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Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...

Le nom sur le mur / Hervé Le Tellier

Gallimard, 2024

Gallimard, 2024

La montagne est à la fois vaste et sauvage, elle semble imprenable sinon par une armée, et l'on pourrait, en cas d'attaque, fuir aussi bien par les combes que par les sommets.
La vie y est rude : dans cette grange où se cachent les maquisards, on ne peut pas faire de feu, les rations sont maigres et l'armement limité. Tous les résistants ont témoigné de ce triptyque du froid, de la faim et de la peur...

L'histoire commence lorsque l'auteur achète, en 2020, une maison (en fait un ancien relais de poste) dans la Drôme. En retirant des plaques émaillées, conservées sur un mur, il découvre un nom, André Chaix, gravé sur le crépi. Il ne connaît rien de cet homme et, comme il est nouveau venu dans cette région, il cherche à en savoir plus. Il retrouve très vite ce même nom sur le monument aux morts en hommage aux Résistants et son « enquête » commence. 

Toute l'action se situe dans la Drôme entre Montjoux (plus précisément le hameau de la Paillette) et Dieulefit.  

André Chaix était un jeune résistant engagé dans les FFI (les Forces Françaises de l'intérieur).  Il n'avait pas voulu faire le STO (Service Obligatoire de Travail), et avait décidé de rejoindre le maquis de La Lance.  Il est mort le soir du 23 août 1944 : il avait 20 ans, 2 mois et 30 jours. Il était monté dans un camion pourtant baptisé "l'espoir" mais ce camion, sur la route de Montélimar, vers Grignan, a malencontreusement croisé la route d'une automitrailleuse allemande appartenant à la 11e Panzerdivision. Le général De Gaule venait de demander à tous les maquisards de se retrouver dans la vallée du Rhône.

Pour reconstituer la courte vie de ce jeune résistant, l'auteur pose des questions autour de lui, consulte des archives. Des proches d'André lui donnent une petite boîte contenant des effets personnels. Elle avait sans doute été conservée toutes ces années par Simone, sa fiancée. A l'intérieur peu de choses : une carte d'identité,  des lettres écrites à Simone, des tracts de la résistance...des vestiges émouvants que l'auteur partage en insérant dans le récit de nombreuses photos d'époque. 

Ainsi André était apprenti céramiste et adorait son métier. Il faisait sa formation à Dieulefit et l'auteur en profite pour nous parler de cette petite ville, des personnes célèbres qui y ont séjourné, de l'engagement de ses habitants, de l'école qui cachait des enfants juifs comme à Izieu...

André était un fils aimant pour sa famille, et partageait beaucoup avec son jeune frère.

Il était amoureux de Simone et lui écrivait des mots doux et enflammés qui parlaient de leur avenir. Comme tous les jeunes, ils sortaient et allaient nécessairement danser ou au cinéma. L'auteur émet alors des hypothèses sur les films qu'ils ont pu voir ensemble. La programmation est connue et facile à retrouver pour lui, elle était d'une année en retard sur la celle de la capitale.

Au fur et à mesure de l'avancée de son "enquête", l'auteur nous livre dans ces pages quelques éléments de la vie de ce jeune homme mais il les replace, de manière très concrète, dans le contexte historique et sociologique de l'époque, et vice versa.

Finalement, le lecteur ne saura pas pourquoi ni par qui, le nom d'André a été ainsi gravé sur ce mur, traversant ainsi les années pour arriver jusqu'à nous, mais il apprendra beaucoup sur la vie quotidienne dans ces lieux retirés de la Drôme...

Quand un événement fait basculer notre existence, c'est souvent des années plus tard qu'on en prend la mesure. J'ai été éjecté de l'enfance par un film, "Nuit et brouillard" d'Alain Resnais, vu au ciné-club du lycée...J'avais douze ans et je n'étais plus que questions et colère. J'ai trouvé certaines réponses. La colère, la rage, même, ne sont jamais retombées. Il est bon qu'elles restent intactes.
Le nazisme n'est pas une page comme les autres de l'histoire de l'humanité. Tant mieux s'il est impossible d'en parler sereinement...

Comment les Allemands pouvaient-ils prétendre ne rien savoir de l'horreur des camps, de l'extermination des juifs ?
Et s'ils savaient comment ont-ils pu l'accepter ?
Ces deux questions simples, qui valent aussi pour les Français, un élève de seconde...les posa à son professeur d'histoire en avril 1967 après un cours sur le troisième Reich. L'enseignant eut une idée étrange : recréer l'Allemagne nazie, à l'échelle de sa classe et sur une semaine seulement..

Je ne peux résumer ce livre intelligent et émouvant, ni les faits intimes de la vie de ce jeune homme, dont finalement nous ne saurons que peu de choses, ni les idées développées par l'auteur lors de ses nombreuses digressions, sans nuire au plaisir que vous aurez à découvrir cette courte lecture (166 p. à peine), intense mais tellement édifiante. L'histoire d'André est finalement un prétexte_ car ne vous attendez pas à tout savoir sur lui, il est un nom sur un mur ou sur un monument aux morts, comme tant d'autres personnes trop tôt disparues, mais derrière ces noms, justement, nous oublions souvent qu'au-delà des vies stoppées en pleine jeunesse, il y a toute une histoire. Se rappeler cette histoire et pourquoi elle n'a pu traverser les ans, est à mon avis, notre premier devoir d'être humain. 

