Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Il suffit d'un léger dérèglement dans la vie des hommes, un grain de sable se glissant dans les rouages de leurs habitudes pour changer les manières de vivre avec les autres, de penser le fonctionnement de la société, d'appréhender les relations humaines. Il suffit de peu de chose pour que les valeurs de solidarité, d'humanité et d'entraide prenne le dessus.
Voilà un livre que j'hésitais à présenter ici et puis réflexion faite, je me suis dit pourquoi pas, vous allez comprendre pourquoi...
Le narrateur se retrouve par hasard sur un bateau de croisière en partance pour les Caraïbes au départ de Puerto Rico. Sa sœur qui avait réservé le voyage, et ne peut plus y participer, vient de lui céder le billet, ne trouvant personne d'autre pour la remplacer. Deux mille personnes sont à bord.
"Le Joyau des Mers" est un des tous derniers navires de la CSM, il est flambant neuf et tout le monde rêve de faire une croisière à son bord en passant par des routes maritimes peu connues. Ce n'est pas le genre de vacances dont notre narrateur rêvait, mais une fois à bord, il ne boude pas son plaisir. Les loisirs et le bonheur semblent être une priorité. Le troisième jour, alors que le navire se dirige vers les Bermudes, tout le système électrique tombe subitement en panne...le pilote automatique ne répond plus, et toute communication avec l'extérieur devient impossible. N'arrivant pas à réparer, le bateau étant impossible à manœuvrer, le commandant de bord envoie dix hommes d'équipage à bord d'une chaloupe afin de tenter de rejoindre une des îles de l'Archipel le plus proche pour demander du secours. Ils reviendront peu de temps après : ils ont découvert une île immense, bizarrement non répertoriée sur la carte et apparemment inhabitée. Sachant qu'ils ont peu de chance d'être secourus rapidement car ils naviguent sur une route maritime rarement empruntée, le commandant de bord décide de transférer sans plus attendre les passagers sur cette île...paradisiaque.
Les "naufragés" tels des robinsons, vont devoir apprendre à vivre ensemble, à s'organiser, à oublier leurs réflexes d'antan et leur vie moderne pour survivre et réinventer un nouveau monde. Là, sur cette île, ils sont tous à égalité, il n'y a plus aucune hiérarchie sociale derrière laquelle se cacher.
L'instant que nous vivons est important. Il existe peu de moments dans la vie d'un homme, ou d'une société, où l'on a la possibilité de déterminer le cours de sa vie et les règles que l'on se donne.
Quel régime politique idéal pourrions-nous imaginer ? La démocratie. Je n'en connais pas de plus juste, je n'en connais pas de plus égalitaire, je n'en connais pas de plus libre.
Nous ne pouvons pas tous avoir une voix ! Ici, il y a des gens qui, comment dire,...enfin vous voyez bien ce que je veux dire, il y a des gens qui ne sont pas d'un niveau suffisant pour voter. On ne peut quand même pas mettre sur un pied d'égalité les passagers qui étaient en cabine Superluxe, et par exemple, les mécaniciens, les femmes de ménage, les soutiers du bateau.
Aussitôt des protestations se font entendre :
- Comment ? Pourquoi voulez-vous nous interdire de voter ?
C'est un livre court, léger, facile à lire, riche en dialogues et qui permettra certainement des débats en famille. C'est le seul intérêt que j'y ai trouvé et c'est la raison pour laquelle j'ai décidé de le présenter malgré mes très nombreux bémols que je vais détailler. L'écriture est fluide et agréable, même si par moment maladroite. Accessible à tous, il peut constituer une lecture de vacances facile à partager avec des ados, d'autant plus qu'il véhicule des valeurs d'entraide, de partage, des valeurs humaines dont nous avons bien besoin en ce moment.
L'autrice étaye son roman de nombreuses références littéraires faisant partie des classiques du genre, comme "Robinson Crusoé" et autres textes, pouvant donner envie de prolonger le sujet, ainsi que des rappels historiques et didactiques concernant l'histoire de la démocratie entre autre.
Cependant, je dois émettre certains bémols !
J'ai trouvé l'histoire peu plausible du début à la fin. D'abord, c'est surprenant que le commandant décide si rapidement d'abandonner le navire, ensuite c'est impossible que personne ne mette en place des recherches, car bien entendu la trajectoire du bateau était connue puisqu'il s'agit d'une croisière organisée, et puisqu'ils ne sont pas arrivés à bon port, cela aurait du enclencher des recherches en mer d'urgence, non ?
