Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Une fois, alors que nous faisions de la grammaire, elle nous avait dicté cette phrase : "La femme est l'égale de l'homme et elle possède les mêmes droits". Nous nous étions toutes penchées sur nos cahiers et nous avions commencé l'analyse : "la" article défini, féminin singulier : "femme", nom commun de personne, féminin singulier. Mais moi, ce féminin singulier me paraissait bizarre. "Maîtresse, il y a une erreur dans l'exercice", avais-je dit, prenant mon courage à deux mains.
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-La femme n'est jamais au singulier...
Après "Le train des enfants", présenté ICI, que j'avais beaucoup aimé, "le choix" est le second roman de l'autrice.
Dans les années 60, Oliva Denaro est une jeune adolescente qui vit à Martorana, un petit village de Sicile. Sa famille est modeste, la mère coud et brode pour les autres, le père cultive son jardin potager et possède quelques poules. Ils vont aussi attraper des grenouilles et ramasser des escargots pour les vendre.
Elle aime courir sur les sentiers avec son frère jumeau Cosimimo, rire et jouer avec Saro, son jeune voisin, et passer du temps avec lui à regarder les nuages et à leur donner des noms. Ce qu'elle aime avant toute chose, c'est aller à l'école car elle adore Mlle Rosaria, sa maîtresse. Oliva rêve de vivre ses rêves et de poursuivre ses études. Elle cache derrière son lit des photos de stars qu'elle découpe dans des magazines que lui donne en cachette son amie Liliana, fille de communiste, éduquée plus librement.
Sa mère, très intégrée dans le village et ses coutumes, lui impose des règles pour tout.
Mais le jour où la jeune fille grandit, a ses "cardinales" (entendez ses règles) la réalité devient terrible, son statut change et elle ne doit plus sortir de la maison sans un protecteur. L'attitude de son frère jumeau change aussi, il s'éloigne d'elle tout comme Saro, son ami d'enfance. Sa mère lui impose des contraintes de plus en plus étouffantes et lui déconseille de fréquenter Liliana.
Heureusement son père, bien que taiseux, n'est pas d'accord avec cette époque. Il sait que Fortunata, sa fille ainée, n'est pas heureuse en ménage. Il a été obligé de la marier à celui qui l'avait mise enceinte. Elle a ensuite perdu le bébé sous ses coups. Il voudrait le meilleur pour sa cadette. Il l'observe, la voit grandir, et tente de continuer à la guider le mieux possible, avec douceur et bienveillance.
Mais voilà que le fils du boulanger, Pino Paternò, véritable petit caïd revenu depuis peu au village, a des vues sur elle, il est beau, toutes les jeunes filles rêvent de l'épouser mais pas Oliva, qui bien qu'elle soit troublée par ses regards, se refuse à lui, le repoussant et par cela même touchant à son orgueil de mâle. Voilà qu'il décide alors de la faire enlever et de la violer. Ainsi pense-t-il, comme c'était l'usage à l'époque dans ses contrées siciliennes reculées, elle sera obligée de l'épouser pour sauver son honneur.
Mais la jeune fille, bien que détruite, se refuse à lui et sa famille va la soutenir (y compris sa mère) face à un combat qui va les faire tous souffrir et modifier leur destin. Elle ne veut pas de ce mariage "réparateur" comme la loi le prévoyait. Elle veut avoir le choix, porter plainte et le poursuivre en justice...
Mon institutrice Rosaria avait raison : les mots sont des armes. Pas seulement les mots difficiles, mais aussi les mots ordinaires, qui dansent dans la bouche des ignorants.
Quand on est vraiment amoureux, on ne maltraite pas, on ne fait pas peur, on ne force pas l'autre.