L'auteur a tout de suite su qu'il lui fallait raconter la vie d'André parce qu'elle avait un côté romanesque et universel à la fois, et qu'elle traversait des pages de notre Histoire durant la Seconde Guerre Mondiale qui étaient importantes pour mieux comprendre comment et pourquoi tant de jeunes gens se sont engagés comme maquisards au péril de leur vie, alors qu'ils menaient dans leurs campagnes, des vies quasi ordinaires.

Il aurait pu bâtir son récit comme un hommage à un homme mort, mais au contraire il a décidé de se placer du côté de la vie et de nous parler d'André Chaix vivant, inventant parfois au passage des rencontres probables ou au contraire improbables.

Le livre est donc à la fois un récit, un témoignage, une "biographie" non romancée et une sorte d'essai historique sur l'Occupation par l'Allemagne nazie, le gouvernement de Vichy, la censure qui a touché tous les artistes en particulier dans le monde du cinéma, la déportation et toutes les conséquences de la guerre sur la population. Les principales actions militaires ainsi que les différentes organisations sont minutieusement décrites, les principaux sigles décryptés (j'en avais oublié certains...). 

L'auteur s'est considérablement documenté pour donner des détails concrets et a su les restituer pour les rendre accessibles à tous . Ainsi la vie quotidienne de ce petit coin de France n'a plus de secrets pour nous, ou presque. 

En citant de nombreux exemples, l'auteur nous interpelle sur notre capacité en tant qu'humain à nous laisser influencer pour le simple bonheur rassurant d'appartenir à un groupe, un besoin qui peut nous éloigner de nos propres valeurs fondamentales, dissoudre nos propres opinions au point de nous les faire oublier, et qui peut parfois nous mener à commettre le meilleur comme le pire. Il prend en exemple des expériences édifiantes comme celle conduite par un enseignant en Californie qui a donné naissance à un film, "The Wave" en 1981, entre autre. Il nous cite en exemple des chanteurs qui ont fait des tournées en Allemagne, et de nombreux romans ou films qui ont été écrits ou tournés durant ces années-là, et ont été, diffusés ou pas, ensuite.

Parler de la Seconde Guerre Mondiale, du nazisme, de la déportation, de l'Occupation, de la collaboration comme de la Résistance et de la libération, est plus que jamais d'actualité quand on voit dans quel monde violent nous vivons, un monde dans lequel la différence n'est plus une force ou un enrichissement puisqu'elle fait peur, dans lequel certains peuples se croient supérieurs aux autres au point de décider de les détruire.

Bien entendu, l'auteur rend un bel hommage à tous ceux qui comme André ont vu, avec courage et détermination, leur vie bouleversée ou stoppée en pleine jeunesse et tous ceux qui ont œuvré pour notre liberté. Il s'interroge aussi sur le sens de l'engagement pour ces jeunes et pour nos jeunes d'aujourd'hui. Et cet émouvant hommage est prétexte à nous raconter toute une époque avec ses côtés sombres ou plus lumineux.

J'ai aimé le ton que l'auteur emploie dans ce récit, sa simplicité, sa délicatesse et sa sincérité. J'ai aimé la manière dont il se met en retrait en nous proposant de sauter des pages, le fait qu'il dise, "là je le sais",  parce que j'ai trouvé telle ou telle information et là par contre, je peux supposer mais je me trompe peut-être ou alors carrément "je ne sais pas". J'ai aimé ses digressions car elles replacent la vie de ce jeune homme dans le contexte d'une époque, en plus dans une région que je connais et dont je connais une partie de l'histoire puisque le grand-père de mon mari a été également résistant.

C'est un auteur dont je vois souvent passer le nom dans la blogosphère et que je ne connaissais que pour ses chroniques. Je le découvre en tant qu'écrivain avec ce livre. Je sais à présent que je continuerai à le lire car je l'ai trouvé particulièrement honnête dans ses dires et intéressant dans les réflexions qu'il suscite. 

Un livre important pour ne pas oublier les méfaits du totalitarisme en ce jour de commémoration du 8 mai 1945, date qui a marqué la fin de la Seconde Guerre mondiale. 

Retrouvez d'autres avis sur Babelio, ICI, certains positifs chez Keisha par exemple ICI , c'est elle qui m'avait donné envie de le lire, d'autres plus mitigés comme chez Brigitte (Ecureuil Bleu) ICI  qui aurait aimé s'attacher davantage à André, ce qui n'a pas été le cas.

Les chiffres ont ceci de terrible qu'à partir d'un certain nombre on ne sait plus ce qu'ils signifient...

S’en souvenir : les fascismes marchent plus vite que n’importe quelle démocratie.