Moi que l'on traite souvent d'idéaliste, et bien...j'ai trouvé que le roman offrait une vision de la vie communautaire beaucoup trop utopiste, et donc peu crédible ! Je trouve par exemple que les gens tombent d'accord trop facilement pourtant je peux vous assurer que j'aime l'harmonie. Il n'y a pas de révolte, comme ce serait le cas dans la réalité, et les jours s'écoulent quasiment sans anicroches.
J'ai eu parfois l'impression d'assister à un cours d'éducation civique autour de la démocratie, du vivre ensemble et de la solidarité, un peu ennuyeux même si, bien entendu, les questions posées par la vie en communauté sont tout à fait pertinentes.
Enfin, il ne se passe pas grand chose ! La vie quotidienne est très peu décrite, l'autrice privilégiant les moments de débats animant la petite communauté. Le ressenti des individus devient accessoire car l'urgence c'est l'organisation du quotidien et pourtant dans ce genre de situation extrême, parler du ressenti des personnes ainsi coupées du monde dans lequel ils ont vécu jusqu'à présent, aurait donné une autre dimension à ce roman.
Et j'ajouterai à tout cela qu'il y a de trop nombreuses invraisemblances comme les enfants qui tombent malades car ils boivent du lait de chèvre (d'où viennent- elles ?) et le fait que l'île regorge de plantes potagères parfaites pour se nourrir, comme par hasard (pas certaine que ces dernières poussent spontanément dans ces contrées...)
J'apprend en rédigeant ces lignes (et cela m'a beaucoup amusé finalement !) que ce roman est une "commande" d'une banque populaire que je ne nommerai pas et, sans doute pour l'autrice qui a écrit là son premier roman, d'une écriture avant tout alimentaire. L'accent qui est mis sur la solidarité ne m'étonne plus puisque l'histoire n'est qu'un prétexte pour en parler.
Malgré mes nombreux bémols, ce roman peut donner envie de rêver, d'imaginer un monde meilleur, où tout le monde aurait son mot à dire, où les hommes seraient égaux, où les classes sociales n'existeraient plus et les différences raciales ou sexistes non plus. Et pour les jeunes adultes en âge d'aller voter, ce petit "cours de démocratie" ne pourra pas leur faire de mal, s'ils ne s'ennuient pas en le lisant.
Pourquoi ne suis-je pas étonnée d'apprendre que l'autrice est normalienne et historienne. Elle a été spécialiste des années pompidoliennes et du mouvement centriste. Elle a aussi enseigné pendant quelques années, l'histoire politique et sociale de la France aux XIXe et XXe siècles à l'Université (Sorbonne, Nanterre), avant de prêter sa plume à des hommes politiques et des chefs d'entreprise. Elle vit aujourd'hui en Bretagne et est l'auteur de nouvelles, romans, d'essais et de biographies (Romain Gary..), mais je ne la connaissais pas du tout, je l'avoue, même de nom. Elle a pourtant obtenu un prix littéraire (Prix Charles Oulmont 2019, dans la catégorie “Littérature”) pour son essai "Ma part d’animal" publié chez Léo Scheer, en 2018.
J'ai malgré tout, sur ce livre, un avis mitigé. Ce qui explique que j'ai fini le livre, c'est donc uniquement parce qu'il est met en avant de belles valeurs humaines de partage, valeurs que l'on oublie bien trop souvent à présent dans nos sociétés contemporaines.
Ce livre a été découvert tout à fait par hasard dans une boite à livres. Il peut être intégré dans le Booktrip en mer de Fanja (ICI) sans problème puisque l'histoire se passe en mer, ou sur une île, mais bon, il ne constitue pas pour autant une lecture indispensable pour ce challenge. Il faut savoir que la maison d'édition a fermé ses portes il y a déjà 10 ans et que ce livre ne se trouve plus que chez les bouquinistes donc !
Tu sais, une communauté se construit peu à peu, avec les pierres que chacun apporte : la pierre de l'écoute, la pierre du partage, la pierre de la présence, la pierre de la solidarité. Toutes ces pierres doivent être polies, travaillées chaque jour, pour façonner notre communauté et la faire durer. Rien n'est jamais acquis ! Vivre ensemble, c'est un défi, c'est exigeant, et il me semble que pour ces raisons, c'est beau à vivre.