Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...

Chagrin d'école / Daniel Pennac

Gallimard, 2007/ Folio 2009

Gallimard, 2007/ Folio 2009

Vous ne vous rendez pas compte, monsieur, j'ai douze ans et demi, et je n'ai rien fait.

Il faudrait inventer un temps particulier pour l'apprentissage...
pour que la connaissance ait une chance de s'incarner dans le présent d'un cours, il faut cesser d'y brandir le passé comme une honte et l'avenir comme un châtiment.

Terminons cette semaine de rentrée scolaire par la présentation de ce livre de Daniel Pennac à la fois roman, essai et autobiographie. L'auteur nous raconte son enfance marquée par l'échec scolaire et comment il a réussi à émerger de son état de "cancre" que les enseignants condamnaient par avance à un avenir incertain, pour devenir lui-même enseignant, puis écrivain.

Ce n'est pas un livre de plus sur l'école mais un livre centré sur l'élève en difficulté, sur le fait que ne comprenant pas, se retrouvant en échec, son comportement impacte non seulement celui des enseignants qui se sentent blessés, mais aussi celui de ses parents qui voulaient le meilleur pour lui, et se sentent coupables de ne pas y être arrivés. 

En ce qui concerne l'auteur, qui s'appuie sur son vécu, rien ne le prédisposait pourtant à vivre une telle enfance. Il est né dans une famille type pour l'époque, unie et ne connaissant pas de problème d'argent, ni autre problème particulier. Son père était polytechnicien et sa mère, aimante et dévouée, se consacrait à son foyer.  Il avait trois frères ainés, tous doués en classe. Lui, en tant que benjamin était donc "le vilain petit canard" de la famille. 

Dans ce livre, l'auteur aborde le point de vue et le ressenti de l'élève que les enseignants qualifiaient il n'y a pas si longtemps encore de "cancre". Il essaie en particulier de montrer en s'appuyant sur son vécu, mais aussi sur tous les élèves qu'il a connus quand il enseignait, qu'un "cancre" ne peut être réellement joyeux, même s'il en a l'apparence.  Au fond de lui, il souffre, part à l'école la peur au ventre, et son sourire, son insolence apparente ne sont que simple façade. Il développe le ressenti de ces élèves qui sont souvent victimes de préjugés, voire de harcèlement, alors qu'en fait ils sont malheureux, isolés et vivent dans la peur. 

L'auteur s'appuie aussi sur son propre vécu pour aborder la pédagogie, les dysfonctionnements de l'institution, la non-formation des enseignants quand il s'agit de faire face à des élèves en difficulté, mais aussi  la relation parents-profs, les parents d'élèves en échec étant particulièrement inquiets, susceptibles et à fleur de peau, car se sentant coupables et cela quel que soit leur milieu social. 

Il nous montre que pourtant, tous ces élèves que l'on appelle encore parfois les "mauvais élèves", ont une curiosité naturelle au début de leur scolarité, une soif d'apprendre et cela était vrai hier comme aujourd'hui. Ce n'est pas parce qu'ils ne comprennent pas qu'ils sont stupides. L'école ne laisse pas assez le droit aux enfants de ne pas comprendre, d'être plus lents que les autres, de se tromper, toute situation hors norme devenant très vite pénalisante. 

Au passage les médias en prennent aussi pour leur grade car ils sont responsables de l'image désastreuse que certaines personnes ont actuellement des jeunes de banlieues. L'auteur ne nie pas la réalité des reportages, ni le vécu des habitants, ni les difficultés des enseignants, mais il "refuse d'assimiler à ces images de violence extrême tous les adolescents de tous les quartiers en péril..."

 

Ce livre est plaisant à lire même si par moment le lecteur est catastrophé de voir ainsi des élèves "s'autodétruire", car ils sont entrés dans un engrenage et n'arrivent pas à en sortir. Mais ce n'est pas un livre triste car l'auteur nous livre de nombreuses anecdotes vécues lorsqu'il était enfant (et cancre) mais aussi certaines, issues de son vécu d'enseignant. Il montre à quel point les élèves, jeunes ou ados, sont prêts à tout pour être aimés tels qu'ils sont, mais aussi comment ils sont ensuite enfermés dans un rôle dont ils ont beaucoup de mal à se défaire, si personne ne leur tend la main. Il partage aussi de multiples expériences très intéressantes, vécues en classe qui peuvent paraitre idéalisées mais sont à découvrir et pourquoi pas à tester. 

C'est le second livre  (avec "Comme un roman" lu dès sa sortie mais jamais présenté sur le blog) où il dévoile son passé de cancre, un passé que le lecteur sent encore douloureux tant l'auteur a souffert dans son quotidien en classe et à la maison.

Maintenant qu'il a atteint la soixantaine, qu'il a enseigné pendant 25 ans et publié plusieurs livres, il  dit que c'est plus facile d'en parler, de se livrer, de faire remonter des souvenirs précis pour analyser le pourquoi de cette sorte de révolte, de l'enfermement qui a suivi, et de la difficulté de s'en sortir.

