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Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...

Où vont les larmes quand elles sèchent / Baptiste Beaulieu

L'Iconoclaste, 2023

L'Iconoclaste, 2023

Désolé d'être grossier. J'aime pas être grossier. Ce n'est pas parce qu'on utilise des abaisses- langues qu'on doit rabaisser la nôtre. Qu'est-ce que je ressens en ce moment ? Rien du tout, et c'est normal, je crois, parfois on ne sait plus comment se défendre contre la vie, et on ne devrait pas s'en vouloir : on fait ce qu'on peut avec nos digues personnelles, et parfois on est débordé_ on est seulement humain.

Jean a trente-six ans. Il est médecin généraliste dans le sud-ouest, homosexuel et fume trop mais n'arrive pas à s'en passer. Il nous raconte sa vie quotidienne au sein de son cabinet médical. Il s'appuie sur de nombreuses anecdotes qui nous font pénétrer dans la vie de certains de ses patients de tout âge, parmi lesquels beaucoup de femmes. Il nous explique que c'est parce qu'il trouve les femmes admirables par rapport aux hommes, qu'il ne peut pas s'empêcher de parler d'elles. 

Il a quitté le CHU quelques années auparavant après un accident qui a marqué sa vie : il est arrivé trop tard pour sauver un enfant, tout simplement parce que sa mère, dans l'affolement, a inversé le numéro de leur domicile...et que les secours ont passé 6 minutes à chercher la maison, six minutes de trop...fatales pour l'enfant. Un drame dont il ne se remet pas, le lecteur le comprend... 

Depuis qu'il est installé en province, il s'interroge sur son apparente indifférence devant des situations somme toutes toujours émouvantes, ou devant des familles et des patients qui souffrent. 

Pourquoi n'arrive-t-il plus à pleurer face à tant de douleurs ?

Il cherche donc à comprendre où sont passés ses larmes et celles de ses patients. La maladie est un autre moyen de s'exprimer quand les soucis, les déceptions ou la tristesse s'installent. 

Il va droit au but et nous livre des récits en toute simplicité, des franges de vie d'une grande authenticité et pose un regard empli d'humanité sur la diversité humaine tout en nous livrant une analyse plutôt fine de la psychologie qui se cache souvent sous la maladie ou vice versa, ce qui ne l'empêche pas de s'interroger au passage sur l'effet de ses traitements dans des cas parfois désespérés.  

Peu à peu, en nous racontant la vie de ses patients dont certains sont de belles personnes, il se livre lui- aussi, dévoile ses faiblesses d'être humain, ses blessures et ses failles.

Il s'interroge au passage sur l'utilité de son travail de médecin de famille qui se déplace encore à domicile, mais désormais à vélo. Il est très proche de ses patients, sait se rendre disponible mais il est obligé d'effacer son numéro personnel sur les ordonnances pour conserver un semblant de vie privée car sa salle d'attente déborde de patients tous les jours et toujours plus nombreux, et il ne peut en assumer davantage. 

C'est ainsi pour tous les médecins dans les déserts médicaux...et le système de santé d'aujourd'hui ne va que vers une aggravation et toujours plus d'injustice. Il nous livre son opinion à ce sujet au passage. 

C'est finalement un être à fleur de peau que l'on découvre derrière le médecin, au langage cru et souvent dérangeant par ses descriptions un peu trop intimes (à mon goût) de ses patients... 

Le plaisir, c'est ce qui me distrait de mon chagrin habituel, docteur. Un peu comme la météo et le climat. C'est pas la même chose. Parfois j'éprouve du plaisir, et c'est comme s'il faisait beau temps. ça veut pas dire que le climat est meilleur. Mais quand il fait beau souvent, on finit par se dire : tiens cette année, le climat a été clément. Voilà.

