Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Depuis la naissance du petit et avec son travail, Rémi n’a plus le temps pour les tâches ménagères. Elles me reviennent de droit.
Heureusement, j’ai toujours mon rêve en tête et je réussis à devenir institutrice. « Votre mari a du beaucoup vous aider » me félicite-t-on, comme si une femme ne pouvait réussir seule. J’ai presque l’impression qu’on m’a offert mon diplôme car je suis une femme mariée avec un enfant, j’ai du mérite voyez-vous.
Depuis que je travaille, les tâches ménagères me reviennent toujours de droit. Pourquoi existe-t-il des tâches de femmes et des tâches d’hommes ? Qui a fixé les règles ?
Tu as tout pour être heureuse. tu vis dans une belle maison et tu as 2 enfants en bonne santé. Je ne vois pas de quoi tu te plains.
L'héroïne a trente ans, elle est désormais enseignante et s'est mariée. La famille s'est agrandie car le couple a deux enfants. Tout va bien en apparence dans sa vie. Son mari a fini ses études et il est à présent devenu cadre et gagne bien sa vie. Ils vivent à Annecy une jolie ville, dans un appartement agréable, pourtant, alors qu'elle a "tout pour être heureuse" elle se rend compte que jour après jour qu'elle prend de moins en moins de plaisir à vivre même si elle adore ses enfants et son travail. Son quotidien est une course permanente pour arriver à s'en sortir avec tout ce qu'elle a à faire. Son implication dans la vie domestique est trop forte (les courses, les enfants, les repas à préparer...), et se rajoute à son travail qui lui demande aussi des préparations et des corrections. De plus, son mari lui fait des reproches comme si elle n'en faisait pas assez, elle doit être parfaite alors qu'elle n'y arrive plus.
Dans les années 60, il fallait être une "superwoman". Mais elle se révolte en prenant conscience que les hommes ont tous les plaisirs, et les femmes si peu, alors qu'elle n'était en rien préparée à ça, ni par son éducation, ni par les figures féminines de sa famille. Sa mère lui a en effet toujours répété que par les études elle atteindrait la liberté mais elle, ce qu'elle vit mal, c'est la solitude et la surcharge de travail quotidien, c'est d'être une "femme gelée".
Au passage, l'autrice nous parle de son enfance, des années heureuses de son point de vue, malgré les punitions et les cris...et l'éducation rigide et simple qu'elle a reçue.
Ses parents étaient différents. Sa mère ne se laissait pas marcher sur les pieds. Elle avait beaucoup de responsabilité dans sa vie professionnelle puisqu'elle tenait un commerce. Elle lui a donné le goût de la lecture car elle aime lire et le goût des études. Son "père-enfant" comme elle aime l'appeler, faisait sa part en cuisinant, en s'occupant de sa fille qu'il adorait et cela était réciproque, il était tendre et aimant, émerveillé d'avoir une fille, affolé par ses retards, ses maladies, sa fragilité. Ses parents se partageaient donc sans problèmes, les différentes tâches domestiques ce qui surprenaient beaucoup ses copines de l'époque.
Alors bien entendu, rien ne la préparait à vivre ensuite une vie de frustration une fois mariée. Rien ne la prédisposait à devenir la femme qu'elle est devenue aujourd'hui.
Toutes les femmes de la famille ont été des femmes fortes, au caractère bien trempé, combatives et indépendantes.
Elle aussi va le devenir, bien malgré elle ! Pourquoi les femmes dans la grande majorité des cas sont celles qui ont renoncé à leurs rêves ?
Je suis née dans une famille pas comme les autres. C’est ce qu’on me dit en tout cas, je ne le ressens pas comme tel. Mes deux parents m’aiment, ça devrait être le principal. Mais non, les mêmes réflexions reviennent toujours. « Ton père épluche les patates ? », « C’est ta mère qui porte la culotte ! ». Oui, ma mère travaille et apporte l’autorité tandis que mon père revêt son tablier et se met au fourneau, et en quoi est-ce un problème ?
Je sais maintenant que l'attitude de ma mère était aussi un calcul. Pas parce qu'elle n'appartenait pas à la bourgeoisie qu'il faut tout lui passer. Voulait une fille qui ne prendrait pas comme elle le chemin de l'usine, qui dirait merde à tout le monde, aurait une vie libre, et l'instruction était pour elle ce merde et cette liberté. Alors ne rien exiger de moi qui puisse m'empêcher de réussir, pas de petits services et d'aide ménagère où s'enlise l'énergie. Ce qui compte c'est que cette réussite-là ne m'ait pas été interdite parce que j'étais une fille. Devenir quelqu'un ça n'avait pas de sexe pour mes parents.
