Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Elle est maintenant là sous mes yeux, immense et princière, étirant à perte de vue ses longues vagues de terres mauves, jetant contre le train son ressac de bruyères.
C'est pour elle que je suis revenu jusqu'ici, pour sa dureté, son humidité, sa sauvagerie et les innombrables "lochs" qu'elle recèle- turquoise, noirs ou azur-, les plus belles choses qu'il m'ait jamais été donné d'admirer et dont ma mémoire n'a fait qu'amplifier le sublime au cours des années...
Alors qu'il vient de se disputer avec sa femme et que des mots terribles ont été prononcés, l'auteur (le narrateur) quitte sur un coup de tête son domicile parisien, ne laissant derrière lui que quelques mots griffonnés à la hâte sur un bout de papier : "je reviens dans une semaine". Il étouffe et n'en peut plus des disputes...dommage pour son petit Thomas qui ne comprendra pas que son papa ne vienne pas le chercher à l'école ce jour-là, pourtant son papa l'aime de tout son cœur.
Malgré son désarroi, le narrateur sait très bien où il va : il va rejoindre Londres et embarquer dans le Caledonian Sleeper, ce train de nuit qui traverse toute la Grande-Bretagne pour rejoindre l'Ecosse et en particulier Inverness. Là-bas, près d'Inchnadamph dans les Hautes Terres, il veut remonter à la source, retrouver ce "lac sans nom" qu'il avait découvert un bel été de vacances, alors qu'il se promenait avec sa mère au cœur de ces étendues sauvages. Il avait 13 ans. Dix ans plus tard, elle était emportée par la maladie.
Lui qui est insomniaque et n'a plus qu'un seul calmant dans sa poche, est bien décidé à rejoindre cette contrée éloignée dont il conserve tant de merveilleux souvenirs. Il emporte avec lui pour seul bagage, son vieux sac à dos délavé.
Après un voyage épuisant, à peine arrivé, il part sans réfléchir et pas du tout équipé vers ce lac qui l'attend. Dans sa mémoire, c'était un lieu magique, à peine mentionné sur une carte, lac minuscule perdu au milieu d'une myriade d'autres lacs, lac inconnu des pêcheurs donc resté sans nom.
Il y a bien entendu à ses côtés qui ne le quitte pas un instant dans sa quête, sa mère, avec qui il a arpenté la lande sauvage, son père et leurs parties de pêche à la truite silencieuses, son frère jumeau si différent de lui, qui préférait rester à l'écart.
Que c'est bon de marcher dans la tourbe en s'enfonçant à chaque pas, de retrouver les odeurs et les couleurs de ce désert verdoyant au printemps (nous sommes au mois de mai), l'éclat des lacs reflétant le ciel, la douceur si particulière de l'eau des ruisseaux, les montées qui se méritent et les vues dégagées une fois arrivé au sommet.
Ces Hautes Terres d'Ecosse sont une région sauvage, magnifique, mais rude, au cœur de laquelle on ne peut que se sentir tout petit, un peu perdu dans l'Univers, vulnérable mais tellement libre.
Mais c'est sans compter sur la météo capricieuse de ce coin paradisiaque...la pluie fait son arrivée et le brouillard la suit de près (ou l'inverse parfois !). Ce périple qui devait le mener au bord de ce lac perdu dans la lande, le conduire vers son enfance pour l'aider à retrouver ce bonheur sans nuage, tellement sécurisant et idéalisé, va se transformer en aventure pouvant à chaque pas devenir tragédie.
Comme dans sa vie actuelle, impossible pour lui de s'orienter à travers le brouillard, de prendre une quelconque décision, doit-il aller à droite ou à gauche, rebrousser chemin, descendre à l'aveugle en suivant les cours d'eau... Faut-il avancer coûte que coûte quand l'avenir est si incertain ?
Les larges fenêtres du wagon viennent d'être giflées par une myriade de gouttes d'eau.
Chaque goutte posée sur la vitre tremblote un instant, puis, vaincue par la vitesse, finit par lâcher prise, explosant sur elle-même et ne laissant à la surface du verre qu'un petit cil vif-argent.
