Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
En se lançant dans cette entreprise, le gouvernement britannique cherchait à éviter de donner l'impression de soutenir la piraterie. L'action centrale de ce plan constituait pourtant un vol flagrant : faire main basse sur un galion espagnol chargé de minerai d'argent et centaines de milliers de pièces de monnaie...
Il s'agit d'une histoire vraie...
En 1740, le Wager et ses deux cent cinquante hommes d'équipages se préparent pour un long périple vers l'Amérique du Sud. Ils font partie d'une escouade sous le commandement du commodore Anson qui a pour mission de rejoindre et appréhender un galion de l'Empire Espagnol aux cales remplis d'or.
Le Wager est considéré comme "le bâtard de la flotte" car c'est un bateau qui n'était pas fait pour guerroyer étant un ancien navire marchand, ventru et difficile à manœuvrer.
Le recrutement n'est pas facile, les marins sont enrôlés de force, enlevés dans les rues ou les campagnes ou alors choisis parmi les repris de justice ou autres. Ils sont alors acheminés dans la cale de petits bateaux jusqu'à la flotte. Ces bateaux que l'on appelle des "ravitailleurs", sont en réalité des "cachots flottants" car la cale est fermée par des grilles boulonnées, et gardée par des fusiliers de marine armés. Les mousses n'ont parfois que six ans !
C'est ainsi qu'ayant pris beaucoup de retard, les navires s'apprêtent à franchir le Cap Horn au pire moment de l'année, alors que les courants sont les plus forts, les vagues les plus hautes et les tempêtes les plus violentes. Les marins sont épuisés et sont presque tous atteints par le scorbut, ce mal étrange qu'à l'époque on ne savait pas prévenir ou soigner lié à la carence en vitamine C. Amoindris par la maladie, les hommes ne peuvent plus lutter contre les éléments. Le Wager fait naufrage...
Quelques hommes arrivent à rejoindre le rivage d'une île désertée, battue par les vents et les tempêtes. Là vont tenter de survivre quelques officiers et une partie de l'équipage.
Eux qui sont pourtant habitués à vivre dans des conditions difficiles sur leur bateau, vont connaître le pire de ce qui peut arriver à des naufragés. En effet, la faim et la violence ont raison de leur statut d'homme : certains commettent l'irréparable, s'adonnent au cannibalisme, volent les rares denrées rationnées, tuent... ou abandonnent leurs camarades. Le groupe se divise...en trois. Une mutinerie éclate et le commandant commet un meurtre devant témoin. Plus tard, il sera emprisonné, attaché puis abandonné sur l'île tandis que certains embarquent sur un canot fabriqué avec des morceaux de l'épave du Wager pour tenter de rejoindre la civilisation. Entre temps, les marins vont croiser quelques autochtones qui pour eux sont des sauvages (alors qu'ils vont les aider !).
Alors que tout le monde les pensait au fond de l'océan un premier groupe de vingt-neuf survivants réapparaît au Brésil deux cent quatre-vingt-trois jours après le naufrage. Puis trois autres rescapés atteignent aussi le Brésil trois mois et demi plus tard.
Ceux qui reviendront en terre civilisée ne seront plus que l'ombre d'eux même et ceux qui arriveront les premiers en Angleterre n'auront de cesse de vouloir attaquer par avance pour sauver leur peau. Mutineries et meurtres sont en effet passibles de la peine de mort...c'est à celui qui fournira le récit le plus authentique et le plus plausible.
L'heure des règlements de compte est arrivée !
Chaque élément était essentiel au bon fonctionnement du navire. L'inefficacité, les bévues, la stupidité, l'ivrognerie pouvaient conduire au désastre.
Pour naviguer il fallait apprendre à barrer, à épisser, à étançonner et à virer de bord, à lire les étoiles et les marées, à utiliser un quadrant pour établir sa position et à mesurer la vitesse du navire en jetant dans l'eau une ligne aux noeuds uniformément espacés pour ensuite compter le nombre de ceux qui lui glissaient entre les mains sur un laps de temps donné.
