'incendie d'un train transportant des produits chimiques près de Washington. Ce qu'elle entrevoit dans la cage que transporte un des hommes évacué, juste avant l'explosion de sa maison, et dont elle va chercher à prouver la véracité, va la faire passer pour une menteuse et donc une personne non fiable. A cause de cela, et suite à son procès, Shana va voir son rêve d'intégrer un jour l'armée, voler en éclat.
Sur sa route, un soir de désœuvrement, Shana va croiser Cameron Atuli, un jeune danseur de ballet homosexuel qui, de son côté, a subi un effacement de la mémoire, suite à une opération dont il ne se souvient pas. Il cherche à comprendre qui il est, et pourquoi ceux qui l'entourent ont l'air d'en savoir plus sur lui et sur ce qui lui est arrivé. Mais ce qu'il aime avant tout, c'est la danse et Shana a toutes les peines du monde à l'obliger à coopérer car il est impliqué directement... et je ne vous dirai pas pourquoi. Lui ce qu'il veut avant tout, c'est continuer à danser et il ne veut pas risquer de voir sa vie bouleversée comme l'a été celle de Shana.
Voulant prouver qu'elle est de bonne foi et que ce n'est pas sa faute si elle a vu ce qu'elle n'aurait pas du voir, Shana va se rapprocher de Nick Clementi, un médecin célèbre, conseiller auprès du gouvernement, qui était présent lors de son procès. Il est très fatigué car il est atteint d'une maladie incurable, mais elle va réussir à titiller sa curiosité. Il va enquêter de son côté et va tout faire pour aider les deux jeunes gens.
Les scientifiques ont en effet oublié en chemin que sans éthique, leurs découvertes peuvent mener à toutes les dérives possibles...et à toutes les folies. Il n'y a pas plus dangereux que les manipulations génétiques surtout lorsqu'elles sont a priori interdites, mais finalement soutenues en secret par un gouvernement qui explique que c'est pour la bonne cause. En effet, les dirigeants ne peuvent (=veulent) pas, vu l'argent en jeu, éradiquer véritablement les causes du problème qui menace pourtant l'humanité entière à court terme.
Sous prétexte de trouver des solutions rapides face à la baisse de la natalité, les pires déviations sont possibles...et ce que notre trio va découvrir fait froid dans le dos !
Le comité et moi ne sommes pas sur la même longueur d'onde, mais cela ne s'arrange pas. Ils vont jusqu'à refuser de constater les causes de la crise de la fertilité. J'ai beau m'escrimer à leur montrer des études démontrant que la stérilité humaine est causée par l'accumulation des perturbateurs endocriniens que nous avons lâchés dans l'environnement, rien à faire.
Des études fascinantes, pour quiconque les lirait. Mais la plupart des gens préféraient regarder ailleurs.
Quand je suis arrivé à la réunion du Comité consultatif, les positions étaient déjà prises. De très vieilles positions _ même de nos jours, alors que beaucoup d'entre nous sont vieux, et que l'on pourrait penser que nous en sommes lassés...Je l'ai senti à la minute même où je suis entrée dans la salle du comité.
Mais la fille, cette gosse en tenue quasi militaire, n'avait pas la moindre idée de ce qui se passait. Ils allaient la sacrifier sans le moindre scrupule, l'envoyer, ignorante et désarmée, au-devant de la cavalerie lancée au galop. J'ai fait ce que j'ai pu pour éviter ça jusqu'à ce que la fougue et la passion de la jeunesse la poussent à se jeter sous les sabots des chevaux.
Nancy Kress, que je ne connaissais pas, est une autrice de Science-Fiction célèbre outre-atlantique. Elle a obtenu plusieurs prix mais je ne l'avais jamais lu. C'est en voyant ce roman sur les tables de nouveauté de ma petite médiathèque (c'est une réédition je le rappelle) que j'ai eu envie de faire sa connaissance.