Il ne condamne pas les enseignants qui parfois perdent patience, emploient des mots qui font mal, se sentent eux-aussi mal aimés, mal reconnus, et mal formés, ni les parents qui font de même, car démunis, et blessent leurs enfants sans le vouloir, mais souvent durablement. 

Il a au contraire envie de remercier les enseignants qui ont cru en lui et en son avenir. Ceux qui savent encore aujourd'hui écouter les élèves en difficulté, les comprendre et les aider. Ceux qui n'ont pas perdu la foi et croient en leur métier et en l'humanité. Les enfants en difficulté sont des enfants qui ont peur et qui sont malheureux. 

En écrivant ce livre, en exhumant tous les bulletins, échanges avec ses parents quand il était en pension, il dit avoir enfin pris la mesure de leur angoisse et ressenti leur soulagement quand enfin il a eu un vrai métier. 

J'ai été frappée par le côté intemporel de ce livre qui a reçu le Prix Renaudot en 2007. Trop peu de choses ont changé depuis. L'auteur est même d'avant-garde quand il aborde le sujet de l'enfant-consommateur d'aujourd'hui en occident et des modifications de comportement que cela implique quant au savoir et à l'école...Mais je ne vais pas tout vous raconter pour vous laisser l'envie de le découvrir. 

Dans la société où nous vivons, un adolescent installé dans la conviction de sa nullité...est une proie.

Il existe cinq sortes d'enfants sur notre planète aujourd'hui : l'enfant client chez nous, l'enfant producteur sous d'autres cieux, ailleurs l'enfant soldat, l'enfant prostitué, et sur les panneaux incurvés du métro, l'enfant mourant dont l'image, périodiquement, penche sur notre lassitude le regard de la faim et de l'abandon.
Ce sont des enfants tous les cinq.
Instrumentalisés tous les cinq.

