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Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...

Et vous passerez comme des vents fous / Clara Arnaud

Actes Sud, 2023

Actes Sud, 2023

L'ours charriait avec lui des siècles de mythologie, convoquait des terreurs archaïques. Le débat dépassait l'enjeu de sa présence, il s'agissait du rapport de la société au monde sauvage, à ce qui échappait au champ du prévisible...
Le trou de l'Ours, la vallée des Montreurs d'Ours, le port des Ours, la toponymie des lieux était pourtant ici marquée par leur présence. L'ours était là, il était un voisin, il appartenait à ces vallées...

Gaspard est un berger vivant dans les Pyrénées, à Arpiet, où il se prépare pour monter les troupeaux à l'estive. Comme beaucoup de bergers modernes, il a eu un autre métier qu'il a à présent délaissé, et après avoir voyagé, il est revenu s'installer dans ses Pyrénées natales, avec femme et enfants. Il est un simple employé qui s'occupe des bêtes des éleveurs locaux lorsque ceux-ci, trop âgés, ne veulent plus monter à l'estive ou que leurs enfants ne prennent pas la relève. Gaspard a obtenu leur confiance car il a été formé par Jean, le berger poète qui est devenu son ami, mais ne veut plus monter tout l'été là-haut, maintenant qu'il a 80 ans. 

Son angoisse est palpable car l'année précédente, Gaspard a vécu un drame dans les montagnes, que le lecteur découvrira au fur et à mesure de l'histoire, suite à l'attaque du troupeau par un ours. Ce terrible accident le hante, mais il a besoin de remonter là-haut, de respirer dans sa montagne, de prendre du recul avec sa famille qu'il aime tant, mais qui l'étouffe. 

Une fois installé, il profite au maximum de cette montagne qu'il aime tant pour sa beauté, malgré sa rudesse. L'été s'écoule lentement et il a beaucoup de travail pour s'occuper de son immense troupeau de plus de 800 têtes. Il y a toujours quelques maladies à surveiller, des blessures à soigner, des naissances à superviser. Il est seul avec ses chiens et la vieille mule qui ne le quitte jamais et l'a aidé à monter ses provisions, mais il est heureux.

Gaspard aperçoit inévitablement l'ourse et son petit qui la suit toujours de près. Elle va de temps en temps prélever une brebis mais sans affoler le troupeau ou les chiens comme elle a pu le faire l'année précédente.

Pendant ce temps, Alma a le projet d'étudier le comportement des ours afin de trouver une réponse adaptée qui réconforte les éleveurs de la région et leur permette de cohabiter le plus harmonieusement possible avec la vie sauvage. Elle est éthologue et fait partie du Centre National pour la biodiversité. Les ours la fascinent et elle a hâte de mieux connaître ces montagnes, elle qui a voyagé jusqu'en Alaska.

Alma croise de temps en temps le berger ainsi que l'ermite qui vit dans une vallée adjacente mais, elle se tient à distance pour ne pas perturber leur vie quotidienne. Elle n'hésite pas à dormir à la belle étoile pour rester sur son poste d'observation, note tous les faits et gestes des ours quand elle a la chance de les apercevoir dans un carnet. Il y a un ours adulte dans les parages mais elle voit plus souvent l'ourse, magnifique, accompagnée de deux petits, puis d'un seul, ce qui inquiète beaucoup Alma, car elle sait que les mâles n'hésitent pas à tuer les petits d'une ourse, afin de provoquer chez elle une ovulation qui leur permettra de s'accoupler...nuisant ainsi au développement même de l'espèce.

Alma se fait la plus discrète possible au village et pourtant sa présence est mal vue par certains habitants qui la surnomment la "fille aux ours" pour les plus gentils d'entre eux. Ce sont presque tous des éleveurs, ou parents d'éleveurs, ou encore des chasseurs qui eux, veulent avant tout éradiquer les ours de leur montagne. Elle est critiquée par derrière (ou on l'admire c'est selon) et elle retrouve des insultes indélébiles écrites sur la carrosserie de sa voiture.  Elle est épuisée de devoir se battre aussi avec ses supérieurs dont François, qui veut des résultats immédiats alors que pour étudier de près le comportement d'un animal, il faut avant tout...du temps.

