Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Alors pour donner raison à la mère, et pour détruire tous ses espoirs, le septième jour, l'eau se remit à monter.
Cela commença par un regard du père.
Un seul, et Madie avait deviné. Elle ferma les yeux, il n'avait pas besoin de le lui dire.
Parce que ce septième matin, quand elle avait regardé dehors, le rocher qui lui servait de repère avait disparu. Elle n'avait pas voulu y croire. Pas voulu regarder une seconde fois non plus, préférant le doute et l'angoisse à l'affreuse certitude. Cela viendrait bien assez tôt...
Pata et Madie sont pauvres mais vivent heureux sur une colline éloignée du village, avec leurs neuf enfants : Louie, Noé, Sidonie, Liam, Mattéo, Lotte, Emilie, Marion et Perrine.
Il y a six jours, un volcan s'est effondré dans l'océan provoquant un tsunami gigantesque. Pourquoi n'ont-ils pas écouté les anciens qui prévoyaient une catastrophe d'une telle ampleur ? Pourquoi n'ont-ils pas fait comme les "trouillards" qui sont partis avant la catastrophe ?
Il ne sert à rien de se torturer car maintenant c'est trop tard, et tout a disparu : à perte de vue, il n'y a que la mer...et eux au sommet de leur colline. Plus de village, plus de vallée, plus de maisons ou d'animaux, et des milliers d'êtres humains...tout a été emporté par les flots.
Le problème pour eux est que maintenant que la mer a gagné sa place sur la terre, tout envahi en ne laissant que quelques rares collines émergées, elle ne s'est pas retirée et qu'au contraire elle monte inexorablement de jour en jour. La maison est à présent entourée d'eau et les parents sont inquiets.
Les premiers jours, au loin, ils ont vu passer quelques rares embarcations et dans l'eau beaucoup de débris, et hélas de cadavres.
Peut-être sont-ils les seuls survivants ? Le père pense que non et que les Terres Hautes n'ont pas pu être atteintes par la mer.
Découragés d'attendre des secours qui n'arrivent pas, sachant que la nourriture ne pourra que manquer malgré la présence de leurs poules, ils décident de partir avec leur petite barque pour rejoindre les hautes terres de l'Est où ils pourront survivre, mais la barque n'est pas assez grande pour réunir toute la famille. Il leur faut donc se décider à laisser Louie, et deux autres de la fratrie Perrine et Noé, "ceux du milieu" qui ne pourront pas les aider à ramer, pour emmener avec eux les plus grands et les plus petits qui eux ne pourraient pas survivre sans leurs parents.
Les trois enfants sont désespérés quand ils se réveillent seuls sur l'île et qu'ils comprennent que leurs parents se sont mis en route en cachette pendant la nuit. Ils pensent que c'est à cause de leur handicap qu'on les a laissés. Louie a en effet une patte folle depuis sa naissance, Perrine a perdu un œil dans un accident et Noé, est très petit pour son âge.
Tous trois vont devoir s'organiser pour faire face à la faim (apprendre à se rationner et à cuisiner), affronter seuls les nouvelles tempêtes, la solitude et les mauvaises rencontres, et attendre, car la mère l'a promis dans la lettre qu'elle a laissée pour eux avant son départ : le père reviendra les chercher.
Mais les jours passent et l'eau continue inexorablement à monter...
Il n'y a rien de plus vivant que ses petiotes, rien qui ait davantage raison qu'elles, anrées dans chaque instant, oublieuses du passé, inconscientes de l'avenir quand il dépasse la prochaine heure ou le prochain repas. Il envie leur spontanéité animale, l'élan irréfléchi qui les porte vers le lendemain quoi qu'il arrive, égoïste et superbe, des âmes vierges ignorantes du bien et du mal, ses marmottes, ses petites filles. Il s'assoupit une heure ou deux en les couvant du regard. Si elles n'étaient pas là, il serait déjà mort...
Ce roman post-apocalyptique reprend le thème bien connue de la catastrophe plausible mais qui restera mystérieuse sur ses origines et même ses suites, puisque normalement après un tsunami, l'eau se retire. Le lecteur comme les personnages du livre, est angoissé à l'idée qu'elle continue de monter, mais comprend que les tempêtes y sont pour quelque chose, un dérèglement climatique irréversible en quelque sorte, ce qui n'est pas sans rappeler certaines des prévisions climatiques actuelles.