Je ne suis pas sûr qu’il existe des vies plus réussies que d’autres. D’ailleurs, c’est quoi une vie réussie ? On ne mobilise pas autant de gens à son chevet, autant de tristesse et de joie mêlées, autant d’énergie positive, autant de fraternité et de sororité sans avoir réussi à laisser quelque chose de profondément beau, de profondément bon dans le cœur et l’histoire des autres. Et cela n’est pas triste. C’est beau, c’est bon, et c’est ce qui nous garde humains. Mais ça fait un peu mal aussi. On se réfugie dans la beauté pour oublier. Pas le choix.

Je n'avais lu que de bonnes critiques à propos des romans de cet auteur et c'est avec plaisir que j'ai emprunté ce roman à la médiathèque, n'étant pas sur les réseaux sociaux (en particulier instagram)  il a été pour moi une totale découverte. La librairie indépendante de ma commune le mettait également en valeur, avant les fêtes car c'est un auteur qui a beaucoup de succès, y compris dans la blogosphère. 

En fait, je trouve que ce livre est plutôt un récit même si bien entendu pour les besoins de l'écriture les patients ont changé de nom et que je soupçonne l'auteur d'avoir joué avec la réalité soit en minimisant, pour ne pas trop en dire, soit au contraire en caricaturant ses patients, pour détendre l'atmosphère, mettre un peu de piment dans ses propos, amuser ses lecteurs et prendre lui même du recul par rapport à la réalité.

Nous faisons donc connaissance avec Monsieur Soares, Josette, Madame Moreno, Madame Chahid, et Madame Gonzales, entre autres patients...  Ils sont beaux ces patients, ils sont touchants. Ils ont de la chance finalement d'avoir un médecin qui les comprend, les écoute et est si proche d'eux. 

Au début de ma lecture, j'ai eu du mal à accrocher avec le style de l'auteur, à entrer dans l'histoire de ces patients dont les vies sont dévoilées sans pudeur. Cela m'a dérangée et je me suis demandée à plusieurs reprises si j'allais poursuivre ma lecture. Certes, c'est normal cette intimité dans la relation patient médecin, mais tout de même j'ai trouvé certains passages difficiles à supporter et son langage bien trop cru à mon goût. 

Bien entendu, malgré ce premier ressenti, j'ai compris que derrière ces mots, il y avait beaucoup de tendresse, d'humanité et de respect pour la nature humaine qui exprime ses souffrances comme elle le peut, et le plus souvent en tombant malade, justement ce que les généralistes et en particulier les médecins de famille savent bien. En cela, il expose avec clarté ce qui est normal et pas normal de la part d'un médecin, comme expliquer tout ce que l'on fait, ce que l'on va faire, la maladie, les analyses, les prescriptions mais aussi demander le consentement du patient avant de l'examiner. 

Au fil de ma lecture, j'ai finalement aimé de plus en plus découvrir ce médecin qui n'arrive plus à pleurer...son humanité, ses qualités de patience et d'écoute, le regard plein de respect qu'il porte sur les autres (même s'il traite certaines personnes de "connard", ce sont des cas très particuliers...), et l'humour dont il fait preuve dans certaines situations, tout comme la manière réaliste dont il analyse la situation actuelle du milieu médical.

J'ai aimé aussi qu'il se dévoile. Il est normal qu'un médecin ait des convictions (il éprouve une haine réelle pour les hommes qui violentent des femmes), des sentiments, des doutes, ou qu'il éprouve de la culpabilité quand il n'a pas vu ou prévu quelque chose, quand il n'a pas su aider un des ses patients à se livrer, ou n'a pas réussi à le sauver : ce sont des sentiments humains.

Cependant, malgré le fait que la plupart des gens qui ont lu ce livre, le classe en "feel good" (voir sur Babelio ICI) , moi, je l'ai trouvé dans le fond empli de gravité, et malgré son air léger, il ne m'a pas fait rire. 

L'auteur est une belle personne et il essaie de nous parler de tout cela avec un peu d'humour et beaucoup de recul. Il aborde dans ce livre, avec beaucoup d'empathie et de réalisme, différents thèmes graves comme la mort, la maladie, la solitude, les drames personnels, les violences conjugales, tout ce qui fait souffrir dans le monde d'aujourd'hui les êtres sensibles. 

