Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
J'ai appris à répondre aux questions des habitants de cette ville, à toutes les questions même les plus curieuses. Victor [l'ancien shérif] m'a conseillé d'en faire plus qu'aucun autre, de faire doublement mes preuves pour être acceptée ici. Une femme shérif c'est déjà compliqué, mais une femme shérif qui vit avec une autre femme, ça fait beaucoup pour une si petite ville.
Nous voici à Mercy, une petite ville perdue du Middle West américain de 4000 âmes à peine où il ne se passe jamais rien, en apparence seulement, vous vous en doutez...
La jeune Léo n'est pas rentrée et son père est inquiet. On vient de retrouver son corps dans la rivière au milieu des iris sauvages en fleurs : elle a reçu un coup à l'arrière de la tête. La shérif, Lauren Hobler et son équipe sont chargées de l'enquête.
Les quatre chapitres vont faire alterner les voix des personnages principaux.
Au printemps, c'est Lauren Hobler, la shérif qui s'exprime. En tant que femme et shérif, elle a beaucoup de détracteurs sur place dont Sean, un de ses coéquipiers qui va vouloir faire du zèle pour se faire mousser auprès du maire qui lui, espère la remplacer très vite lors des prochaines élections. Mais elle va tout faire pour arriver au bout de son enquête...
L'été, le lecteur en apprend un peu plus sur Benjamin Chapman, ce professeur de français tout droit arrivé de New York qui aime un peu trop les jeunes adolescentes et qui a déjà été condamné dans le passé. Il faut dire que c'est le coupable idéal...et sa vie en prison n'est pas de tout repos surtout parce qu'il partage la cellule d'Anton, un être violent qui a décidé que Benjamin allait écrire ses mémoires. Ecrivain raté, il n'en a aucunement l'intention et tout cela se terminera très mal, mais la vraie question est : Avait-il eu une relation ambiguë avec Leo ?
A l'automne, c'est Emmy, l'ex-amie intime de Léo depuis l'enfance qui va prendre la parole. Le roman prend de la profondeur. Le lecteur la découvre totalement différente de l'image qu'elle donne aux autres : méchante, manipulatrice, provocante et amoureuse de Benjamin donc jalouse de la relation que Leo entretenait avec lui.
Puis ce sera l'hiver et le tour de Seth, le père de Leo. Il ne dit jamais rien depuis qu'il a tout perdu : son garage lors de la crise des "subprimes", ses amis qui étaient les parents d'Emmy, sa femme qui est partie ailleurs (mais est-elle retournée dans sa Sicile natale pour autant ?) et maintenant sa fille, et il n'a donc plus rien à perdre..
Mais qui était vraiment la silencieuse et discrète Leo ?
Qu'avait- elle à cacher à ses proches ?
Anton n'était pas un mauvais bougre, il était certes violent, il avait dérapé plus d'une fois mais il n'avait jamais tué personne et sa famille lui manquait cruellement. Ce pauvre type avait besoin de parler à quelqu'un, c'était humain, non ? Mon silence l'agressait, il le prenait pour de l'indifférence, voire du mépris.
Je n'avais pas besoin qu'il m'aime, je voulais juste l'avoir et m'en souvenir toute ma vie comme mon premier trophée de valeur. C'est ce que les hommes font, et en amour je veux être un homme. Je veux prendre, je veux laisser et tant pis si après moi il ne reste que des miettes.
Il s'agit pour Marie Vingtras d'un second roman. J'avais beaucoup aimé son premier, "Blizzard", présenté ICI.
Le livre commence comme un thriller mais très vite le lecteur comprend que malgré l'enquête, il s'agit plutôt d'un roman social, un roman qui nous fait entrer dans la noirceur de l'âme humaine.
L'enquête elle-même n'est qu'un prétexte pour entrer dans la vie des quatre personnages dont les récits constituent les quatre chapitres du roman. Chaque chapitre comme vous l'avez vu plus haut dans mon article, correspond à une saison qui vont donc se dérouler du printemps à l'hiver. Les propos sonnent juste, l'emploi de la première personne permet au lecteur d'entrer plus intimement dans l'histoire.
Les récits s'entrecoupent ou se répondent parfois mais pas obligatoirement. Il s'agit plutôt de monologues dans lesquels chacun des personnages du livre s'exprime et raconte une petite partie de ce qu'il a perçu ou compris de ce fait divers dramatique mais surtout il raconte sa vie, ses origines sociales et son enfance. Ces récits nous font entrer dans l'intimité des personnages et permettent au lecteur de peu à peu découvrir leurs faiblesses, leurs secrets et non-dits, et de rassembler les différentes pièces du puzzle mais ne nous apportent pas forcément les réponses que nous attendions, nous les aurons plus tard dans le roman...
L'autrice étudie donc avec beaucoup de subtilité et de finesse la psychologie de ces différentes personnes. Elle ne tombe jamais dans la caricature. Le lecteur a tout de suite envie de savoir ce qu'ils cachent derrière leur façade un peu trop "normale", mais comment faire autrement pour eux qui vivent dans cette trop petite ville où il ne se passe jamais rien et où tout le monde se connait. La seule personne pour qui je n'ai vraiment ressenti aucune empathie est le professeur qui aime un peu trop les jeunes filles. C'est un fils à papa vraiment odieux, trop gâté et protégé, même si je reconnais qu'il a peut-être des circonstances atténuantes avec sa mère que je vous laisse découvrir.
La petite ville devient entre les lignes le personnage principal car elle agit comme une mère le ferait par amour ou par désir de possession, elle les étouffe peu à peu et réussit à éteindre chez eux toute envie de fuite...seules les femmes font de la résistance, à leurs dépends. Car finalement le lecteur va découvrir que Leo est morte parce qu'elle voulait être libre, et qu'en tant que femme, la société n'acceptait pas son désir de liberté.
Vous pouvez aller lire l'avis de Brigitte sur son blog ICI, elle l'a aimé, tandis qu'Eimelle sur son blog ICI a eu un avis plus mitigé mais intéressant aussi à découvrir.
Pour moi c'est un livre à découvrir sans hésitation et à mettre sous le sapin.
Prix du roman FNAC 2024.
Quand je lui ai dit que sa mère était partie, qu'il ne restait plus que nous dans cette location misérable, elle a mis sa main dans la mienne et a posé sa tête sur ma hanche, oisillon au creux de mon bras. Elle était si petite encore, si vous l'aviez vue...
Elle a jamais demandé pourquoi j'avais fait ça. Elle a jamais posé la moindre question, elle n'a jamais reparlé en fait et si elle l'avait fait, je crois que je lui aurais enfin raconté l'histoire depuis le début...
C'est cette ville maudite qui nous a étouffées, qui nous a retenues dans ses bras, mais c'était pas par amour, c'était juste pour nous empêcher de fuir.