Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Un enfant court derrière pour l'arrêter, je lui montre où le ballon s'est caché. Il s'accroupit pour le récupérer. Il porte un jean déchiré aux genoux et un t-shirt délavé, ses lacets sont défaits. Le ballon sous le bras, il me sourit et reprend sa course. Il a l'air heureux. Peut-être que je l'ai été moi aussi, il y a bien longtemps. Tandis que l'enfant disparaît au bout de la rue, l'étoffe ancienne et élimée des souvenirs, que j'avais jusque-là dû tendre pour essayer de la faire correspondre au présent, devient soudain parfaitement adaptée, elle épouse exactement mon champ de vision.
"...parfois ceux qui te laissent partir t'aiment plus que ceux qui te retiennent."
C'est la fin de la seconde guerre mondiale en Italie. Le roman débute à Naples en 1946. La guerre est finie mais le pays est exsangue. Amerigo Speranza vit avec sa mère Antonietta dans un quartier pauvre de la ville. Ils n'ont rien et la mère travaille mais arrondit les fins de mois avec des petites combines mises en place par Forte-tête, son ami du moment avec qui elle "travaille" dans la chambre et qui les aide un peu pour améliorer l'ordinaire. Amerigo va chercher des tissus pour lui dans les poubelles, sa mère les lave et ils les revendent ensuite.
Amarigo n'aime pas l'école et ne sait pas encore lire mais il adore compter et s'occupe en observant les chaussures des gens, ajoutant des points à son comptage, quand les chaussures n'ont pas de trous...un jeu comme un autre, lorsqu'il est seul dans les rues. On le surnomme Nobel parce qu'il est très curieux de nature et sait déjà plein de choses par rapport aux enfants de son âge. Le reste du temps, il joue avec Tommassino et d'autres enfants du quartier.
Le parti communiste italien met en place une aide spécifique. Les enfants des familles qui le désirent, peuvent être accueillis dans le nord de l'Italie dans des familles simples, certes, car ce sont des ouvriers, mais qui ne manquent de rien et sont prêts à les aider à se refaire une santé.
Amerigo sera du voyage comme certains de ses petits camarades de quartier, Tommassino et Mariuccia, la fille du cordonnier. Nous les suivons pas à pas dans leur nouvelle vie.
Il leur faut traverser tout le pays en train, être accueillis à l'arrivée par une autre famille. Pour Amerigo c'est Derna une femme seule qui n'a jamais eu d'enfants qui le recueille et pendant qu'elle travaille, elle le confie à sa soeur Rosa dont elle est très proche. Très vite, il s'attache à cette famille et en particulier à Alcide le mari de Rosa, qui joue auprès de lui un rôle de père de substitution. C'est plus difficile avec les trois enfants de la famille, dont un est particulièrement jaloux de la situation, nouvelle aussi pour lui. Mais, loin de sa mère et de ses repères, il a du mal à s'intégrer. Pourtant, la famille qui l'accueille fait tout pour le rendre heureux et lui faire découvrir une autre vie.
Quelques mois après, il faut revenir à Naples. Là, c'est le choc pour le petit garçon qui se sent déchiré, comme coupé en deux.
Comment se construire après une telle expérience ?
Maddalena explique que la solidarité c'est comme une dignité mais pour les autres. "Si aujourd'hui j'ai deux saucissons, je t'en donne un, comme ça si demain tu as deux morceaux de fromage, tu m'en donneras un".
Ce qui est bien, à mon avis. Mais je me dis aussi que si aujourd'hui les gens de la Haute-Italie ont deux saucissons et qu'ils m'en donnent un, comment je fais moi pour leur donner un bout de fromage demain alors que jusqu'à hier je n'avais même pas de chaussures ?
Il dit que comme ça quand il les appelle tous les trois, ça fait un mot : Rivo-Luzio-Nario ! Révolutionnaire ! Là, il me regarde et il attend. Je comprends qu'il faudrait que je réagisse...
L'auteur s'est inspiré de faits historiques réels...mais méconnus, pour nous conter cette histoire poignante. 70 000 enfants entre 4 et 10 ans quittèrent ainsi leur famille, certains n'ont jamais voulu rentrer chez eux.
Le roman est divisé en quatre parties, la première relatant la vie dans le quartier pauvre de Naples, la seconde le départ et la vie dans le nord à Modène donc (près de Bologne), la troisième le retour et la quatrième ce qui a suivi...dont je ne vous dirai rien pour ne pas ôter le suspense de l'histoire en vous racontant ce qu'Amerigo deviendra en grandissant.
L'auteur lui donne la parole et nous fait entrer dans son ressenti d'enfant, puis d'adulte. En faisant cela, elle donne toute la force à ce roman qui montre bien comment le ressenti des enfants importait peu aux organisateurs, et les dégâts psychologiques qui en ont résulté tout au long de leur vie, selon leur caractère, le vécu avec leur famille biologique ou adoptive.
Ce roman est aussi le prétexte pour nous parler de la difficile relation entre un fils et sa mère, meurtrie par la vie, pauvre, abandonnée par son mari, qui a perdu son premier enfant de maladie. Une relation ratée, parce que les mots n'ont pas pu être dit à temps, parce qu'Amerigo s'est senti abandonné et que sa mère n'a pas su lui dire qu'elle l'aimait et que c'est par amour, qu'elle a choisi de l'envoyer là-bas.
La plume de l'auteur est emplie de tendresse et d'humanité. Le lecteur se prend d'affection pour les enfants et leur histoire. Quelques passages pleins d'humour allègent le récit comme par exemple, les rats peints que les enfants vendent au marché pour les faire passer pour des hamsters, mais c'est sans compter sur la pluie qui s'invite.
J'ai aimé les personnages féminins, par exemple Maddalena, la personne qui s'occupe du départ des enfants et les accompagne dans le train.
C'est un portrait sans concession de l'Italie dans ces difficiles années d'après-guerre. Un pays où tout le sud du pays a été oublié, obligeant des milliers de famille à migrer pour survivre, vers chez nous en particulier dans le sud de la France où le travail ne manquait pas. Mais il est dommage que ce contexte particulier n'ait pas été un peu expliqué aux lecteurs qui du coup, s'il ne fait pas par lui-même l'effort de se documenter, passera à côté d'une occasion de s'instruire et d'en savoir plus sur cette immigration et ses raisons profondes.
C'est mon seul bémol car c'est un roman poignant à découvrir...
Au fur et à mesure que je m'éloigne de ma vie de maintenant et que je me rapproche de ma vie d'avant, les têtes de Derna, de Rosa et d'Alcide se transforment en celles de maman Antonietta, de la Royale et de la Jacasse. Tommasino a raison. On est coupés en deux, maintenant.
Ton souvenir demeurera intact : toutes les années que nous avons passées loin l'un de l'autre ont été une longue lettre d'amour, chaque note que j'ai jouée, je l'ai jouée pour toi...