En parallèle de leur histoire, et en alternance, le lecteur suit le périple de Jules, un jeune montagnard né dans le village et qui en 1883 capture un ourson femelle, directement dans la grotte où il a hiberné avec sa mère, le dresse et l'emmène en Amérique pour y faire fortune, une fois son spectacle mis au point, et obtenu sa carte de saltimbanque...

Il s'arrêta un instant pour refaire son lacet, puis regarda alentour, le monde obtus, les crêtes auxquelles il avait accroché ses rêves quelques années plus tôt, leur verticalité suscitait toujours en lui un désir viscéral...
Suis-je encore capable de protéger les bêtes ? Et le troupeau, aura-t-il la mémoire de cette nuit ?

Alma ne pouvait s'empêcher d'être fascinée par cette ourse magnifique, immense, qui semblait avoir toujours un coup d'avance sur les humains, mettant à mal leur volonté de contrôle. Et chaque fois qu'elle arpentait la montagne, une pensée inavouable au comptoir du café lui venait : cette ourse était une reine, elle aimait l'idée de vivre sous son règne.

C'est ce poème de Hovhannès Chiraz, poète arménien du 20e siècle, qui a inspiré l'autrice pour le titre de son livre. On le retrouve en tête des trois grandes parties qui le composent :  Remonter ; La part sauvage ; Les ordres de la nuit.

Depuis sa sortie, je voulais lire ce livre d'autant plus que j'avais vu passer de nombreuses chroniques élogieuses et qu'une amie m'avait dit l'année dernière, que c'était son livre préféré de l'année...

Voilà qu'il m'attendait enfin à la médiathèque ! Et je n'ai pas été déçue ! 

Nous étions en paix comme nos montagnes
Vous êtes venus comme des vents fous

Nous avons fait front comme nos montagnes
Vous avez hurlé comme des vents fous

Éternels nous sommes comme nos montagnes
Et vous passerez comme des vents fous.

"Impromptu" de Hovhannès Chiraz, poète arménien du 20e siècle

L'autrice s'est considérablement documentée et a passé du temps en montagne dans les Pyrénées mais aussi à l'étranger, avant d'écrire ce roman. Ses nombreux voyages lui ont permis de s'imprégner de la nature sauvage et elle sait donc de quoi elle parle. 

Voilà donc un roman magnifique dans lequel se croisent trois histoires.

Il démarre avec l'histoire de Jules le saltimbanque qui, au siècle dernier, perpétue la coutume de la vallée d'enlever un ourson pour le dresser (lui ne tue pas la mère mais beaucoup le font pour simplifier l'enlèvement et prendre le petit sans se mettre en danger). On le suit dans ses difficultés au moment du dressage, puis dans sa traversée de la France, son séjour en Angleterre et enfin son arrivée en Amérique. Ces pages sur le début du 20e siècle sont tout à fait édifiantes et témoignent d'une époque révolue durant laquelle l'animal n'était qu'une bête de foire qui rapportait de l'argent au dresseur. Il était loin de tenir compte du bien-être animal et les détails autour du dressage et de la maltraitance de l'animal, sont tout simplement révoltants.

Gaspard, le berger, est une belle personne. Il est attachant et respecte profondément la nature qui l'entoure. Il est fasciné par la beauté de l'ourse et serait bien incapable de lui faire du mal même s'il sait qu'elle est responsable de l'accident qui le hante. 

Alma est une jeune femme d'aujourd'hui, ouverte, curieuse et pugnace. Passionnée par son travail, elle tente de tenir à distance les discours engagés de ceux qui pensent que l'ourse est avant tout un animal dangereux à abattre. 

Je pensais au départ que Gaspard et Alma auraient l'occasion de se croiser davantage, il n'en est rien. Ils se voient de loin, elle vient se présenter lors de sa première virée pour qu'il sache qui elle est, et puis plus rien. Ils s'acceptent l'un l'autre, vivent dans la même vallée mais ne communiquent pas, ne se dérangent pas, se respectent à distance.

