Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Devant il y a le ponton, la langue de mer et l'île. Un phare sur une colline. Des buses dans les courants d'air ascendants.
Ici les navires avaient mis cap sur San Francisco et plus au nord.
Ici avaient dû débarquer les prisonniers Yoeme.
Ici s'était peut-être tenu le chanteur.
Ici se tient-elle.
Elle n'aurait jamais dû venir.
Elle est une touriste. Des touristes, c'est tout ce qu'ils sont. Pire ce sont des mineurs, venus extraire tout ce qu'ils peuvent de cette culture ancestrale...
Ce roman n'aurait jamais vu le jour si l'autrice, Anna Hope, n'avait pas un jour cherché à comprendre pourquoi elle n'arrivait pas à avoir d'enfant, alors que cela faisait des années que son couple désirait en avoir un. Alors qu'ils se trouvent tous les deux au Mexique, ils sont invités à prendre part à une cérémonie Wixárika durant laquelle on leur propose de prier pour exaucer leur voeu le plus cher. Quelques temps après, elle tombe enceinte et leur petite fille nait.
Quelques années après, alors que tous deux sont en train de se séparer, ils projettent de retourner sur les lieux, là où vivent les indiens Wixárikas, au coeur de la Sierra Madre afin de les remercier en apportant des offrandes, et de demander protection pour leur petite fille.
Voilà pourquoi le couple se trouve embarqué dans un minibus avec d'autres touristes désirant tous se rendre sur ce lieu sacré, le Rocher blanc. Il y a un mexicain, un colombien, une sénégalaise et sa petite fille, une française, une allemande, une anglaise et deux anglais, un suédois et un chaman en plus du couple et de leur petite fille. C'est le mari qui conduit.
Peu à peu la narratrice qui est l'écrivaine (et sans nul doute aussi l'autrice) glane ici ou là des bribes de conversations et commence à comprendre les raisons cachées ou à peine évoquées par les uns ou les autres expliquant leur voyage jusque dans ce coin reculé du globe.
Le roman débute par le récit de l'écrivaine, en 2020 en pleine épidémie de Covid quand débute leur périple. Nous faisons sa connaissance dans le minibus bondé alors que sa petite fille s'impatiente et que la chaleur est suffocante.
Puis l'autrice remonte le temps jusqu'en 1969 pour nous raconter la vie de ce chanteur (Jim Morrison) qui a mis fin à ses jours, deux ans après être venu lui aussi dans ce lieu qui lui avait permis de s'évader de son quotidien, d'abandonner sa tournée et de s'interroger sur le sens de sa vie et du succès.
Elle poursuit ensuite par l'histoire poignante de celle qu'elle appellera simplement "la fille". En 1907, une petite fille Yoeme est enlevée (avec sa soeur) à sa famille pour être vendue comme esclave.
Puis l'autrice remonte encore le temps jusqu'au "lieutenant" (personnage librement inspiré de Juan de Ayala). En 1775, il fut le premier européen à naviguer dans la baie de San Francisco pour la cartographier.
Anna Hope repart ensuite en sens inverse dans le temps pour terminer le récit de leurs histoires et arriver jusqu'à aujourd'hui...
...elle commence à apprendre que les choses sont ainsi, qu'on ne sort pas de cinq cent ans de tentatives de destruction de sa culture en construisant des basiliques qui brillent au soleil. Leurs lieux les plus sacrés se cachent à ciel ouvert : il faut s'accroupir pour être près du feu, se baisser pour entrer dans la grotte, grimper pour atteindre le sommet de la montagne.
Mais ce que dit sa grand-mère, c'est que les gouverneurs, les généraux et les Yankees du Nord ne comprennent pas : la terre n'est pas juste la terre qu'on voit, ou la terre qu'on mesure. ce sont les mondes qui cohabitent, les "yo ania", "sea ania", "huya ania" : le monde enchanté, le monde des fleurs et le monde sauvage. Tous ces mondes-là ne peuvent être scindés ni mesurés avec des bâtons.
Dieu a donné cette terre à tous les Yoemem, et non pas un bout à chacun.
L'autrice traverse donc ces quatre histoires, ces quatre destins singuliers et trois siècles pour nous raconter l'histoire de ce Rocher blanc...lieu sacré pour les indiens et lien commun entre les histoires. Le Rocher blanc auquel la tribu des Wixárikas attribue des pouvoirs extraordinaires existe vraiment et est situé à Nayarit au Mexique.
Pas de passage mystique pour autant. La narratrice nous livre un portrait sans concession de leur couple en péril, de son anxiété pour l'avenir qui explique qu'elle ait besoin de venir déposer des offrandes, de trouver un sens à sa vie maintenant qu'avec son mari rien ne va plus et de demander protection pour sa fille.
Mais trouvera-t-elle pour autant l'apaisement arrivée au Rocher blanc, je vous laisse le découvrir...
Il est tentant de lire chacune des histoires de manière chronologique, j'ai même eu du plaisir à le faire quand j'ai réalisé que c'était ainsi que le roman était bâti. J'ai aimé l'écriture, la manière particulière de l'autrice de nous inviter à marcher dans ses pas, les liens parfois ténus mais subtils qu'elle tisse entre tous les personnages, leur différence, leur foi dans les croyances et les mythes.
J'ai aimé le respect avec lequel l'autrice parle de ces cérémonies traditionnelles que personnellement je connaissais peu. Elle s'interroge même sur sa légitimité d'y participer, elle qui débarque d'Europe et n'appartient pas à cette culture, elle qui est une simple touriste comme les autres.
En racontant l'histoire de ce Rocher blanc, tellement présent, beau et mystérieux, l'autrice nous dépeint aussi la folie des hommes, avides de conquêtes et les conséquences de leurs actes au fil des siècles, l'histoire des peuples oppressés et dépouillés de leur terre...
Malgré ces passages que j'ai beaucoup aimés, des personnages qui m'ont touché, j'ai un avis mitigé sur ce roman qui veut aborder trop de sujets à la fois, propose un lien trop superficiel entre les histoires même si chacune individuellement a des raisons de nous émouvoir. Il m'a manqué quelque chose et j'ai trouvé beaucoup trop de longueurs entre deux passages intéressants.
Dommage, j'avais eu ce même ressenti en lisant " Le chagrin des vivants" présenté ICI.
L'écrivaine se rappelle avoir couru comme ça, avoir été une enfant comme ça, quand votre coeur rencontre l'air autour de vous, et qu'il n'y a rien sur son passage, quand vos longs cheveux flottent derrière vous. Et maintenant sa fille est debout, elle se joint aux autres.