Comme vous l'aurez deviné, l'auteur nous invite à un voyage introspectif et poétique de Paris à Inchnadamph, au nord de l'Écosse dans les Highlands donc.
Il nous décrit avec beaucoup de finesse son voyage, émaillant ses descriptions d'anecdotes, non dénuées d'humour et d'autodérision. Il a une manière bien à lui d'observer ce qui l'entoure, comme le ferait un peintre qui a chaque instant se demande ce qu'il va mettre en valeur au bout de son pinceau, ce qui doit être représenté ou pas sur le tableau, quelles couleurs utiliser. Tout cela ne nous étonne pas quand on sait que l'auteur est écrivain et...peintre et que sous le nom de Rorcha (voir son site ICI), il peint depuis des années.
Le récit est d'ailleurs parsemé de superbes tableaux, des tableaux colorés, aux couleurs intenses se renforçant au fil des pages, mais qui ne sont pas de simples illustrations car ils entrent en résonance avec les mots et les états d'âme de l'écrivain.
Les couleurs, le lecteur les retrouve aussi au cœur du texte, à chaque page. Ainsi, si les nuits sont blanches et d'un noir d'encre, le sac à dos rouge corail au départ mais vieux rose à présent, jaunes sont les genêts qui illuminent la campagne, mauves les bruyères qui parsèment la lande... Toutes ces couleurs, nous les retrouvons aussi dans les titres des chapitres. Chacun est désigné par une couleur en fonction du sujet mais aussi des émotions du narrateur "vert paradis", "noir de bougie", "turquoise de banquise", "rouge vermillon"...
Ce très beau récit, vous l'aurez compris, est avant tout un voyage intérieur, un voyage vers l'intime, vers ce lieu secret de la fin de l'enfance, bercé par la tendresse réconfortante d'une mère aimante. Ce retour en solitaire vers un passé qui n'existe plus, auprès de cette mère tant aimée qu'il n'a pas toujours su remercier_ ce qu'il regrette à présent qu'elle lui manque tant_ va lui permettre d'avancer avec confiance vers le futur, et au lac, de rester bien caché dans les landes lumineuses et sauvages de son enfance...
A lire, à offrir...absolument !
Voir ces chiffres défiler mécaniquement sur le tableau des départs, inscrits telle une survivance numéraire et officielle du monde d'avant, m'a fait envisager l'inenvisageable. N'y avait-il pas un infime espoir que tout soit resté là-bas ? Était- il absolument interdit d'imaginer que ce que j'y avais vécu à la fin de mon enfance puisse encore s'y trouver à la manière d'un insecte capturé dans une goutte d'ambre ?
Je l'avoue, je ne connaissais pas l'auteur lorsque j'ai croisé plusieurs chroniques très intéressantes dans la blogosphère car je n'ai pas eu l'occasion de lire son précédent roman qui s'intitule "Le saut oblique de la truite" et qui se passe en Corse.
Aussi, j'ai été très touchée lorsqu'il m'a contacté pour me proposer son livre. Je le remercie pour sa confiance, pour les échanges chaleureux que nous avons eu et pour l'adorable dédicace qu'il a pris le temps d'apposer à l'intérieur, avant de me l'expédier.
La préface est de Grégoire Bouillier. L'objet livre en tant que tel est une pure merveille.
Je ne vous dirai rien des souvenirs que cette lecture a fait remonter de mon propre passé, moi qui aie parcouru cette lande puisque je suis allée encore plus haut dans les Highlands jusqu'à Durness et pour cela aussi je le remercie. Il m'a donné envie d'y retourner...
Mes tableaux préférés : "Silence sur la mer"p.23 / " Le Mont Suilven, la nuit"p.41 / "Les quatre lacs" p.81 /"Paysages baroques autour du lac" p. 89 / "Le lac d'or" p.109.
Lire les avis d'Aifelle ICI, d'Alex ICI et de Marie Gillet ICI.
Et n'hésitez pas à aller écouter le podcast en cliquant sur le lien suivant...
Écosse : "Mon cœur est dans les Highlands" Robert Burns, poète
La littérature permet tous les voyages ! Aujourd'hui, rejoignons les Hautes terres d'Écosse, dans ces longues landes léchées de lacs, dans ces collines et ces douces montagnes maquillées de ...