Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
L'institutrice s'employa donc à rassurer les jeunes filles sur la nouvelle épreuve qui les attendait et leur donna les derniers conseils :
-Présentez-vous poliment devant Monsieur l'inspecteur, et tenez-vous bien droite. Surtout soyez attentives à votre accent français, Mesdemoiselles ! Pour la lecture, le texte est très court. lisez lentement, prenez votre temps et respirez après les points.
Voici le premier livre que je lis de cette autrice qui habite ma région. Après avoir écrit deux romans (que je lirai et présenterai très bientôt), elle décide de partir explorer ses racines et de rechercher quelle a été la vie de ses deux grands-mères, toutes deux nées au début des années 1880.
Remontant le passé pour marcher dans leurs pas, l'autrice nous emmène au cœur de cette époque particulière que nous n'avons pas vécue et qui a marqué leur jeunesse, que les historiens appellent communément "la Belle époque". Malgré son nom, cette fin du XIX° siècle n'était pas une période si "belle" que ça pour la plupart des habitants de notre pays, surtout dans les campagnes, et encore plus pour les filles et les jeunes femmes.
Ce livre est donc à la fois un témoignage du passé, mais aussi une fiction car l'autrice a bien entendu comblé les manques.
Nous suivons Mathilde durant l'année 1892 alors qu'elle a 12 ans, habite à Ferrière-la-Grande dans le Nord de la France et qu'elle s'apprête à être présentée au Certificat d'études primaires. Elles ne seront que quatre jeunes filles à l'obtenir cette année-là. Puis, nous la retrouvons en 1896. Elle a seize ans, elle a poursuivi ses études dans une pension de jeunes filles mais commence à profiter de la vie, à participer à des fêtes. Elle a des doigts de fée et rêve de devenir couturière. Un jour, elle rencontre Eugène qui deviendra son mari...
Jeanne en 1894, vit en Côte d'Or à Arnay le Duc exactement. Elle est brillante en classe, adore lire et rêve de longues heures quand on lui laisse le temps de le faire. Elle aimerait beaucoup voyager... Mais le décès subi de son père ne lui permettra pas de poursuivre ses études. Pour survivre, sa mère en effet doit vendre la ferme à ses beaux-frères et ouvrir pour subsister une boutique de lingerie dont elle devra s'occuper avec ses deux filles. Jeanne doit donc revoir ses projets à la baisse...
Enfin, fiction ou réalité, Mathilde et Jeanne nous emmènent dans leur monde, dans leurs rêves de jeunes filles puis de jeunes femmes. Elles se croiseront ensuite à Paris lors de l'Exposition Universelle de 1900. Trente ans plus tard, le destin va les réunir à nouveau.
Les différentes parties du livre sont consacrées en alternance tantôt à l'une tantôt à l'autre.
Comment peut-on être à la fois malheureuse et gaie ? Avoir le coeur rempli de joie de retrouver ses parents tant aimés après de longues années de pensionnat et pourtant lourd de chagrin d'être séparée de ses compagnes. Les sentiments de Mathilde étaient si contrastés qu'elle en perdait presque le sommeil.
Jeanne entra ce jour-là, de fait et définitivement, dans le monde des adultes. Elle prit conscience pour la première fois, que dans cette société constituée par et pour les hommes, la femme, qu'elle soit fille, épouse ou mère, riche ou pauvre, bourgeoise ou paysanne, n'avait aucun droit, si ce n'est celui d'obéir, à Dieu ou au curé, à son père, à son époux, à son tuteur...Pourtant, la République, elle en avait étudié tous les principes, parlait d'égalité et de liberté.
Ce roman-témoignage, véritable biographie romancée, bâtie de manière classique, est un bel hommage aux deux-grands-mères de l'autrice qui apparaissent sur la page de couverture. C'est aussi un roman social et un roman du terroir qui laisse la part belle à l'histoire de notre pays et de nos campagnes.
Au delà de l'histoire personnelle, c'est un hommage à toutes les femmes de cette époque, à ces familles qui ont osé pousser leurs filles à étudier quand elles le pouvaient, puis les ont aidé à trouver du travail, seul gage de liberté pour s'émanciper.
C'est aussi un livre sur la transmission intergénérationnelle, l'importance de raconter à nos enfants puis à nos petits-enfants QUI ont été leurs ancêtres, ce qu'ils ont fait dans leur vie, POURQUOI et POUR QUOI ils se sont battus...
L'autrice s'est documentée sur l'histoire sociale de ces années-là. Mais ce que j'ai aimé dans ce texte simple, émouvant, bien écrit et qui se lit facilement, c'est de voir comment, alors que la vie ne leur a pas fait de cadeaux, elles ont su rebondir sans jamais ressentir ni amertume ni colère pour leur destin...car c'est avec fierté en effet qu'elles ont rempli leur rôle de mère et d'épouse sans se rebeller.
Une belle lecture que j'ai eu beaucoup de plaisir à découvrir même si l'enfance de mes deux grands-mères, venant d'un milieu plus que modeste, n'a rien à voir avec celles de Mathilde et Jeanne, j'ai aimé entrer dans leurs rêves de jeunes filles et de jeunes femmes et vivre un peu auprès d'elles de cette Belle époque révolue.
"Se tenir droite", comme cela était étrange, pensait-elle. Au collège, les soeurs de la Providence lui tenaient le même discours et elle n'en avait pas compris le sens véritable. Se tenir droite, cela signifiait faire face aux aléas de la vie, ne pas faillir et toujours regarder droit devant soi.