Au passage, il  nous fait réfléchir sur nos propres maux, nos angoisses, et notre vécu familial...

Voilà pourquoi je ne regrette pas ma lecture. 

Faut vraiment rêver petit quand on est sur Terre : on minimise les risques d'être déçu.

Plus jamais je ne veux :
- réduire un patient à sa pathologie.
- me réjouir de la mort de quelqu'un.
Ce n'est pas pour cela qu'on devient soignant.
Certes, on ne peut pas sauver tout le monde, mais je suis, à cette heure de ma vie, trop jeune pour me ranger à cette idée...

Désolé, je suis sinistre. J'ai plombé l'ambiance, je le sens bien. Mais on s'accuse tellement, dans la vie. Et on se déteste sans raison, on se vilipende, on se toise, on se juge, pour tout, pour rien, un diagnostic tardif, un bourrelet qui dépasse, un bouton disgracieux, des cernes un peu trop caves, deux trois kilos en trop, c'est toujours notre corps qui accuse le coup le premier : qu'il serait bienvenu de se regarder dans le miroir en se foutant un peu la paix ! Si on oubliait toutes les phrases méchantes qu'on s'adresse à soi- même.

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S
Un livre qui pourrait me plaire je pense, peut-être est-il cru pour garder une distance, pour ne pas s'investir, un métier tellement difficile, faut avoir de l'empathie sans trop le montrer...bises à toi.
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E
Bonjour Manou. Je note le titre. Je le chercherai à la médiathèque. Il y a un vrai problème médical : cabinets surchargés partout. Bonne journée et bisous
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M
Il faudrait que je découvre cet auteur, j'en entends beaucoup de bien.
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C
J'ai connu Baptiste Beaulieu à travers son blog quand il était interne. Son narratif et son vocabulaire me plaisait beaucoup. Ensuite j'ai lu son premier roman et le thème choisi m'a déplu. Maintenant je ne lis que sa page FB où je commente mais pas un ouvrage. <br /> Bises
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P
Peut-être que ce langage un peu cru est une carapace, il faut "se blinder" face à la souffrance humaine, non ?<br /> Rencontrer à l'heure actuelle un médecin humain est merveilleux et peut-être un peu rare... si je peux me permettre. J'avais un grand père médecin de campagne en Bretagne, il n'a jamais compté ses heures et allait auprès des patients jusque tard dans la nuit, le monde a changé... Merci de me donner envie de lire ce livre, à bientôt Manou. brigitte
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M
Intéressant, sauf les descriptions très crues, je n'aime pas trop ça<br /> J'ai rencontré un jeune médecin remplaçant, avec une écoute et une gentillesse hors du commun, c'est si important d'écouter ses patients!<br /> Le chagrin parfois survient la nuit, à n'importe quel moment mais la vie est là, il faut le vivre !
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F
Confier ses maux à son médecin c'est déjà faire un premier pas sur le chemin de la guérison... je pense que tous bons médecins s'appuient sur cette assertion et celui qui nous livre ses ressentis et expériences professionnelles vécus dans cette chronique, la tient certainement pour une vérité fondamentale. La relation humaine à travers la maladie et la maladie comme expérience humaine à savoir partager sont à la source d'une relation saine et thérapeutique entre patients et soignants à commencer par son médecin de famille. De l'humour, et sans doute de la dérision, il en faut pour affronter certaines réalités qui peuvent générer le désespoir. La confiance en son médecin a pour écho son empathie et son humanité qui préfacent ses connaissances et compétences. Je lirai volontiers cette mine de rencontres certainement "vitales" pour un renfort de son capital santé inintéressant aussi moult lecteurs.<br /> Amitiés des Farfadets du Poitou.
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M
je ne pense pas que je le lirais, pourtant il doit y avoir beaucoup d'humanité dans ce livre !!! l'humanité : j'en manque terriblement ...... j'aurai du en faire provision tout au long de ma jeunesse ! je l'ai donné aux autres, on m'en a rendu peu.<br /> <br /> je divague !<br /> passes une bonne semaine Bisousbisous
