Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Marie-Félicitée est mal à l'aise. Cette enfant, elle la porte comme une faute. Elle et sa mère sont à l'origine de la culpabilité qui la ronge et qui s'alourdit à mesure que les années passent...
Aurait-elle dû prendre personnellement Anne en charge jusqu'au retour de son père, essayer par tous les moyens de le mettre au courant ?
...elle imagine que seule la jalousie d'avoir à partager l'amour paternel l'a guidée, lui fournissant de mauvaises raisons pour éloigner Anne de Jeanne.
L'auteur aujourd'hui retraitée, est passionnée par la généalogie. C'est en faisant des recherches sur sa propre famille qu'elle a découvert par hasard qu'il y avait une enfant abandonnée dans sa lignée. Cela l'a émue et elle a voulu en savoir davantage sur cette petite fille, puis sur le devenir des enfants de l'Assistance Publique, à cette époque.
Au départ, elle voulait simplement transmettre le fruit de ses recherches à ses propres enfants mais peu à peu, à la lecture de ses écrits, ses proches l'ont convaincue de les éditer et d'en faire un roman.
J'ai eu la chance de la rencontrer lors de la journée passée à Siaugues Saint-Romain dont je vous ai parlé ICI. Sa sérénité, son sourire bienveillant et ses mots d'une grande modestie m'ont décidé à acheter son livre. J'ai été tellement touchée par la genèse de ce roman, et sa façon d'en parler, pour des raisons qui me sont personnelles, que j'ai complètement oublié de le faire dédicacer, c'est une fois rentrée à la maison que je l'ai réalisé. Mais qu'à cela ne tienne, lors de prochaines vacances je ne manquerai pas de la revoir, lors d'une autre rencontre d'auteurs de la région, pour me rattraper.
Ce roman est donc l'histoire de cette petite fille abandonnée, une histoire entre réalité et fiction car bien entendu, l'auteur a comblé les manques grâce à ses nombreuses recherches sur le sujet tant historiques, géographiques que sociales, mais aussi grâce à sa propre histoire familiale et à ses ancêtres qui ont marqué son enfance et lui ont permis d'engranger de nombreux souvenirs.
Le roman débute à la naissance de Tousinte. On la trouve devant la porte de l'Hôtel Dieu du Puy entourée dans une couverture, le 1er novembre 1806, d'où le nom qui lui sera donné avec cette orthographe approximative, tel que inscrit dans les registres de l'orphelinat.
Sa mère Jeanne est une toute jeune fille qui s'est enfui de sa propre famille. Elle a été aidée en arrivant en ville, par Marie-Félicitée, une sœur de l'Hôtel-Dieu. Cette dernière a eu pitié de sa jeunesse et lui a trouvé du travail chez son père afin d'aider Antoinette sa nourrice, maintenant vieillissante, à entretenir la maison. Le père de Marie-Félicitée, Thomas, malgré ses absences répétées n'a pas été insensible aux charmes de la jeune Jeanne, naïve et pure.
Marie-Félicitée va découvrir très vite le lien de parenté qui l'unit à ce bébé : la petite fille a elle aussi une marque de famille dans le dos comme sa soeur et son père. Elle ne peut laisser éclater la vérité et décide d'éloigner l'enfant au plus vite.
Tousinte est donc un tout petit bébé quand elle est confiée à un jeune couple, déjà parents qui demeure à Chanéac dans les montagnes des Hautes-Boutières, en Ardèche. Comme beaucoup, ils espèrent ainsi avoir un peu plus d'argent pour vivre. Le mari, Pierre, aurait préféré un garçon pour aider à la ferme en plus d'Antoine, leur fils ! Sa femme Françoise veut surtout tenir à distance sa belle-mère qui envahit trop sa vie en lui donnant une occupation supplémentaire. C'est eux deux qui se décide à faire le voyage jusqu'au Puy au lieu d'attendre qu'un porteur dont c'est le métier, le leur amène, transis de froid et déjà affaibli.
Le voyage est éprouvant pour eux qui n'ont jamais quitté leur petite ferme. Des Hautes-Boutières, il fallait à l'époque gravir les montagnes pour traverser Borée, puis rejoindre le Plateau du Mézenc aux Estables, se diriger vers Le Monastier, pour trouver une grange pour dormir. Le lendemain, il fallait redescendre tôt vers la Loire pour franchir la rivière à Coubon, grâce à un bac et gagner enfin la ville du Puy. C'était une véritable expédition surtout quand la burle se mettait à souffler ou que le brouillard masquait les chemins.
Heureusement, en chemin, ils découvrent d'autres paysages, d'autres méthodes de culture et d'autres traditions, comme le couvige qui réunit les femmes à la veillée, dont Françoise n'avait jamais entendu parler, et durant lequel les femmes réalisent la dentelle du Puy avec leur carreau.
Munie désormais de sa médaille numérotée qu'elle ne devra jamais quitter et habillée avec les vêtements fournis par l'Assistance publique qui la désigne aux yeux des autres comme différente, la petite Tousinte qui a été rebaptisée Anne par le couple, va grandir.
Chaque été, la famille est visitée par Marie-Félicitée en personne à laquelle par prudence l'Assistance publique adjoint Jacques un donat, qui saura éloigner les hommes malveillants. L'Assistance publique ne laissait pas les enfants sans surveillance afin de prévenir les maltraitances, et de les changer parfois de famille ou tout simplement pour comptabiliser les morts qui étaient nombreux en ce temps-là chez les enfants en bas-âge.
En 1813, sa famille d'accueil ayant vécu beaucoup de deuil, Anne bien que n'étant pas malheureuse chez eux, est placée chez Guillaume Armand qui espère ainsi aider sa femme à sortir de la mélancolie dans laquelle elle est tombée depuis la perte de leur unique enfant.
