Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Dans les western, le théâtre que constitue l'artère principale est toujours vide, au vent près qui soulève la poussière. L'homme qu'on recherche est ailleurs, dans la plaine, dans les têtes.
Dans le western, où l'anarchie est naturelle, où c'est le calme qui doit s'imposer, quand la paix est figurée trop tôt, c'est mauvais signe. Repas autour du feu ou instruments à cordes sous les étoiles, qu'importe l'allégorie, rien n'est plus proche, faut-il entendre, que le combat.
Voilà un roman de la rentrée littéraire que j'ai pu emprunter lors du "Petit déjeuner littéraire" organisé par ma médiathèque. Je n'avais encore rien lu de cette autrice depuis dix ans qu'elle écrit et il était temps que je découvre sa plume !
L'auteur suit de près deux personnes différentes en apparence mais qui toutes deux ont fui leur vie quotidienne devenue trop étouffante. Bien entendu, vous vous en doutez, ces deux personnes vont de manière totalement improbable, se rencontrer.
Il y a d'abord Alexis Zagner, un acteur très connu même en dehors du milieu parisien, beau et sûr de lui, de son talent et de son charme. Il a peur, il pressent un événement important, "quelque chose qui va tomber", suite à des regards, des remarques qui l'angoissent mais rien de précis pour autant.
Le roman démarre alors que les comédiens l'attendent pour jouer la répétition générale de Dom Juan, dont il a le premier rôle, il ne se montre pas. Tous s'impatientent et vont découvrir qu'il a disparu, ni sa mère, ni Olivia sa femme qui vient de le quitter, ne savent où il est. Mais avant de partir il a, bon prince, écrit une lettre où il propose au metteur en scène de céder son rôle à sa collègue Diane, qui jouait Elvire, car il a découvert qu'elle était beaucoup moins bien payée que lui. Les associations féministes le portent au nu mais vont très vite déchanter.
Il y a aussi Aurore, qui élève seule Cosma, son jeune fils, et n'arrive plus à supporter sa vie quotidienne étouffante, ni ses amours, ni son travail. Elle est épuisée et profondément dépressive pour ne pas dire désespérée. Le décès de Sabine, sa mère, sera un déclencheur. Aurore va tout quitter pour aller, s'installer dans la maison où elle vivait, située au fin fond des Causses. Là elle va pouvoir se retrouver et grâce au télétravail continuer à gagner sa vie et à élever son fils qu'elle aime par dessus tout.
Un soir, un homme frappe à sa porte. Certes le chemin de Saint-Jacques n'est pas très loin et il y a beaucoup de passage, mais Aurore n'est pas très rassurée pour autant, elle ouvre. Le visiteur vous l'aurez deviné n'est autre qu'Alexis. Elle accepte qu'il reste une nuit mais quand elle lui demande de partir le lendemain, il lui apprend qu'en fait, cette maison lui appartient car Sabine la lui avait vendu en viager quelques mois avant sa mort prématurée. Le monde d'Aurore s'effondre.
Mais rien ne se passera comme prévu. Car pendant son absence parisienne les médias se sont emparés de son histoire, et Alexis va apprendre par la presse que la jeune Chloé, une jeune fille qu'il avait prise sous son aile pour l'aider à progresser au théâtre, et vous vous en doutez, plus encore, s'est suicidée. Il va être accusé de violence psychologique. Son heure de gloire est bien derrière lui.
Véritable passion ou abus de pouvoir ? Les messages brûlants échangés avec la jeune fille (les mêmes, au mot près, qu'il avait écrits à son épouse des années auparavant) sont publiés au grand jour.
Mais le lecteur le sait, et il en est révolté : malgré ses dires, Alexis Zagner, tout célèbre qu'il est, est un véritable Dom Juan dans la vie comme au théâtre. Il a vraiment détruit la petite Chloé. Quand il l'a rencontré un an auparavant, elle a cru en lui, il ne lui a pas laissé d'espace pour réfléchir à ses propres sentiments, ni de temps pour résister. Il lui a proposé son aide, pour ne pas dire qu'il la lui a imposée, puis il a tout fait pour la conquérir, pour enfin, la (re)jeter une fois arrivé à ses fins.
Le lecteur découvre le point de vue de tous ceux qui ont eu maille à partie avec l'acteur, Olivia sa femme, Elisabeth sa maîtresse, la mère de la jeune fille, ses collègues de travail.
La machine médiatique s'emballe, on entre dans la démesure. Les faits divers, le public adore et partout sur tout le territoire, ceux qui aimaient l'acteur, se mettent à détester l'homme...
