Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Rétrospectivement, je crois que j'ai senti que quelque chose ne tournait pas rond. C'est un peu comme lorsque vous avez la sensation qu'un insecte vous chatouille l'oreille. Vous faites un geste pour vous en débarrasser, mais en réalité c'est une alarme, votre alarme interne, réglée au strict minimum...
J'ai compris qu'elle était sortie avec lui, alors que même une fille aussi spéciale qu'elle aurait dû savoir qu'on ne sort pas dehors en plein blizzard.
Le vent est tombé d'un coup. Autant que je m'en souvienne, Bénédict disait que ça arrivait parfois au milieu du blizzard. Le calme revenait temporairement et c'était encore plus dangereux que la tempête elle-même parce qu'on baissait la garde, que la vigilance était moins grande.
En Alaska, lorsque le blizzard fait rage, les habitants savent qu'il faut se calfeutrer à l'intérieur, après avoir prévu le bois nécessaire pour chauffer la maison durant quelques jours, non sans avoir pris soin au préalable de laisser les volets ouverts pour pouvoir sortir, une fois la tempête passée, car le plus souvent la porte est inaccessible.
Bess, pour une raison inconnue que le lecteur découvrira à la fin du roman, emmène le petit Thomas au-dehors. Elle connaissait les risques et malgré son caractère plutôt rebelle, elle sait très bien ce qu'elle fait. Mais alors qu'elle se baisse un instant pour refaire ses lacets, elle lâche sa main, une minute à peine, et le petit garçon âgé de dix ans, disparaît dans la tourmente. Désespérée, elle se lance à sa recherche, remontant en pensée le fil de sa propre vie et le pourquoi de sa venue dans cette contrée reculée et isolée.
Quand Bénédict, l'oncle du petit, s'aperçoit que Thomas et Bess ont déserté la maison, il prévient aussitôt Cole, un des amis de la famille. Tous deux savent que dans ces contrées glaciales, chaque seconde compte pour la survie des hommes perdus, alors que dire d'un enfant si petit et d'une femme qui ne connaissent rien à la dureté des lieux et à ses dangers.
Mais pris dans la tourmente, leurs pensées s'envolent vers le passé, ralentissant leur prise de décision, les faisant douter de leur vie et de leurs actes, tandis que le lecteur se pose de plus en plus de questions.
Que vient faire ce petit garçon dans ce lieu hostile ? Quel lien le relie à Bénédict qui n'est pas son père ? Pourquoi Bess a-t-elle accepté sans discuter de s'en occuper et de s'exiler dans cette contrée inhospitalière ? Cole est-il un véritable ami ? Et que dire de Clifford, d'une violence extrême ? Enfin, que cache Freeman, revenu indemne de la guerre du Vietnam mais dont le reste de la vie ne sera que douleur ?
Entrant peu à peu dans l'intimité de chacun, le lecteur en oublie presque l'enfant, tandis que l'étau se resserre autour de Bess...
J'ai laissé une lumière allumée dans la maison avant de partir, comme Benedict. On sait ce que ça représente une lumière dans la nuit, ou dans le blizzard, quand vous êtes perdus. Ça doit être un peu comme un phare dans la tempête pour un marin. Ça veut dire qu'il y a un être humain quelque part et que vous allez peut-être survivre aux éléments.
Isolé dans nos terres, je n'aurais jamais imaginé à quel point la famille avait un sens. Nous formions une mosaïque compacte que chaque individu venait parfaire sans que personne puisse contempler le résultat dans sa globalité. Une pièce manquait à l'appel...
L'auteur nous offre ici son premier roman, un roman noir écrit avec beaucoup de finesse et de sensibilité, construit comme un thriller psychologique. Ce roman a été très remarqué dès sa sortie. C'est un roman choral qui donne la parole aux différents personnages : Bénédict l'oncle de Thomas, Bess qui en a la garde, Cole, le voisin le plus proche de la famille, et Freeman, le seul noir visible dans ces contrées, dont le lecteur découvrira à la fin du roman, pourquoi il est arrivé-là, il y a deux ans, peu de temps après l'arrivée de Bess et du petit. Le seul qui intervient dans l'histoire et qui ne prend pas la parole c'est Clifford, un autre voisin, ami de Cole, très hostile à la présence de la jeune femme dans leur petite communauté.
Dans de courts chapitres qui nous laissent juste assez sur notre faim pour nous donner envie d'avaler tout de suite les suivants, tant ils dévoilent si peu de l'histoire, l'auteur révèle par petites touches, en leur donnant la parole, la personnalité des différents protagonistes. Ils ont tous des "valises" très lourdes à porter, des secrets bien enfouis : on ne vient pas se perdre dans un tel décor, au bout du monde par hasard.
Au fur et à mesure que la tempête fait rage, que l'espoir de retrouver l'enfant vivant, s'amenuise, le lecteur entre dans leur intimité. Il sait par contre, à l'inverse des autres personnages, que Bess est toujours en vie car elle nous raconte son périple dans le blizzard.
L'auteur dresse des portraits psychologiques époustouflants de vérité : peu à peu le lecteur découvre les motivations des différents personnages, le pourquoi de leur venue au bout du monde, la noirceur de leur âme mais aussi leurs rêves brisés, car il faut bien le reconnaître, la vie ne leur a pas fait de cadeaux et ils ont tous matière à être tourmentés par leur passé.
Le suspense est à couper le souffle...et c'est au moment où l'attention du lecteur se relâche, pensant à une accalmie, que l'auteur frappe encore plus fort. Elle a un talent indéniable pour assembler petit à petit les pièces d'un incroyable puzzle, mais elle ne le fait pas de manière linéaire. Elle bâtit son texte et les révélations qu'il contient avec beaucoup de doigté, faisant monter en puissance la tension pour mettre en place le scénario final avec patience.
Une très belle découverte pour moi !
C'est eMmA, dans un de ses commentaires qui m'a parlé la première de ce roman qu'elle venait de lire. Les avis divergents sur Babelio m'ont donné envie d'en savoir plus. Il a juste fallu que je patiente pour l'emprunter à la médiathèque.
Vous pouvez lire l'avis de Keisha ICI, clair et concis comme toujours, ce que je ne sais pas faire.
La guerre nous avait pris notre fils et elle ne nous avait restitué que le négatif de la photo, juste une ombre blanche sur un fond désespérément sombre.
Ici, vous pouvez tout oublier et être oublié.