Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Titus songea que l'esclavage était une tache incrustée à jamais dans les fondations de son comté natal. Une tache de sang que tout l'argent du monde ne parviendrait pas à laver...
Au fin fond de la Virginie dans le petit village rural de Charon, la population connait une certaine tranquillité malgré les différences sociales et raciales de ses habitants, les histoires de drogue et les bagarres de bar.
Mais un jour, en pleine journée, Latrell, un jeune noir tue au sein du lycée, M. Spearman, un professeur très aimé de tous avant de se faire abattre par les policiers durant l'assaut.
C'est Titus Crown, le premier shérif afro-américain du comté, récemment élu, qui va être chargé de l'enquête. Bien entendu, son élection a provoqué la colère des blancs qui ont du mal à le croiser en uniforme, mais aussi de ses anciens camarades noirs qui le pensent désormais à la solde des blancs. Bien entendu il n'en ai rien. Il est revenu au pays où vivent encore son père et son frère pour faire changer les choses mais aussi pour y retrouver ses propres fantômes qui le poursuivent depuis la mort de sa mère, alors qu'il était enfant. Il a beaucoup d'expérience car il a travaillé pendant près de 10 ans pour le FBI.
La situation est pour lui très difficile à gérer, car le jeune homme a été tué durant l'assaut par ses collègues en état de légitime défense et il était le fils d'un de ses amis d'enfance. En creusant dans la vie du professeur, les enquêteurs vont découvrir que cet enseignent n'était pas un ange mais un pédo-criminel doublé d'un tueur en série.
Avec le jeune lycéen, uniquement spectateur et son complice masqué qui court toujours, le trio faisait subir des sévices atroces à des jeunes filles et des jeunes hommes noirs, avant de les tuer et de les enterrer dans la nature.
Désormais Titus Crown n'aura de cesse dans son travail quotidien, de faire éclater la vérité pour prouver qu'il n'a pas trahi les espoirs de la communauté noire et que la mort de Latrell n'était pas une simple bavure policière de plus...
A l'académie du FBI, ses instructeurs lui avaient présenté leur propre version de la théorie des cordes. A les croire, il existait des liens invisibles qui vibraient entre les secrets, les rumeurs, les ombres et les mensonges. La clé pour résoudre une enquête consistait à détricoter ses liens, voire à les couper.
Un jour, en cours d'éducation civique, son enseignante avait d'ailleurs déclaré d'un ton tout à fait détaché que les Noirs étaient condamnés à être esclaves parce que c'était écrit dans la Bible. Lorsque Titus avait raconté l'anecdote à sa mère en rentrant chez lui, il avait vu une tornade se former dans son regard...
...Titus savait que la violence n'avait pas toujours besoin d'une raison pour éclater. Parfois elle décelait une fissure dans le barrage et elle inondait toute la vallée.
Je découvre cet auteur avec ce roman noir, très fort et superbement bien écrit et bien traduit. La préface que je lis toujours à la fin est de David Joy dont je viens de faire connaissance récemment (voir "Ce lien entre nous" ICI). Il a raison de souligner que derrière l'enquête policière, tout est question d'ambiance. Comme il le dit je le cite : "S.A.Cosby se contente de brandir un miroir à la face du Sud, afin de nous montrer tels que nous sommes, dans toute notre imperfection."
C'est donc à la fois un roman policier et un roman social qui nous immerge au cœur de l'Amérique profonde où finalement les vieilles querelles raciales sont toujours bien présentes et palpables. La suprématie des blancs est toujours là, d'où la difficulté pour un shérif noir de faire régner la loi.
Mais c'est un lieu qui est aussi encore imprégné des souffrances de générations d'esclaves noirs, et des guerres de Sécession et l'équilibre entre les différentes communautés est encore précaire, un rien peut entrainer des événements plus graves et faire exploser le calme apparent.
L'auteur en trois romans dont celui-ci, s'est imposé comme un "grand nom du polar contemporain" peut on lire sur internet. Il faut dire aussi qu'il sait de quoi il parle car il est né et a grandi en Virginie. Il peut donc se permettre de faire le portrait de cette région encore marquée par des décennies d'esclavage et de racisme anti noir. La question raciale occupe d'ailleurs tout le roman et c'est ce qui au-delà de l'enquête le rend très intéressant.
Les personnages qui gravitent autour de Titus, comme son père, son amie, et son équipe sont très attachants et très humains. Il y a de l'amour et de la solidarité entre eux. Ils sont décrits avec beaucoup de finesse psychologique.
Nous plongeons également au cœur du fanatisme religieux. Les propos des suprémacistes blancs sont totalement écœurants, et le récit devient carrément glaçant quand on découvre les horreurs faites aux enfants et qu'on pense que le jeune Latrell a servi à les attirer dans ce piège mortel.
L'auteur des crimes est machiavélique mais si je peux me permettre de le dire, il a des circonstances atténuantes.
Malgré les horreurs décrites, c'est un roman qu'on ne peut pas lâcher tant qu'on n'a pas découvert qui est le coupable, quelles étaient ses motivations et pourquoi le jeune Latrell s'est retrouvé pris au milieu.
Ce roman a obtenu en 2024, le Grand Prix des Lectrices de Elle.
Lorsqu'il abattit sa hache il laissa échapper un grognement sourd. Pas un sanglot, mais pas loin.
Personne n'avait cueilli de fleurs pour les enfants enterrés sous le saule pleureur. Personne n'avait apporté de jolie couronne pour marquer l'emplacement de leur dernière demeure. Non, ils n'avaient eu droit qu'au baiser glacial de la terre et à l'étreinte étouffante des racines qui enserraient leurs petits corps chétifs dans l'obscurité.