Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Tu ne comprends pas ? Les Blancs ne partiront jamais, ils viendront de plus en plus nombreux parce qu'ils aiment la terre et la mer d'ici et qu'ils trouvent de quoi remplir leurs bateaux et leurs maisons de pierre. Ils ont le cœur fait pour prendre et s'ils s'en vont un jour d'ici c'est qu'il n'y aura plus un oiseau dans le ciel ni un poisson dans la mer. Je les ai vus et j'ai compris...
Les Blancs ne savent pas éduquer mais seulement dresser. Ils croient que l'on peut dresser le tronc quand seul le vent lui donne sa forme et le plie pour lui apprendre à résister. L'arbre droit casse.
En 1880, Emily, jeune écossaise orpheline de 16 ans est séparée de son frère et quitte son pays natal pour aller rejoindre en Patagonie, le révérend Bentley et sa famille, partis là-bas pour évangéliser le Nouveau Monde et en particulier les "sauvages" entendez...les indiens autochtones.
A Ouchouaya, elle doit exercer les fonctions de gouvernante afin d'aider la femme du pasteur dans ses tâches d'éducation, d'autant plus qu'un bébé vient de naitre.
Alors qu'elle pose sur les indiens Yamana, un des peuples autochtones qui les entoure, un regard tout à fait empreint de la culture occidentale qui est la sienne, elle va peu à peu s'investir pour apprendre sa langue aux jeunes enfants indiens et aider les plus démunis. Elle va alors découvrir avec fascination ce peuple généreux, où l'entraide domine les relations sociales, un peuple qui ne veut pas se convertir à un autre Dieu que le sien, tant les croyances qui sont les leurs sont tenaces certes, mais qui a beaucoup à donner à ceux qui les respectent. Elle va apprendre auprès d'eux entre autre, à mieux connaitre la nature, et les relations étroites qu'ils ont nouées avec elle.
Inévitablement, elle va tomber amoureuse d'Aneki, récemment devenu veuf. Devant le refus du révérend de bénir leur union, Emily se révolte et décide de fuguer pour partir avec lui vers des terres reculées...mais les choses sont plus compliquées que ce qu'elle pensait, et Aneki doit se résoudre à rejoindre son peuple afin de passer l'hiver dans un lieu moins isolé, d'autant plus qu'Emily est enceinte.
Rien ne se passera comme prévu pour le jeune couple...
- C'est beau mon pays.
Pourquoi ne pouvons- nous pas partager cette beauté ? Pourquoi faudrait- il que la venue des uns fasse le malheur des autres ?
Les Yamanas sont un peuple du toucher. On se serre, on s'enlace, on s'épouille, on se bat peau contre peau, corps contre corps. Comment pourrais- je oublier...
Avons-nous péché par orgueil, nous croyant de taille à subsister seuls ? Sommes- nous punis d’avoir voulu nous affranchir de lois ancestrales ? À la sauvagerie de la nature, les Yamanas opposent la tribu et les Blancs leurs techniques. Nous ne possédons ni l’un ni l’autre.
Voilà déjà quelques années que je sais qu'Isabelle Autissier n'est pas uniquement la navigatrice que nous connaissons tous, mais je n'avais encore j'aimais eu l'occasion de lire un de ses romans. Il est vrai aussi que je me méfie toujours beaucoup des personnes (trop) médiatiques qui se mettent à écrire des livres.
Mais je peux dire avec sincérité que ce roman a été une belle découverte pour moi et que j'ai trouvé son écriture agréable et fluide et sa lecture intéressante et prenante au point que j'ai eu du mal à abandonner mon livre pour faire autre chose. Il faut dire aussi que le voyage en Patagonie s'y prête.
La description de cette nature sauvage, rude et encore préservée est époustouflante de beauté. Les paysages sont grandioses, les îles paradisiaques, la mer traitresse mais tellement attirante et en plus l'endroit pullule de vie animale, tout pour me plaire donc.
