Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Les enfants ont des mamans, les hommes ont des mères. Il replia la lettre et y plongea son nez. Elle sentait les planches de ponton putrides et les roseaux secs de l'été, les petits morceaux d'écorce calcinés, le beurre clarifié en train de fondre et le tablier maternel saupoudré de farine.
Ce n'est qu'avec la vente des cigares, en effet, qu'un tabac respectable devenait la fine fleurs des tabacs ; seul l'arôme, le parfum, le goût et le piment d'un assortiment choisi de cigares faisaient d'un banal débit de tabac-journaux un temple de l'esprit et du plaisir.
Nous sommes à Vienne à la fin de l'été 1937.
Franz Huchel qui a toujours vécu avec sa mère dans le Salzkammergut, au pied des Alpes autrichiennes, vient de débarquer en ville pour travailler avec Otto Tresniek, un buraliste unijambiste qui le prend sous son aile comme apprenti. Il a à présent l'âge de gagner sa vie.
Otto est très respecté dans le quartier, il a été blessé durant la Première Guerre mondiale et a une haute idée de son métier. Il offre à sa clientèle un choix de presse de tous bords, le plus ouvert possible.
Franz découvre la ville et ses plaisirs, mais surtout le travail quotidien dans la boutique où passent des gens très différents, que ce soit pour acheter un journal, du tabac, de la papeterie ou autres prestations proposées dans les lieux. Dans un premier temps, Otto lui demande de retenir les petites habitudes des clients afin de les satisfaire au mieux.
Puis, le jeune Franz suit les conseils d'Otto et se met à lire la presse. Au début, il ne comprend rien à la politique mais tout cela aiguise sa curiosité. Peu à peu, il va comprendre de mieux en mieux ce qu'il observe autour de lui, et découvrir la montée du national-socialisme.
Un jour, un homme d'un certain âge se présente à la boutique pour acheter ses cigares et son journal : c'est Sigmund Freud. Le jeune Franz le connaissait de nom ce "docteur des fous", et il va le raccompagner jusque chez lui. Le jeune homme est fasciné par cet homme qui lui semble détenir de nombreuses réponses aux questions qu'il se pose et auxquelles Otto reste sourd.
Pour suivre ses conseils, Franz va tout faire pour rencontrer des jeunes filles et il va tomber amoureux d'Anezka, une jeune artiste de cabaret qui va enflammer le jeune homme naïf et jaloux.
Mais dès le début de l'année 1938, Otto qui refuse d'interdire l'accès de sa boutique aux juifs, est arrêté par la Gestapo. Sa boutique avait déjà été taguée, mais il était resté sourd aux menaces et avait continué son travail comme si de rien n'était...
L'Autriche a été rattachée à l'Allemagne nazie et les Juifs ne sont plus en sécurité dans le pays. La Grande Histoire les rattrape et Freud décide de migrer en Angleterre.
Rien se sera plus comme avant pour le jeune Franz, mais il va sans jamais dévier de son chemin, ni perdre son intégrité, et même sa naïveté, poursuivre avec beaucoup d'humanité la tache que ses deux mentors lui ont assignée.
Est-ce qu'il se pourrait que votre méthode du divan ne fasse que détourner les gens des chemins confortables où ils usaient leurs semelles jusque-là, pour les expédier sur un champ caillouteux totalement inconnu, où il leur faut chercher péniblement un chemin, sans savoir à quoi il peut bien ressembler ni même s'il débouche quelque part ?
Si on se bornait à dire la vérité, les cabinets des analystes seraient autant de petits Sahara poussiéreux. La vérité joue un rôle bien moins décisif qu'on ne pense. Il en est en psychanalyse comme dans la vie. Les patients disent ce qui leur vient à l'esprit, et moi j'écoute. Parfois c'est l'inverse, je dis ce qui me vient à l'esprit, et ce sont les patients qui écoutent.
Voilà un auteur que j'ai découvert grâce à Keisha (voir ICI) qui avait présenté en novembre dernier d'autres titres. A défaut de les trouver, j'ai emprunté celui-ci ! Je n'ai pas été déçue par cette découverte.
L'auteur nous livre ici des événements dramatiques tout en nous contant, non sans une pointe d'humour, l'histoire de ce jeune Franz, naïf et tellement pur, que le monde nous apparait moins violent à travers son regard et ses impressions. Le lecteur ne peut qu'être attendri de lire les pensées qui envahissent le jeune homme quand il tombe amoureux, et il perçoit à travers les propos des personnages à quel point le monde qui les entoure est devenu fou.
La Grande Histoire est en effet bien présente en filigrane, mais c'est surtout la relation particulière qui relie Franz à Freud qui est intéressante dans ce roman, car l'auteur nous montre une facette de ce grand psychanalyste que je ne connaissais pas. Lui qui est vieillissant et malade, mais relativement distant avec ses semblables, finit par céder devant l'insistance du jeune homme et par accepter de discuter avec lui tout en se promenant. Ainsi au fil de leur pas et de leurs échanges, le jeune homme évoluera, comprendra mieux le monde qui l'entoure, mettra des mots sur ses émotions et Freud sera touché par ce jeune homme pour qui il finira par avoir une certaine affection.
Il y a des moments de pure poésie comme par exemple, lorsque Franz mettant en application un des conseils de Freud, note tous les matins ses rêves de la nuit et les expose sur sa vitrine.
Enfin, c'est un roman qui vous propose de visiter Vienne, ce qui est très plaisant que vous connaissiez la ville ou pas. De plus, il se lit d'une traite, le lecteur pressent certains événements et n'a de cesse de vouloir connaitre la suite de l'histoire, mais bien entendu je ne vous dévoilerai pas la fin.
Je ne connaissais pas cet auteur, et ce titre est pourtant son quatrième roman. J'espère donc pouvoir poursuivre la découverte de son œuvre parue en totalité chez le même éditeur, un éditeur qui ne m'a jamais déçue.
Quand on ne sait rien, on n'a pas de souci, se disait Franz, mais si c'est difficile et pénible d'acquérir du savoir, c'est encore plus difficile, pour ne pas dire pratiquement impossible, d'oublier ce que l'on sait.