La veuve Grasso a raison dit-elle. Mais c’est aussi la faute des femmes. Ce sont elles qui transmettent à leurs filles ce qu'on leur a appris, à elles. Si les mères expliquaient le respect de la femme et la parité à leurs garçons, si elles permettaient à leurs filles de vivre librement, sans restrictions, si elles laissaient suivre des études et se préparer à avoir un travail… La mentalité, c’est la faute de qui ? Seulement de l’homme, ou de la femme aussi ? Moi, je pense que le changement doit venir des femmes. p 164
Une fille, c'est comme une carafe : qui la casse la ramasse, dit toujours ma mère.
Voilà un roman social sur fond d'histoire des femmes, très émouvant qui sonne juste et nous emmène des décennies en arrière. Le style est simple et sans fioriture. Il va bien à l'histoire d'Oliva et à celle de sa famille. L'autrice nous décrit ses personnages, leurs personnalités et les différentes coutumes et événements avec beaucoup de finesse. Le poids des convenances, les rumeurs et les commérages dans le village, l'église et la justice archaïque de l'époque, qui donnent toujours raison aux hommes, tout est décrit avec beaucoup de réalisme.
Le roman se divise en quatre parties.
Dans la première (1960) Oliva n'est qu'une enfant et le lecteur prend le temps de la connaître et de faire connaissance avec ses parents, ses amis et surtout ses rêves. Oliva avec sa naïveté liste toutes les règles imposées par sa mère qui veille à son éducation.
La seconde, la même année, se termine par le drame, le lecteur découvre le poids des traditions ancestrales et le destin de la plupart des jeunes filles à cette époque.
Dans la troisième partie, la même année encore, Oliva tente de se reconstruire en attendant le procès.
Dans la quatrième on se retrouve en 1981, année de l'abrogation des lois sur le mariage réparateur, lois qui avaient été instaurées par les fascistes. Les années ont passé et chacun a repris sa vie mais le combat des femmes n'est pas resté vain, les lois vont changer la société. Le récit alterne alors la voix d'Oliva et celle de son père qui semble se répondre, la dernière phrase d'un chapitre prononcée par l'un, débutant celle du suivant, prononcée par l'autre.
L'autrice ne nous donne pas de leçons. Le lecteur apprend tout ce qu'il a à savoir à travers le récit d'Oliva. Faire son propre choix, bâtir son avenir comme on le désire, être indépendante sans avoir besoin d'un homme pour subvenir à ses besoins, tout cela est un combat de tous les instants et rien ne sera facile pour elle.
Ce roman est un bel hommage à toutes les femmes qui ont osé dire NON et qui en faisant cela, ont permis de faire évoluer les idées et la société.
En parallèle, grâce aux aides qu'elle reçoit des communistes, le lecteur prend connaissance des combats menés par les militants pour changer les lois ancestrales et faire évoluer la condition des femmes. C'est donc aussi un roman qui replace l'histoire d'Oliva dans le contexte historique du pays dans les années 60-80.
J'apprends en rédigeant ces lignes que l'autrice s'est inspirée d'une histoire vraie, celle de Franca Viola, une jeune fille du sud de l'Italie, devenue un symbole, car elle a été la première à refuser un mariage pour réparation dans les années 60, une affaire qui avait été fortement médiatisée à l'époque et dont on a même fait un film. Je n'en avais jamais entendu parler !
Nous nous sommes implantés dans une autre terre, comme deux branches cassées, j'ai recréé un potager avec les boutures que j'avais prises du précédent. Les nouveaux plants ont poussé. Pour les êtres humains, c'est une autre histoire : on a beau leur donner toute l'eau et tout le soleil du monde, leurs nouvelles racines se sont jamais aussi profondes que les précédentes. On n'arrête pas de regretter sa terre d'origine, même quand elle nous est devenue étrangère.
Plus rien ne peut me toucher, désormais, et ce que j'ai perdu, je l'ai perdu pour toujours : courir à coupe-souffle avec mes sabots aux pieds, inventer des noms pour les nuages, me réciter les déclinaisons latine, tracer au crayon les visages des vedettes de cinéma, deviner l'amour dans les pétales d'une fleur.