L'histoire qui est racontée tout au long du roman, c'est-à-dire l'évangélisation des indiens ("des sauvages") par les blancs et l'histoire des premiers colons, se sentant investis d'une mission, nous la connaissons tous. Hélas nous en connaissons aussi les conséquences pour les peuples autochtones, mais je ne savais pas grand chose des détails de la colonisation de la Patagonie par les européens. Elle a signé comme ailleurs sur tous les territoires, la fin des peuples indigènes et le début de la disparition de leur vie libre, de leurs fêtes et de leur culture, tout simplement parce qu'en leur prenant leur terre, en détruisant leur forêt, on leur a pris leur territoire de chasse, puis leur raison de vivre.
Les peuples indigènes Yamanas et Alakaluffs se sont souvent affrontés dans le passé et parfois de manière sanglante pour les territoires de chasse ou pour les femmes, mais au fond ils avaient du respect les uns pour les autres et ne sont jamais allés jusqu'à l'éradication totale d'un autre peuple. Question de survie dans ces milieux particulièrement hostiles !
Les premières pages décrivant l'arrivée d'Emily et sa découverte des Indiens sont dures à accepter, mais sont bien le reflet de ce que pensait l'homme blanc de sa supériorité : la nudité des indiens la choque, elle croit ce qu'on lui raconte de leur sauvagerie et de leur manque d'intelligence. On ne peut pas le lui reprocher car il faut se replacer dans le contexte de l'époque. Ensuite, j'ai trouvé que cette jeune femme libre et qui essaie de s'affranchir de l'éducation et des carcans de la société bien pensante et croyante d'où elle vient, ne s'en sortait pas si mal.
L'histoire d'amour est racontée avec justesse même si je l'ai vu venir de loin. Il est étonnant qu'Emily, éprise de liberté et aimant la nature, et prête à tout par amour, puisse quitter sa vie relativement confortable pour suivre Aneki, alors qu'ils se connaissent à peine...à voir donc comment vous ressentirez les choses !
L'autrice si elle connait bien les terres visitées lors de ses multiples voyages s'est documentée précisément pour replacer son roman dans le contexte de l'époque, soit la toute fin du XIXe siècle. Bien entendu, certains éléments auraient mérité d'être davantage approfondis, mais ce n'était pas le sujet principal.
Sur cette terre reculée où se croisent les indiens autochtones, les colons, des anthropologues venus étudier les "sauvages", des pêcheurs de baleine et des expéditions scientifiques maritimes...l'aventure est bien entendu au rendez-vous et j'ai aimé découvrir les différentes coutumes de ces peuples indiens quasiment tous disparus à présent. .
Malgré la variété des sujets et des personnages rencontrés, et puisqu'il est question presque à chaque page de la mer et de bateaux, et surtout en hommage aux peuples des Yamanas aujourd'hui disparus, et Alacalufes (appelés aussi Kaweskar) que l'on considéraient comme des "Indiens de mer" ou des "nomades de la mer", eux qui savaient que leur survie tenait à ce feu qu'ils entretenaient sur un lit de sable directement dans leur canot, je pense pouvoir intégrer à nouveau ce roman dans le Book Trip en mer de Fanja.
Ces peuples ont survécu ici depuis des centaines d’années, avec leur forme de bonheurs et de malheurs. Ils ont une intimité remarquable avec la nature à laquelle ils se sont adaptés. Ils la perdent à notre contact car nous leur offrons ce qui paraît être la facilité. Je vois les plus vieux des Yamanas dont on m’a dit qu’ils sont dans cette mission depuis ses débuts, ils ne savent déjà plus construire les pirogues ni tailler les harpons...
J'ai l'impression d'être enfin arrivée quelque part. Des années après l'arrachement d'une fillette à ses collines écossaises, à l'autre bout du monde, ce paysage, sans raison, me dit que je suis à bon port.