Le déni doit être une phase de l'amour naissant. Elle ne voit pas quelqu'un qui se cache, elle veut voir quelqu'un qui veut rester et trouve en la peur un motif comme un autre. De quel gouffre cette peur est-elle le seuil, elle ne veut surtout pas le savoir, elle veut juste l'éteindre dans le huis clos des nuits conteuses, encore une fois.
Le problème avec la violence psychologique c'est qu'on peut. Le problème avec elle, c'est de lui avoir si longtemps donné d'autres noms. Comme passion, comme liberté. Le problème avec l'emprise c'est son synonyme, l'amour, et le problème avec lui, ce sont ses droits. Le problème avec la douleur c'est qu'elle veut faire savoir. Et alors le problème avec le scandale ce sont ses conséquences...
"je t'aime" est un chaton ceinturé d'explosifs qu'on prend dans ses bras et boum. L'idée de cette analyse est d'ouvrir le chaton en deux, qu'on en finisse. Nous invitant à détruire l'illusion d'un pacifisme du discours amoureux, l'article prétend dire enfin de quoi il retourne, dans une analyse en cinq temps de la performance néodomjuanesque : ravissement, contrainte, anéantissement, durcissement, abandon.
C'est un roman qui est bâti de manière tout à fait originale car on a vraiment l'impression d'être au théâtre et au cinéma à la fois. De temps en temps l'auteur répond à ses personnages, ce qui crée un décalage drôle nous permettant de casser le rythme et de se poser un instant pour réfléchir nous-aussi.
Les différents événements sont de véritables scènes filmées ou jouées. Le lecteur passe de la vie parisienne, avec les personnages qui sont restés là-bas à la vie à la campagne dans cette petite maison isolée, accrochée à la falaise. De plus, quand les personnages dialoguent et se livrent, on a vraiment l'impression de les voir jouer un rôle et d'être assis face à eux, comme au théâtre.
Mais au-delà de cet aspect tout à fait plaisant, c'est un roman dérangeant donc je suis incapable de dire si je l'ai aimé ou pas, d'ailleurs en vérité je n'ai pas vraiment envie de me poser la question, je suis contente de l'avoir lu même si je sais que je n'ai pas totalement apprécié ses digressions fréquentes, j'ai aimé son écriture et ses propos autour de cette histoire et le fait qu'elle ne prenne jamais partie, ne porte aucun jugement.
Elle nous décrit des faits, de manière étonnamment directe et parfois crue, chacun des protagonistes prenant la parole tour à tour pour expliquer à l'autre pourquoi il a fui, et ce qu'il a fui et le pourquoi de ses actes. L'auteur aborde des thèmes douloureux de notre société, le harcèlement moral, la souffrance au travail, la solitude amoureuse, la violence sexiste, le pouvoir des hommes, et le féminisme. L'auteur dénonce et nous laisse avec notre propre ressenti, nous passons de la révolte à l'empathie.
Car Alexis et Aurore se comprennent même s'ils n'avaient rien en commun au départ, tous les mots ne sont pas prononcés, tous les événements ne sont pas racontés en détails. Le lecteur suit leurs échanges, les voit s'attacher l'un à l'autre, avoir envie de mieux se connaitre jouer au je de "action" ou "vérité". Ces deux paumés vont arriver à se parler comme ils ne l'avaient jamais fait avec personne de leur entourage. L'auteur s'attarde sur les détails de leur vie pour nous montrer leurs failles et ce qui, à cause de la société d'aujourd'hui, les obligent à fuir après avoir trop longtemps jouer un rôle qui leur colle à la peau. Ils pensaient suivre leurs désirs mais ne sont que des acteurs dans un western qui ne font que passer et donc le spectateur ne devine pas toujours les intentions, ni où ils vont, ni qui ils sont.
Au lecteur de se faire une opinion sur cette société post #metoo telle qu'elle est décrite dans ce roman, violente, dérangeante, mais indispensable pour laisser libre cours à la parole. Les pages racontant les méthodes de drague d'Alexis, qui montrent l'emprise du prédateur sur sa victime sont criantes de réalisme et tout à fait révoltantes.
Comme dans un western, il ne peut y avoir d'un côté les méchants et de l'autre les gentils, c'est beaucoup plus compliqué dans la vraie vie...mais comme dans un western on retrouve les longs silences, la solitude du héros qui fuit parce qu'il n'a plus rien à perdre, la traque et la peur de mourir...
Une plume très littéraire, à la fois acérée, vive, tranchante, grave et cynique à la fois, à découvrir assurément.
J'entends par western un endroit de l'existence où l'on va jouer sa vie sur une décision, avec ou sans désinvolture, parce qu'il n'y a plus d'autre sens à l'existence que l'arbitraire.