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
B
Il suffit parfois qu'un élève se sente soutenu, qu'on croit en lui pour que la spirale de l'échec cesse et que commence la métamorphose en papillon. Cela peut paraitre utopiste et pourtant... Un regard bienveillant peut faire des miracles. <br /> J'ai beaucoup aimé ce livre de Pennac :)
Répondre
F
Bonjour Manou.<br /> <br /> J'apprécie cette citation au début de ton article :<br /> "Il faudrait inventer un temps particulier pour l'apprentissage...pour que la connaissance ait une chance de s'incarner dans le présent d'un cours, il faut cesser d'y brandir le passé comme une honte et l'avenir comme un châtiment".<br /> <br /> Ce roman essai autobiographique de Daniel Pennac, je pense le commander prochainement car d'après ta présentation, il est riche en considérations révisées sur les élèves en difficultés. Un regard différent sur les "cancres"...<br /> Tout ce qui touche à l’enseignement et à la mission scolaire m'intéresse<br /> <br /> "Ce n'est pas parce qu'ils ne comprennent pas qu'ils sont stupides." ... en voilà une observation pertinente et que l'on devrait toujours avoir à l'esprit en tant que professeur, que parents ou condisciples écoliers.<br /> - Qu'est-ce qu'ils ne comprennent pas ? <br /> - Pourquoi ils ne comprennent pas ?<br /> - Que comprennent-ils et ont déjà compris que nous n’avons pas repéré ( Il peut y avoir des acquisitions faites, passées inaperçues... ) Il faudrait sans doute en tenir compte, pour, pédagogiquement, s'en servir comme base de rattrapage et d'encouragement, voire de d'échanges, renouvelant le dialogue entre maître et élève .<br /> Aller contre le négativisme, le défaitisme, c'est une nouvelle mission des maîtres et pas la moindre qui exige certainement une formation adaptée.<br /> Merci pour cette présentation.d'ouvrage. <br /> Amitiés des farfadets du Poitou.
Répondre
M
J'ai beaucoup lu cet auteur que j'apprecie beaucoup, mais pas ce livre là... le sujet m'intéresse... petite fille en tant que premiere de la classe indetronable hihi ... j'avais la chance d'aller faire des tests a l'ecole normal des garcons accolee a mon ecole, j'aimais bien les tests ... et ayant travaillé aupres d'enfants souffrants de handicap il y a quelques annees , j'ai pris un reel plaisir a les soutenir, les encourager , les feliciter...merci pour le partage Manou il y a tant à lire...Bisous
Répondre
E
Un livre qui m'attire par son sujet ! Bon lundi, bisous
Répondre
V
Je n'ai toujours pas lu ce livre mais ton beau billet me convainc. J'apprends tous les jours mon métier de prof et je sais que j'ai évolué depuis le début de ma carrière. Certains élèves ne sont tout simplement pas faits pour être assis des heures et des heures, tous les jours sur une chaise à écouter un prof. On ne prend pas assez cette donnée en compte et on ne nous donne pas souvent les moyens de changer les choses. Je pense sincèrement ne jamais parler "mal" à un élève, ne jamais le rabaisser mais je sais que de collègues le font encore.... Evidemment que chaque élève est une merveille dans un domaine !
Répondre
M
Merci... Je crois que c'est le premier de ma longue liste que je vais acheter
Répondre
R
Merci pour cette belle présentation. Je passe te souhaiter bonne fin de dimanche et bonne semaine a venir. Bisous bisous
Répondre
B
Je te remercie pour cette excellente chronique. Je n'ai pas encore lu ce livre. Je le note. On ne devrait jamais traiter un enfant de cancre, de lui dire qu'il n'est un "bon à rien" et j'en passe. Au contraire, il faut encourager les enfants, les ados, ils ont tous en eux quelque chose d'exceptionnel qui ne demande qu'à se révéler. Les professeurs, les parents, les éducateurs doivent les stimuler, leurs donner confiance en eux et en leur avenir.<br /> Douce fin de soirée Manou et doux dimanche à toi.<br /> Je t'embrasse très fort.<br /> Bernadette.
Répondre
C
On ne devrait jamais traité un enfant de cancre car ça peut le marquer à vie, mais lui apporter un peu plus d'attention et l'aider. Beaucoup de sois disons cancres ont bien réussis dans leur vie, une belle revanche. Bisous
Répondre
C
je l'ai écouté l'autre jour à la radio, nous parler de "son enfance" et son livre que je lirai m'en dira plus encore puisque tu le proposes si bien !<br /> amitié .
Répondre
E
Bonjour Manou. Je l'ai lu et apprécié à sa sortie. Comme le dit Marine, une seule personne bienveillante peut tout changer. Bisous
Répondre
T
Bonjour Manou<br /> J'avais lu ce "Pennac"-là à peu près en même temps que dasola, qui lui avait consacré un billet en 2007 (non sans que cela suscite de longs commentaires de la part de ses commentateurs enseignants). <br /> En tout cas, à l'époque (2006-2007), "l'affaire du voile" de Creil était plutôt lointaine, la vague d'attentats de la décennie suivante n'avait pas encore frappé, et aucun "cancre" je suppose n'aurait eu l'idée d'égorger un prof au motif que sa "culture" n'était pas respectée!<br /> Je ne sais pas comment, aujourd'hui, serait accueilli un livre tellement "optimiste", au fond (les cancres, ils peuvent "s'en sortir"!)... Les temps (2023) sont peut-être nettement plus durs qu'avant.<br /> (s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola
Répondre
M
Il n'y a pas loin du cancre à celui qui réussit, il suffit d'une seule personne qui a confiance en vous et sait dénicher la pépite !
Répondre
M
pour les repas on peut encore prendre français, mais pour les vêtements, outils etc, c'est difficile.....passe une bien agréable journée en ce samedi qui sera encore bien chaud, super....
Répondre
P
J'ai lu ce bouquin il y a quelques années. Je pense que, maintenant que je suis retraité, je ne le lirais plus. Inutile de revenir sur ces années passées. <br /> Bon weekend.
Répondre
M
Coucou un livre toujours d'actualité. L école a beaucoup changé, hélas oserais je dire, mais le problème subsiste. Bisous
Répondre
C
Bonjour Manou. J'ai laissé passer ce titre de Pennac. Je regrette d'autant plus que j'étais encore enseignante et que j'en aurais tiré profit. Je vais vite le commander chez notre nouvelle libraire lambescaine ! Merci
Répondre
M
Merci de ton passage ici Colette. Ce livre existe en poche bien entendu. Perso je l'ai trouvé cet été lors d'une foire aux livres dont je parlerai à la fin du mois. Bon weekend
C
un tellement vaste débat l'école ...............et moi qui travaille dans un lycée depuis 30 ans je trouve que beaucoup de gens "parlent"bien mais.....(!!!)....bref tu vois ...donc je ne lis pas (plus) ces livres<br /> bonne fin de journée à toi<br /> bisous<br /> patricia
Répondre
M
Comme j'ai des petits-enfants, je trouve que je dois rester "informée" même si je suis retraitée, et que ce livre ne date pas d'hier, nous parlons souvent de l'école avec mes enfants et même ma famille car nous avons été plusieurs à travailler dans l'enseignement, et pareil pour la nouvelle génération...Bisous et bon weekend
M
L'école n'est toujours pas adaptée à tous les enfants certain apprennent plus lentement que d'autres et pourtant ils finissent aussi par y arriver malheureusement d'autres n'ont pas cette force et décrochent à quand le changement sans jugement !<br /> Gros bisous et bon week-end<br /> Mitou
Répondre
M
On est bien d'accord, il y a beaucoup de choses à revoir pour laisser une chance à chacun de s'épanouir et d'apprendre...Bisous et bon weekend
B
Je l'ai lu à sa sortie et apprécié.<br /> Merci pour ta présentation pleine de justesse...<br /> Toujours d'actualité...<br /> Bisous Manou
Répondre