Tout au long de ces pages, l'autrice nous montre à quel point les peurs ancestrales liés aux animaux sauvages sont ancrées en nous à cause de notre culture et de notre éducation. La réintroduction de ces animaux exacerbent les tensions au sein des populations locales. Elle nous interroge sur notre rapport à la vie sauvage tout en rendant un bel hommage au travail des éleveurs et des bergers que nous comprenons.

Elle ne prend pas partie. Elle nous laisse entrevoir qu'il est possible de laisser l'ourse prélever sa part et vivre sa vie. Elle parle avec beaucoup de délicatesse des difficultés posées par la cohabitation des ours avec l'homme, donne les différents points de vue et cela ne peut qu'enrichir notre propre réflexion face au vivant et à la place que nous les humains, voulons et voudrons bien laisser aux animaux sauvages...pour que nos propres enfants et petits-enfants connaissent les joies et les merveilles de la nature

 

Les personnages de ce roman sont attachants. J'ai vécu auprès d'eux des moments inoubliables et je sais désormais d'où viennent les vents fous qui traversent nos montagnes qu'elles soient pyrénéennes ou pas. Il en est de même dans nos campagne car alors que je venais de terminer les dernières pages de ce roman, il y a quinzaine de jours à peu près, au marché de ma petite ville, tout le monde discutait avec le berger local, du loup qui a été vu dans le village d'à côté, à quelques kilomètres à peine. Et les mots prononcés étaient stupéfiants et édifiants, autour de son stand de vente de yaourt de brebis...et pas si éloignés de ceux de ce village des Pyrénées.

Bien entendu, ces vents fous sont aussi une conséquence du dérèglement climatique qui dans ce livre prend l'aspect d'une sècheresse anormale poussant le berger et ses brebis à monter toujours plus haut et avant l'heure et à redescendre plus tôt ensuite dans la vallée quand il n'y a plus rien à manger pour ses bêtes ou qu'un incendie a tout ravagé autour de lui.

Et ils sont avant tout liés aux décisions arbitraires prises sans concertation avec les principaux intéressés par des gens qui vivent loin de la nature, le plus souvent en ville. A nous de trouver des solutions pour contrer ces vents fous avant qu'ils ne le deviennent plus gravement encore.

Vous vous en doutez j'ai aimé cette immersion dans la montagne avec sa beauté, sa rudesse, sa poésie, et aussi la vie pastorale à proximité des bêtes, l'entente avec les chiens qui d'un simple regard savent ce qu'ils ont à faire. Quoi qu'il en soit, c'est l'instinct de l'animal de prélever sa nourriture et d'apprendre à ses petits à chasser. Mais ce n'est pas l'instinct des chasseurs cueilleurs_ tels les premiers hommes_ qui poussent ceux qui ne pensent qu'à les tuer.

Ce roman a obtenu trois prix littéraires : le Prix du Roman d’Écologie, le Prix littéraire des Étudiants de Sciences Po et le  Prix du roman Version Femina en 2024.

Jai découvert avec grand plaisir la superbe écriture de l'autrice avec ce roman que j'ai énormément aimé et je n'ai qu'une envie, lire ses autres titres. Quel talent !

Lire les avis de Kathel ICIAifelle ICI, Hélène ICI, TLivres ICI et tous ceux que j'oublie... Il était temps que je le lise ! 

La montagne n'était jamais aussi belle qu'à la toute fin de l'estive, ce moment étrange où coexistait en lui l'envie de quitter cet océan d'altitude, de gagner la terre ferme – comme ces navigateurs au terme de longues traversées océaniques – et la nostalgie d'un monde auquel il fallait s'arracher, le spleen du retour que partageaient bergers, marins et voyageurs. Et même après avoir affronté les pires tempêtes, manqué la mort de peu, songé mille fois à abandonner, tous ceux qui avaient connu le grand large, océanique ou montagnard, fréquenté les déserts ou les abysses, n'avaient de cesse d'y retourner, de s'y enfoncer, et les autres ne les comprendraient jamais tout à fait, et ils diraient encore, mais pourquoi tu t'infliges ça ? À quoi bon ?

