Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Elle sait seulement ceci : il faut raconter ce qui hante. Et les sujets des documentaires comme ceux des romans sont des paravents qui masquent nos questions irrésolues. Le sujet ne se trouve ni ne se cherche, il faut s'autoriser à l'entendre, à lui laisser donner de la voix. Il est là depuis toujours, une banale écharde sous la peau qui se laisse oublier...
Dans les années 80, Cléo qui aime la danse, rêve d'en faire son métier comme les danseuses qu'elle voit à la télé dans les émissions de variété. Mais difficile de se bâtir un tel avenir quand on vit en banlieue dans une famille modeste. Aussi lorsqu'elle est "remarquée" par Cathy, une femme magnifique, à la sortie d'un de ses cours de danse qu'elle suit à la MJC locale, elle ne se méfie pas et tombe sous le charme de tout ce qu'on lui propose. Elle va alors concourir pour une bourse d'étude offerte par une mystérieuse fondation, la Fondation Galatée. Elle pourra partir à New York pour poursuivre son apprentissage !
Bien entendu, au départ, Cloé est prête à tout pour réaliser son rêve et gagner le concours, mais aussi pour ne pas décevoir celle qui l'a recrutée. On l'invite au restaurant, on lui offre des cadeaux jusqu'au jour où elle doit faire ses ultimes preuves lors d'un repas carrément glauque.
Ce qu'elle ne sait pas c'est qu'elle est tombée dans le piège de dangereux prédateurs pédophiles. Cathy en effet, recrute de toutes jeunes filles pour des hommes d'âges mûrs qui se réunissent dans un hôtel de luxe, et que ces soi-disant repas dans lesquels la maturité des jeunes filles doit être être évaluée, vont très vite déraper sur un autre terrain.
Des années après, en 2019, alors qu'un fichier de photos est retrouvé sur le net, la police lance un appel à témoins pour retrouver toutes celles qui ont été victimes des actions de cette fondation. Cléo, devenue adulte et danseuse, réalise alors tout le mal qu'on lui a fait, et celui qu'elle a fait...
Danser c'est apprendre à dissocier. Pieds poignards et poignets rubans. Puissance et langueur. Sourire en dépit d'une douleur persistante, sourire en dépit de la nausée, un effet secondaire des anit-inflammatoires.
Cléo...était une fugitive incapable de mesurer la gravité de ce qu'elle avait fait puisqu'elle n'avait pas conscience des actes qu'elle avait elle-même subis...
Cléo connaissait-elle l'origine du mot "pardonner"? Il se composait de "donner" (donare) et de "complètement" (per), c'était un acte d'abnégation totale que de pardonner. De renoncer à faire payer l'autre pour ce qu'il avait fait. Bien sûr, le passé était irréversible. Rien, aucun pardon ne pourrait défaire ce qui avait été.
L'auteur a peut-être voulu surfer sur la vague Me-too, comme on le lui a reproché mais, même si c'était le cas, elle nous offre ici un très beau roman qui montre à quel point il était facile en ce temps-là pour ces prédateurs sexuels, de trouver des victimes "consentantes" (jusqu'à un certain point). En effet le charme des différents protagonistes que les jeunes préadolescentes admirent forcément, les promesses qui correspondent à plus que leurs rêves (vu leur milieu familial d'origine), et l'emprise des adultes sur ces jeunes filles à peine pubères, tout est décrit de manière très réaliste ce qui nous choque encore davantage. La honte éprouvée par la plupart est garante de leur silence.
Une fois choisies, les jeunes filles prennent confiance en elles. Une fois devenues victimes, elles seront congédiées et pour s'assurer de leur silence, on fera tout pour les rendre complices à leur tour...C'est vraiment abject.
Le roman suit la vie de Cléo raconté par les différentes personnes qui l'ont connue. Le drame de Cléo sera double car non seulement elle a vécu le pire et ne pourra pas pendant des années mettre des mots sur les événements qui se sont enchainés mais en plus, elle culpabilise d'avoir elle-même joué la rabatteuse pour eux, ce qu'elle n'avait pas du tout réalisé à l'époque. En parallèle, le lecteur suit la voie d'autres victimes.
Lola Lafon décrit les faits sans jamais porter de jugement. Elle nous décrit les jeunes victimes avec beaucoup de finesse, chacune ayant comme Cloé des raisons de succomber, et tout en révélant les dessous de l'histoire elle explore pour nous les conditions de travail des danseuses. Elles sont soumises à des cadences inhumaines pour amuser des spectateurs friands de jolies filles et ne reçoivent que très peu de reconnaissance au fil de leur vie.
J'ai préféré la première moitié du roman. Dans la seconde, de nombreux personnages nouveaux apparaissent, ce sont des témoins importants de toute cette affaire mais à moment donné, cela m'a un peu perdue. Heureusement j'ai vite retrouvé le fil mais j'ai ressenti moins d'empathie pour ces nouvelles personnes que pour Cloé qui est au centre du récit.
L'affaire Galatée nous tend le miroir de nos malaises : ce n'est pas ce à quoi on nous oblige qui nous détruit, mais ce à quoi nous consentons qui nous ébrèche ; ces hontes minuscules, de consentir journellement à renforcer ce qu'on dénonce...