Mais c'est avant tout un roman noir et un drame familial, qui alterne les voix des enfants restés seuls sur l'île qui vont devoir s'organiser et le récit du terrible voyage qui attend les parents et leurs six autres enfants.
Il est découpé en trois parties, en plus du prologue qui nous présente les personnages : le jour du départ des parents, vu du point de vue des enfants restés sur la terre ferme ; le jour du départ du point de vue du reste de la famille sur la barque ; et 9 jours plus tard lorsque les événements se sont dégradés et que chaque membre de la famille a souffert d'une manière ou d'une autre de la façon la plus horrible qu'il soit.
Inutile que je vous dise que l'ambiance est oppressante, et que comme à son habitude, l'autrice ne laisse pas son lecteur respirer une seule minute tant les émotions s'entremêlent et le suspense devient insoutenable au fil du roman. Sa manière de décrire chacun des événements, chacune des pensées des personnages est toujours hyper réaliste, ce qui plonge le lecteur dans une angoisse quasi viscérale et je reconnais que j'ai eu maintes fois envie de lire les dernières pages pour savoir ce qu'il allait advenir des enfants abandonnés mais j'ai résisté.
L'autrice sait particulièrement bien nous décrire la personnalité de chacun des personnages ce qui nous les rend encore plus attachants.
Elle aborde aussi à travers son roman le thème de l'amour parental, et en particulier de l'amour maternel et bien entendu le thème du handicap. Le point de vue de ces enfants "pas comme les autres" qui envisagent lucidement que les parents les aient abandonnés parce qu'ils ne les aimaient pas à cause de leur handicap, est tout à fait bouleversant...bien entendu que le raisonnement du père se tient et le désespoir de la mère inconsolable est émouvant pour nous qui avons des enfants. En tant que mère j'ai ressenti beaucoup d'empathie pour elle, car comment une mère peut-elle sélectionner lesquels de ses enfants elle va abandonner. Le père par contre, pragmatique, veut avant tout sauver le plus de membres possibles de la famille. Cependant vous le verrez en lisant le roman, nous n'adhérons pas à toutes ses décisions, ce qui rend cette lecture encore davantage riche en émotions.
Il faut bien reconnaître que l'autrice sait jouer avec nos peurs les plus enfouies. Tout d'abord, cela nous ramène à notre petite enfance, le Petit Poucet est passé par là bien entendu, qui peut se vanter de n'avoir jamais eu peur, enfant, d'être abandonné ? C'est même un sentiment qu'adulte nous pouvons connaître lors du deuil d'un proche...Qui n'a jamais eu peur de l'eau, des profondeurs, des animaux qui se cachent dans les profondeurs ?
Et puis nos angoisses profondes se révèlent : qui n'a jamais eu peur pour ses enfants ? Et nous quels choix ferions-nous dans l'urgence ? Je ne veux même pas y penser !
Il parait que l'autrice a une peur panique de l'eau, une peur qu'elle symbolise dans le roman par la présence du "monstre marin" (auquel je le reconnais je n'ai pas cru) et à la montée de l'eau qui nous fait craindre que les enfants meurent noyés. En apprenant cela, je me suis demandée comment elle avait pu ne pas faire de cauchemar en écrivant ce roman. Tout que je peux dire c'est qu'elle nous transmet ses angoisses...et le pire c'est qu'on en redemande.
J'hésitais à le mettre dans le booktrip en mer de Fanja (voir ICI) et pourtant la mer entoure nos héros et ils passent plus de temps sur l'eau à naviguer que sur terre...alors pourquoi pas si Fanja l'accepte, ça fait un polar de plus.
Un chagrin les prend, la nostalgie d'un monde qui meurt, de la page tournée sur leur enfance et leurs espoirs, l'île va disparaitre et Pata n'est pas revenu les chercher. Sans rien dire aux autres, chacun d'eux espère le croiser sur la mer, ce soir, demain, dans deux jours. S'ils ne croyaient pas cela, sans doute ne partiraient-ils pas. L'océan leur fait peur...