Et puis la Résistance est loin d'être un corps chimiquement pur. C'est une nébuleuse qui prendra du temps pour trouver son centre, si elle le trouva jamais. Certains luttent contre les envahisseurs allemands, d'autres contre le nazisme, et ensemble ils lutteront contre le ‘'Boche''. Ce but minimal et commun va tisser des liens improbables entre des hommes et des femmes aussi singuliers, aussi uniques, qu'un ouvrier et poète arménien nommé Missak Manoukian, une professeur agrégée communiste, Lucie Aubrac, ou un Camelot du roi mauracien et antisémite, comme le nom moins héroïque secrétaire de Jean Moulin, Daniel Cordier -qui évoluera profondément jusqu'à se décrire à la fin de la guerre comme ‘'presque communiste''.

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P
Un roman qui m'est inconnu, mais qui est certainement très intéressant.
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F
Bonjour Manou.<br /> La guerre qui est monstrueusement vorace de tant de vies peut aussi donner un sens à quelques de ces vies... Combattre, résister , s'opposer à l'infamie, braver la mort et aussi en être la proie.... un terrifiant et en même temps honorable sacrifice....<br /> Oui, vivant aujourd'hui, 80 ans après ces événements, on peut se demander si tout ces sacrifices ont encore un sens pour ceux qui font fi de la vie d'autrui, portés par la haine et la violence... Heureusement il y a encore ces commémorations citoyennes, républicaines pour que l'on n'oublie pas... Devoir de mémoire à entretenir car les rangs de ces vétérans sont aujourd'hui très clairsemés....<br /> Je retiens ce titre pour une prochaine lecture.<br /> Amitiés.
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F
Bonjour, je ne connais pas cet auteur, le sujet est intéressant, je te souhaite une bonne soirée, bisous
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T
J’aime beaucoup l’écriture de cet auteur. Le livre me semble vraiment intéressant mais je sature un peu sur ce thème. Désolée
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B
Merci pour ce partage Manou qui nous renvoie à l’importance du devoir de mémoire en ces temps où la guerre est aux portes de l'Europe. L’Histoire a tant à nous apprendre. Le passé raconté pour mieux appréhender le présent.
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A
J'avais écouté une interview de l'auteur lors de la sortie de ce livre, et je n'avais pas eu envie de le découvrir.
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F
Repéré à sa parution parce que j'aime beaucoup l'auteur, et je me souviens aussi du billet de Keisha. Merci pour le rappel. Ton billet m'a bien donné envie de me plonger dans cette "enquête".
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T
Salut,<br /> J'ai eu des parents dans la résistance et qui ont fait aussi 14-18 c'est pourquoi je respecte les résistants quelque soit leur opinion.<br /> On a un nouveau pape : LEON XIV<br /> Il fait beau alors la Tiotte est au jordin pour soigner ses rosiers.<br /> A part ça rien de nouveau .<br /> BONNE JOURNEE<br /> Tiotte et Tiot
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T
Merci de me rappeler ce titre, que j'avais oublié de noter dans ma liste, ce que je vais faire tout de suite.
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V
évidemment tentée ! ça fait un moment que je veux lire cet auteur dont j'avais apprécié L'anomalie. Je vais chercher à me procurer ce titre, merci !
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M
Bonjour Manou,<br /> Un ouvrage qui semble intéressant, je vais tâcher de me le procurer.<br /> Bisous.<br /> Bon après-midi,<br /> Mo
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R
Merci pour cette présentation tant d'actualité en ces jours. Un passé qu'il ne faut pas oublié même si c'est un passé difficile a comprendre...Bises bonne journée
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M
Le nazisme n'est pas une page comme les autres...<br /> C'est difficile de voir revenir les mêmes idées, les mêmes horeurs maquillées sous des mots facétieux mais on reconnait leurs mensonges et leur ségrégation, leur volonté de soumettre les gens !
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L
Un livre qui me tente. Tout ce qui touche à la seconde guerre mondiale m'intéresse beaucoup<br /> Bisous et bonne journée
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S
Tres joli choix pour ce 8 mai. Il y a tant d'anonymes courageux, c'est bien de leur redonner un nom et un visage.
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K
Chic, je t'ai tentée et tu as aimé, cela se sent. Des livres comme cela, je sais tomber dessus, pour mon bonheur.
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B
C'est un auteur dont j'apprécie la plume.
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D
Merci de nous présenter ce livre en ce jour de commémoration, avec un résistant qui aurait pu rester inconnu, et que l'auteur a mis en lumière. Le fascisme avance hélas tellement vite, et comme tu le soulignes, l'envie d'appartenir à un groupe peut tellement vite faire oublier les valeurs.
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V
Je note, je pense que ce livre me plairait, merci. Gros bisous Manou. cathy
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C
toujours d'actualité, plus que jamais dirais-je, le moment en ce 8 mai de relier passé et avenir, hier j'ai visionné "les résistantes" qui parlaient aussi des choix difficiles à faire quand vacille le monde ... <br /> amitié
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