L'équipage comptait au minimum un homme noir : John Dick, esclave affranchi originaire de Londres. La British Navy défendait le commerce des esclaves, mais les capitaines en manque de marins expérimentés enrôlaient souvent des noirs et libres. Quoique la société d'un bateau ne fût pas toujours aussi soumise à la ségrégation que sur la terre ferme, il s'y exerçait une discrimination omniprésente.
Voilà un formidable récit historique doublé d'un roman d'aventure maritime que j'ai lu d'une traite tant je voulais savoir ce qui allait advenir des naufragés ! C'est un récit passionnant, clair et précis, prenant, riche en rebondissements et remarquablement bien écrit et documenté. C'est tout un pan de l'histoire de l'Empire britannique mais aussi de l'histoire de l'exploration maritime que le lecteur découvre.
L'auteur que je lis ici pour la première fois, précise en fin d'ouvrage que le livre puise largement dans les sources bibliographiques et qu'il a étoffé ses propos et ses descriptions de l'île du Wager et des mers qui l'entourent, grâce à son propre voyage de trois semaines sur place.
Il a des dons de conteur extraordinaires car il nous fait revivre d'une manière très cinématographique les péripéties vécus par ces hommes voyant arriver leurs derniers jours avec angoisse. Il ajoute aux faits réels et à son récit, juste la touche nécessaire de fiction, pour rendre les faits plus crédibles, nous faire part du ressenti des différents protagonistes dont il fait même un portrait psychologique intéressant, en décrivant leurs motivations, leur ambition personnelle ou leur loyauté à la couronne britannique.
Le lecteur entre immédiatement dans l'ambiance et se retrouve totalement immergé dans l'action, sur le bateau, dans la promiscuité, les odeurs, les souffrances humaines (comme par exemple lorsque les hommes sont atteints du scorbut et meurent tous les uns après les autres dans de terribles souffrances). Ce faisant les hommes en oublient leur humanité pour devenir des bêtes, prêtes à tout pour leur survie.
J'ai appris beaucoup de choses en lisant ce livre, non seulement sur la navigation, mais aussi par exemple sur le niveau intellectuel des officiers à qui on conseillait d'emporter à bord des classiques comme Virgile ou Ovide, ou des recueils de poésie pour continuer à s'instruire. Non seulement ils devaient apprendre à naviguer mais aussi à dessiner, à manier l'épée, à danser et "au moins à donner l'illusion de comprendre le latin".
Il est intéressant de noter que la Justice de l'époque a tout fait pour faire entrer cette sinistre histoire dans l'oubli afin de ne pas nuire à la réputation de la marine d'une part, mais aussi à l'image que le peuple avait de ses hommes. L'histoire en effet de ce naufrage pas comme les autres et des miraculés qui en ont réchappés, faisaient sensation et les batailles internes passionnaient les foules.
Le récit est étayé de nombreuses citations entre guillemets qui proviennent directement d'un des ouvrages ou publications cités dans la bibliographie, d'un journal de bord authentique, d'une lettre ou d'un journal personnel.
Je ne suis pas la première à découvrir ce formidable roman pour participer au challenge "Book Trip en mer" de Fanja, aussi vous pouvez aller lire les avis de Fanja elle-même ICI, Kathel ICI, Dasola ICI, Keisha ICI, Violette ICI, et bien entendu sur Babelio ICI.
Il est impossible de savoir de façon certaine ce qui transpira dans les coulisses, mais l'Amirauté avait certainement de bonnes raison de vouloir voir cette affaire s'effacer des esprits. Exhumer et examiner l'ensemble des faits incontestables qui s'étaient produits sur l'île_les pillages, les vols, les flagellations, les meurtres_ aurait fini par saper un principe fondamental par lequel l'Empire britannique tentait de justifier sa domination d'autres peuples : en l'occurrence, l'affirmation que ses forces impériales et sa civilisation étaient par nature supérieures.