N'aie pas peur, la montagne rêve se répéta-t-il comme une formule magique venue de cette civilisation perdu qu'est l'enfance.

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B
Réservé à la bibliothèque !<br /> Bisous Manou
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G
Comme toi, j'ai le projet de le lire depuis sa sortie ! j'espère que son heure viendra dans mon planning de lecture !
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G
Il est noté celui-là
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G
Bonjour Manou<br /> Un peu compliqué pour moi les blogs en ce moment......<br /> Pas intéressé par ton livre d'aujourd'hui, je reviens sur une publication précédente.....<br /> Des moutons en estive dans les Pyrénées, un ours, un berger poète, voilà qui me plairait, malheureusement ce livre n'est pas à ma médiathèque, évidemment "éditions actes sud"....... je vais essayer de me souvenir du titre....<br /> Bonne fin de journée Manou, Bises !!!
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E
Bonjour Manou. Je note le titre de ce livre qui semble très intéressant et je le chercherai à la médiathèque. Bonne journée et bisous
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P
Bonjour Manou,<br /> Tu me tentes grandement ! Merci <br /> Bises<br /> Anne
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F
Hé bien je ne sais pas comment j'ai fait pour rater ce livre quand on en a parlé sur les blogs (j'étais peut-être en vacances), mais je le découvre ici, et moi qui ne résiste pas aux livres avec ours dedans, j'ai l'impression que celui-ci a beaucoup d'atouts pour me plaire ! Je vais vérifier de ce pas si mes biblis l'ont.
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M
Ce livre doit être très beau...
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S
j'aimerais découvrir ce livre mais je sais que je n'aurai pas de sympathie pour le saltimbanque qui emmène l'ourson aux États-Unis.. Merci pour cette présentation Manou. Bises
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S
Je connais mieux la problématique du loup dans les Alpes notamment que celle de l'ours, alors pourquoi pas passer par ce roman pour en savoir plus. Les environnements montagnards me plaisent généralement beaucoup.
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C
J'avais aimé son récit de voyage entre Géorgie et Arménie. J'avais noté ce titre mais qui a fini par passer à la trappe! tu me le remets en mémoire.
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M
J'ai fait l'inverse et j'ai noté ces autres titres en espérant les trouver en médiathèque...Merci pour ta visite.
M
Tu parle si bien de la vie en montagne, du berger, des ours, des dangers et des moments où tout est magie ! <br /> Je pense que ce livre est très beau, très vrai, tu donne envie de le lire !<br /> Merci chère Manou
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M
Il te plairait Marine, et j'ai pensé à toi en le lisant (à toi et à Pascale aussi). Je sais que tu aimes cette belle montagne et que tu y es montée souvent...Je t'embrasse fort j'espère que tu vas bien
D
To avis me donne envie de découvrir ce livre. Les propos sont très vite passionnés quand on parle de l'ours ou du loup.
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R
Bisous bisous bonne journée
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M
Oh Rénée, que c'est gentil de passer je ne pensais pas te revoir ici avant un certain temps. J'espère que tu te remets du mieux possible. Ménages toi ! Bisous
A
J'ai une liste bien longue de livres que je vais m'acheter des que je pars en France, lol et chaque fois je viens chez toi, j'ajoute un titre !<br /> hahahah
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F
Bonjour, c'est d'actualité, au moment du procès du chasseur qui a tué l'ourse Caramelles, je te souhaite une bonne journée, bisous
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J
Bonjour Manou,la montagne rêve, ce roman me séduit dans ce que tu en dit ..en prime il est édité chez Actes Sud .je rejoindrai bien Gaspard le berger des Pyrénées par instants...
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A
Et bien je vais le réserver. J'aime beaucoup l'illustration. Bises
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P
Bonjour Manou,<br /> J'aime la montagne, les animaux et la nature alors c'est certain ce récit me plairait beaucoup.<br /> Mercià toi, je note avec plaisir. Je te souhaite une douce semaine. Bises
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C
Voilà une histoire qui me tente. La montagne comme un continent étranger à découvrir et des personnages attachants . <br /> Bises
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