Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
La brume sied aux ruines. Elle ourle les déchirures de la pierre, le saillant des poutrelle devenues inutiles. Elle berce de son voile la tristesse d'un encorbellement effondré, d'un toit béant, d'une façade aux fenêtres vides comme autant d'yeux morts...
On se prend à rêver que tout à l'heure, quand le soleil percera, il dissipera cette impression...
Malheureusement, depuis des mois, le soleil n'opère pas ce miracle et la lagune se surpasse en matière de brouillard...la lagune n'en finit pas de pleurer sa ville : Venise.
Dans ce roman, l'autrice imagine que, suite à une tempête conjuguée à une montée des eaux, une vague gigantesque envahit la lagune, engloutissant Venise et ses merveilles : le pont des soupirs est en miette, le palais des Doges effondré et partout les pieux plantés dans la vase depuis des siècles sont entourés de ruines. Il y a de très nombreuses victimes, beaucoup de disparus, et la vieille ville est quasiment rayée de la carte.
Pourtant, les hommes étaient prévenus de sa fragilité, face au réchauffement climatique et aux dégradations liées au tourisme, et en particulier aux énormes navires de croisière. Les élus de la ville pensaient à tort que le MOSE, leur nouveau système de vannes, véritable prouesse technologique_ qui leur a coûté des milliards_ suffirait à les protéger de "l'aqua alta" et de ses dégradations inévitables. Mais il n'a pas fonctionné comme il le fallait.
Même les amoureux de la ville pensaient que Venise était immortelle. Parmi eux, la famille Malegatti en était même venue à se déchirer à ce sujet.
Le roman débute alors que Guido Malegatti parcourt sur son bateau les canaux déserts et découvre, à sa sortie de l'hôpital, les dégâts irréversibles qui ont touché le centre de la vieille ville. Il est le seul survivant de sa famille.
Le lecteur remonte alors le temps et se retrouve des mois auparavant. Guido est un entrepreneur ambitieux souvent en désaccord avec ses collègues. Depuis qu'il est adjoint au maire, il gère les affaires économiques et le tourisme, et il prend son rôle très à cœur. Il n'a jamais voulu comprendre que le développement économique de la ville, et l'expansion liée au tourisme aggravent le phénomène d'enfoncement de la cité sous les eaux, ni que celui-ci s'accentue davantage d'année en année. Pour lui, on ne peut faire autrement si on veut aussi préserver les emplois. Ils ont été élus pour ça !
Maria Alba son épouse, descendante d'une lignée de Doges, voue un amour inconditionnel à sa ville et voudrait que rien ne change car elle pense que Venise a déjà résisté à tout, au fil des ans, et continuera à le faire.
Quant à Léa, leur fille, qui est une adolescente rebelle, elle est prête à tout pour s'engager dans la lutte contre le développement touristique, en particulier contre les gros navires de croisière...quitte à se fâcher avec ses parents et à fuir la ville avec ses amis militants.
Mais pour ces jeunes, engagés dans l'action et la lutte pour la préservation de l'environnement de la lagune, il est déjà trop tard...
Les hommes ont cru que les périls n'auraient que formes humaines, bateaux de guerre ou de pirates ; aujourd'hui c'est l'eau elle-même, son niveau, qui menace...
La lagune nourricière a été modelée en permanence par les fleuves, les marées, et le travail des hommes. Des générations ont veillé sur ce subtil équilibre de terres et d'eaux. Puis tout a changé et on a cessé de regarder la lagune comme un être vivant avec lequel demeurer en symbiose. Le contrat a été rompu.
J'ai aimé la construction de ce roman qui commence par nous raconter la fin de l'histoire, après la catastrophe donc, avant de repartir quelques mois avant qu'elle survienne.
La plume d'Isabelle Autissier, découverte depuis peu à la lecture de "L'amant de Patagonie"ICI est toujours aussi agréable, fluide, et poétique.
Dans cette dystopie bien documentée, l'autrice analyse à travers la voix de ses personnages les causes de l'enfoncement de la ville ; elle dénonce les erreurs commises qui ont aggravé le phénomène (comme le pompage de la nappe phréatique dans les années 50 pour exploiter du gaz et alimenter l'industrie en eau, ou le creusement de nouveaux canaux entre autres), elle passe en revue les solutions, les diverses responsabilités et nous invitent à réfléchir en profondeur non seulement aux conséquences de l'excès de tourisme dans la ville mais à l'excès de tourisme en général ainsi qu'aux conséquences de nos actions.
Il y a des passages forts intéressants comme par exemple, le cours de fac de Léa dans lequel le professeur invite ses élèves à comparer la vue qu'ils ont aujourd'hui à celle se trouvant sur des tableaux de grands peintres et à découvrir ainsi, à quel point la ville s'est enfoncée dans la lagune au fil des siècles.
Mon seul petit bémol est que par moment, j'ai trouvé les personnages principaux un peu caricaturaux, j'ai vite oublié ce détail pour entrer davantage dans le fond de ce roman qui est d'un grand réalisme et s'appuie sur une documentation tout à fait sérieuse. C'est d'ailleurs intéressant de s'apercevoir qu'on oublie suffisamment les personnages et le drame familiale, pour ne s'attacher qu'aux débats et démonstrations qui étayent le roman.
C'est un roman intéressant pour comprendre ce qui menace la Sérénissime. Il me permet, puisque la quasi-totalité de l'histoire se passe en ville, de participer encore une fois au challenge d'Ingannmic ICI "Sous les pavés, les pages"
Dans les semaines qui suivirent, tous les spécialistes de la planète y allèrent de leur reconstitution du désastre à grand renfort de simulations informatiques...
Ce petit monde s'insultait copieusement sur les réseaux sociaux et un troisième parti optait pour un attentat contre le MOSE et diffusait des photos d'une sorte d'éclair au-dessus du barrage.