Plus que ma grand-mère, mes tantes, images épisodiques, il y a celle qui les dépasse de cent coudées, la femme blanche dont la voix résonne en moi, qui m'enveloppe, ma mère. Comment, à vivre auprès d'elle, ne serais-je pas persuadée qu'il est glorieux d'être une femme, même que les femmes sont supérieures aux hommes. Elle est la force et la tempête, mais aussi la beauté, la curiosité des choses, figure de proue qui m'ouvre l'avenir et m'affirme qu'il ne faut jamais avoir peur de rien ni de personne. Une lutteuse contre tout..
Femmes fragiles et vaporeuses, fées aux mains douces, petits souffles de la maison qui font naître silencieusement l'ordre et la beauté, femmes sans voix, soumises, j'ai beau chercher, je n'en vois pas beaucoup dans le paysage de mon enfance.
Publiée en 1981, "la femme gelée" est le troisième roman d' Annie Ernaux si l'on considère les dates de publication.
Elle le dédie à "Philippe" son premier mari et père de ses deux enfants, alors que le couple est en plein divorce. Le thème central de ce texte écrit comme un journal intime, est bien celui de l'inégalité entre les hommes et les femmes dans notre société.
Je ne crois pas me tromper en disant que malgré les progrès effectués ces dernières années, ce roman autobiographique n'a pas pris une ride et que de nombreuses femmes même parmi les jeunes, s'y reconnaitront aisément.
C'est avec des mots simples que l'auteur nous offre ce beau récit, qui est quasiment une étude sociologique des années 60.
C'est une lecture féministe. Souvent, je repense à ce que je disais à mes copines dans les années 80 justement, quand elles se plaignaient du manque de participation de leur mari alors qu'elles travaillaient et n'arrivaient pas à mener de front vie professionnelle et vie au foyer. Sans entrer dans les détails personnels, je leur disais que c'était à elle de changer l'éducation de leurs garçons...mais à cette époque, elles-mêmes les maternaient trop, faisaient tout à leur place sans leur donner ni responsabilité, ni envie de devenir plus autonomes en ce qui concernait les choses matérielles.
En découvrant ce récit, les lecteurs pourront se questionner sur les avancées en matière de répartition des tâches, l'éducation des enfants, ce qu'on appelle aujourd'hui la "charge mentale"_ le travail domestique donc_ indispensable pour faire fonctionner la vie familiale.
On s'aperçoit très vite que l'émancipation des femmes a des limites, elles veulent travailler et certes les conjoints l'acceptent, mais rien ne doit changer pour autant dans leur vie, dans leur petit confort quotidien, dans leur liberté d'action. Les chiffres le montrent encore aujourd'hui, il n'y a aucune révolution dans la répartition des tâches quotidiennes, même si les jeunes générations partagent davantage c'est à la femme que revient toujours la plus lourde tâche à partir du moment où naissent les enfants.
Avec son style bien à elle, qui va droit au but, son écriture simple et sans fioriture, mais avec beaucoup de lucidité, et un certain recul qui rend ses propos universels, l'autrice nous offre encore une fois un texte très fort à lire et relire. J'ai aimé le relire. Ses doutes et ses interrogations sont très émouvants et ne peuvent que nous toucher.
Un roman autobiographique qui s'adresse donc à tous les femmes d'hier et d'aujourd'hui, jeunes ou plus âgées et à tous les hommes.
Je suis allée vers les garçons comme on part en voyage. Avec peur et curiosité. Je ne les connaissais pas. Je les avais laissés en train de me jeter des marrons au coin d'une rue en été, et des boules de neige à la sortie de l'école en hiver...
Bien sûr qu'elle était mystère pour moi l'autre moitié du monde, mais j'avais la foi, ce serait une fête. L'idée d'inégalité entre les garçons et moi, de différence autre que physique, je ne la connaissais pas vraiment pour ne l'avoir jamais vécue.
Qu'est-ce que tu fais de beau, où vas-tu en vacances, elle est mignonne ta robe, on ne sait pas de quoi parler avec une fille célibataire, tandis qu'un mari, des enfants, l'appartement, la machine à laver, ça meuble indéfiniment la conversation.
Parmi toutes les raisons que j'avais de vouloir grandir il y avait celle d'avoir le droit de lire tous les livres.