Elle va s'y épanouir...
Du haut de ses quinze ans, elle commence à attirer les convoitises. Son visage joyeux, sa jeune poitrine haut perché, son corps vigoureux ne laissent bien sûr pas les mâles indifférents.
Mais ces jeunes gens ne se lieront pas. Du moins légalement. Pas de dot. Pas de terres. Pas de bêtes. Pas de père. Pas de mère. Pas même un prénom officiel. Ses origines sont suspectes. C'est une enfant du péché . Venant dont ne sait où.
Anne ne possède rien de ce qu'il convient de posséder.
Ce roman est une réelle surprise. Non seulement il est bien écrit mais en plus l'histoire est prenante et émouvante, et c'est donc une belle découverte pour moi.
Il ne s'agit pas du tout d'après mois d'un roman du terroir, tel qu'on le définit habituellement mais si vous aimez en lire vous retrouverez dans ces pages beaucoup de ce que vous aimez dans ce type de roman car le lecteur apprend de nombreux éléments sur la vie paysanne et urbaine de cette région reculée de Haute-Loire et de la Haute-Ardèche durant le XIXe siècle et le début du XXe.
C'est pour moi avant tout un roman sociologique et historique qui traverse un siècle et demi de notre histoire et de l'histoire de la région.
C'est aussi un roman émouvant sur l'enfance abandonnée, parfois maltraitée, qui nous ouvre les yeux sur les moyens dérisoires mis en place pour suivre ces enfants et leur éducation, découvrir leurs conditions de vie souvent misérables jusqu'à ce qu'ils aient l'âge d'être placés voire de se marier, ce qui était rare.
Ce faisant, le lecteur s'attache à cette petite fille curieuse de tout qui mène bien entendu la même vie dure que celle de tous les enfants des fermes isolées à cette époque, dans une famille sous l'emprise totale de la religion. Elle n'ira pas à l'école car à cette époque, on n'y envoyait que les garçons et encore pas de manière régulière car ils devaient tous aider à la survie de la famille, aux travaux des champs, au travail quotidien auprès des animaux.
Les drames n'épargnent pas les familles ou les autres membres de la petite communauté. Les enfants meurent en bas âge, il n'y a pas de vaccins contre les maladies infantiles, et le froid extrême en ce temps-là, la toux, les virus hivernaux faisaient des ravages tant chez les adultes que chez les enfants. Les accidents de la vie quotidienne n'épargnaient personne.
Mais en ces temps difficiles, dans ces contrées reculées, la vie et le combat contre la mort qui plongeaient les gens dans le malheur, interdisant aux parents de trop s'attacher à leurs enfants, n'empêchaient pas de garder l'espoir grâce à leur foi et à une énergie vitale incroyable, au courage et à la volonté de ne jamais renoncer...
Ce roman montre bien à quel point c'était aussi une véritable aventure de voyager. Il fallait traverser la Loire sauvage dont les eaux tumultueuses n'étaient pas contraintes par des barrages successifs, à Coubon avec un bac et des passeurs, un lieu historique déjà emprunté du temps des Romains, braver le mauvais temps et les mauvaises rencontres surtout pour une femme.
Quitter son pays était déjà une aventure, tout comme avoir des enfants, les mettre au monde, les perdre souvent en bas âge, supporter le quotidien avec les conditions climatiques très rudes de la région, les récoltes qui ne viennent pas certaines années, la pauvreté, le manque d'instruction qui faisait que les femmes subissaient souvent l'influence des prêtres et de la religion. C'est eux qui lors des demandes de placement d'enfant dressaient un portrait de la famille plus ou moins flatteur selon sa fréquentation de l'église. C'étaient en effet les prêtres qui étaient les garants de la bonne moralité qui permettrait à la famille d'accueillir un enfant de l'assistance et en échange d'obtenir un petit pécule pour améliorer le quotidien puis de l'aide ensuite quand l'enfant grandirait...
C'est un livre émouvant que j'ai lu quasiment d'une traite tant je me suis attachée à la petite fille et tant je voulais savoir ce qui allait lui arriver, si elle allait un jour retrouver ou pas sa mère, connaître le secret de sa naissance.
L'écriture toute en finesse est très évocatrice, permettant au lecteur de s'immerger totalement dans la vie quotidienne de la petite Anne-Tousinte.
Le récit est divisé en chapitres qui débutent tous par une date, celle des visites annuelles de Marie-Félicitée. Malgré le côté répétitif, cela n'a rien de lassant car très vite je me suis surprise à attendre avec une certaine fébrilité l'année suivante.
Le roman est divisé en quatre parties inégales au point de vue du nombre de pages. La première partie correspondant à l'enfance de la petite fille, est bien entendu la plus importante. La dernière relate la vie de sa descendance jusqu'aux années 50 alors que les jolis petits hameaux ardéchois ont tous été désertés, l'appel d'un monde plus facile ayant fait son chemin et se termine avec les parents de l'auteur.
De nombreuses notes de bas de pages, permettent de comprendre certains mots de patois, ou de faire référence aux documents qui ont permis à l'auteur d'appuyer ses recherches personnelles, des recherches soit dit en passant d'une grande richesse au niveau historique et sociologique.
Enfin, une bibliographie permet de lister les ressources utilisées par l'auteur pour étayer son récit et un arbre généalogique accompagne le récit romancé, cependant je n'ai eu besoin de m'y référer qu'à la toute fin du récit.
Une âme charitable leur indique la béate en leur décrivant sa petite maison, l'assemblée, surplombée d'un clocheton et agrémentée d'une croix. Ils s'interrogent sur le crédit à donner à ce renseignement car ils ne connaissent pas de personnages semblable dans leur entourage.