Dans son oeuvre, elle développe souvent des thèmes autour des biotechnologies et s'intéresse particulièrement à leurs conséquences, et en particulier aux enjeux sociaux et humains qui entourent leur développement. Elle est donc en quelque sorte une lanceuse d'alerte car, dans ce roman de science-fiction, elle appuie l'histoire sur des expériences scientifiques que nous savons aujourd'hui possibles. Ses propos nous obligent à nous poser des questions sur notre société et ce que nous voulons qu'elle devienne dans les décennies à venir. La baisse de la fertilité masculine est observée scientifiquement de nos jours et nous ne connaissons pas encore toutes ses causes possibles...donc, celles qui sont développées dans ce roman, sont tout à fait vraisemblables.
La Science est présentée comme dangereuse à cause de ses dérives, non contrôlées et non contrôlables ! Sans éthique, la science ne peut apporter que le chaos.
La société dépeinte dans ce roman est donc plutôt sombre avec son vieillissement généralisé et les difficultés des jeunes à procréer et à fonder une famille pour ceux qui le désirent. Mais il est intéressant de voir qu'elle s'est organisée autour de la vieillesse afin de faciliter les déplacements, la vie quotidienne mais aussi en proposant aux rares enfants par exemple, des poupées qui représentent des personnes âgées (bien éloignées donc de nos Barbie et autres poupées modernes).
Malgré quelques petits défauts vite oubliés (l'humanité a déjà colonisé Mars par exemple ce qui n'apporte rien à l'histoire décrite), l'intrigue se tient et le roman se lit comme un thriller. Le style de l'autrice est simple, le ton plutôt direct et sans fioriture, parfois cru, mais l'ensemble est efficace et donne envie de poursuivre notre lecture.
L'histoire alterne les voix des trois principaux personnages, Shana et Cameron s'expriment au présent et Nick au passé comme s'il racontait l'histoire une fois les énigmes résolues. Le suspense va crescendo et les découvertes sont distillées au fur et à mesure, juste comme il faut pour nous donner envie d'en savoir plus. Il y a cependant quelques scènes vraiment violentes en particulier lors de la visite des laboratoires.
Au départ, je n'ai pas aimé la personnalité de Shanna un peu trop caricaturale avec son côté jeune femme moderne révoltée, impulsive et instable, ses faiblesses de jeune orpheline, et sa rage viscérale qui la mène à être contre tout, contre les vieux, contre l'autorité, contre elle-même d'ailleurs. Mais, je dois reconnaître qu'il fallait un tel personnage pour servir de fil directeur à cette histoire, car sans sa pugnacité, rien n'aurait été découvert et mis au jour. De plus, elle va peu à peu s'attacher au vieux professeur et même être capable de le respecter.
C'est un roman facile à lire, qui met en avant des thèmes graves et d'actualité, et qui nous oblige à nous questionner sur ce que nous voulons pour l'avenir de nos enfants et de la planète.
Ce n'est pas un livre triste mais cependant, à chaque page, il manque la présence des enfants que les substituts ne peuvent pas remplacer. Il faut savoir que certaines questions ne trouveront pas de réponse et que la fin est ouverte, laissant libre choix au lecteur d'imaginer ce que chacun des personnages va devenir et ce qu'il adviendra de la société et des hommes.
Voilà donc une écrivaine américaine que je serai contente de découvrir à nouveau à l'occasion, si je croise une de ses nouvelles, car elle en a écrit beaucoup ou un autre de ses romans.
La lecture de ce roman me permet de participer encore une fois au Challenge Objectif SF chez Sandrine ICI.
Le lendemain après-midi, Nick et moi allons faire une promenade dans les bois autour du chalet. Il avance d'un pas mal assuré en s'appuyant sur sa canne. Elle possède toute une panoplie de gadgets médicaux, des cellules photo électriques et un système d'alarme, ainsi que des patchs de premiers soins...
A une centaine de mètres du chalet, nous nous asseyons sur un arbre abattu baigné par la lumière d'automne. Les montagnes qui nous entourent offrent un véritable festival de couleurs...