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P
Bonjour Manou,<br /> Malgré la beauté du titre et ton avis plutôt positif, je ne suis pas tentée par ce livre dont j’ai entendu des avis très divergents. Mais il faudrait que je me penche sur l’auteur que je n’ai jamais lu.<br /> Bises<br /> Anne
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F
Ça semblait mal parti, mais finalement tu as été touchée par cette lecture visiblement. Les retours sont en effet très positifs sur cet auteur médecin, mais je ne suis pas certaine que ce soit pour moi. Le sujet est assez délicat aussi.
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P
J'ai eu du mal avec le style de l'auteur aussi et j'en attendais beaucoup vu tous les avis positifs que j'avais lus. Ce livre n'est pas un coup de cœur, loin de là, mais un médecin comme lui, j'en veux bien un !
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M
je ne connais pas encore cet auteur, mais pourquoi pas?????<br /> passe une belle semaine<br /> bises
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M
Merci pour ton analyse... Je ne suis pas tout à fait prête pour lire ce livre...
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M
e style de livre ne m'attire pas beaucoup. Pourtant j'ai dévoré les romans de Frank. G.Slaughter, médecin et romancier. Je recherche l'évasion pour m'aérer la tête. Avec des romans situés à toutes les époques, j'ai été servie avec cet écrivain! :)<br /> Merci pour ton riche compte-rendu. Quel travail!<br /> <br /> Bises et bonne semaine à toi Manou
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R
Il faut que je réfléchisse car le livre m'attire vraiment....Bisous bonne semaine
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T
Le seul médecin que j'aie lu au sujet de sa pratique, c'est Martin Winckler. (Je ne compte pas Tchekhov ni Boulgakov.) Ce livre-ci ne me tente pas, je l'avoue, à lire tes bémols. Mais je lis régulièrement le blog d'un médecin bruxellois qui allie citations et vécu avec une grande délicatesse : https://entrecafejournal.blogspot.com/
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M
J'irai voir ton lien, merci de l'avoir laissé ici cela peut intéresser d'autres personnes. Je n'ai pas encore lu Martin Winckler mais j'ai noté un de ses livres dans mes listes...
B
Merci pour ta belle présentation et ton ressenti...<br /> Tentant... même si je n'aime pas trop le langage cru dans les livres. Je suis sensible aux mots que l'écrivain véhicule...<br /> Bisous du lundi Manou
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M
Bonjour Manou,<br /> Ce bouquin m'a tentée, je viens de le télécharger.<br /> Merci pour ta présentation.<br /> Bises.<br /> Bon après-midi,<br /> Mo
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B
Ta chronique est excellente Manou ! Tout y est bien expliqué sans trop dévoiler. J'ai beaucoup entendu parler de ce livre lors des cafés et dîners littéraires auxquels j'ai assisté en 2024 mais je n'ai pas encore pris le temps de lire ce livre dont tu parles si bien. Il est dans mes projets de lecture. Je ne l'ai pas encore mais je sais qu'il est à la médiathèque car on ne peut pas tous les acheter.<br /> Je te souhaite une agréable semaine.<br /> Bisous.<br /> Berndette.
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M
On en a en effet beaucoup parlé ! Et donc il pourrait te plaire...Perso c'est exceptionnel que j'achète des livres ou alors en été et en poche quand je pars trop longtemps pour les emprunter en médiathèque. Je n'ai pas le budget pour...et si un livre n'est pas dans une de mes deux médiathèques je m'en passe. Bisous et une belle journée
A
J'ai reçu ce livre pour la fête des mères par ma fille. Et je lui ai redonné car très fort. Il m'a fait penser à mes médecins, mari et femme qui reçoivent une clientèle un peu semblable. Et c'est ce qu'ils aiment ces relations avec des gens différents. Migrants, gens du voyage, gens du quartier pauvres et aisés, drogués...<br /> Bises
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