Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Vous ne vous rendez pas compte, monsieur, j'ai douze ans et demi, et je n'ai rien fait.
Il faudrait inventer un temps particulier pour l'apprentissage...
pour que la connaissance ait une chance de s'incarner dans le présent d'un cours, il faut cesser d'y brandir le passé comme une honte et l'avenir comme un châtiment.
Terminons cette semaine de rentrée scolaire par la présentation de ce livre de Daniel Pennac à la fois roman, essai et autobiographie. L'auteur nous raconte son enfance marquée par l'échec scolaire et comment il a réussi à émerger de son état de "cancre" que les enseignants condamnaient par avance à un avenir incertain, pour devenir lui-même enseignant, puis écrivain.
Ce n'est pas un livre de plus sur l'école mais un livre centré sur l'élève en difficulté, sur le fait que ne comprenant pas, se retrouvant en échec, son comportement impacte non seulement celui des enseignants qui se sentent blessés, mais aussi celui de ses parents qui voulaient le meilleur pour lui, et se sentent coupables de ne pas y être arrivés.
En ce qui concerne l'auteur, qui s'appuie sur son vécu, rien ne le prédisposait pourtant à vivre une telle enfance. Il est né dans une famille type pour l'époque, unie et ne connaissant pas de problème d'argent, ni autre problème particulier. Son père était polytechnicien et sa mère, aimante et dévouée, se consacrait à son foyer. Il avait trois frères ainés, tous doués en classe. Lui, en tant que benjamin était donc "le vilain petit canard" de la famille.
Dans ce livre, l'auteur aborde le point de vue et le ressenti de l'élève que les enseignants qualifiaient il n'y a pas si longtemps encore de "cancre". Il essaie en particulier de montrer en s'appuyant sur son vécu, mais aussi sur tous les élèves qu'il a connus quand il enseignait, qu'un "cancre" ne peut être réellement joyeux, même s'il en a l'apparence. Au fond de lui, il souffre, part à l'école la peur au ventre, et son sourire, son insolence apparente ne sont que simple façade. Il développe le ressenti de ces élèves qui sont souvent victimes de préjugés, voire de harcèlement, alors qu'en fait ils sont malheureux, isolés et vivent dans la peur.
L'auteur s'appuie aussi sur son propre vécu pour aborder la pédagogie, les dysfonctionnements de l'institution, la non-formation des enseignants quand il s'agit de faire face à des élèves en difficulté, mais aussi la relation parents-profs, les parents d'élèves en échec étant particulièrement inquiets, susceptibles et à fleur de peau, car se sentant coupables et cela quel que soit leur milieu social.
Il nous montre que pourtant, tous ces élèves que l'on appelle encore parfois les "mauvais élèves", ont une curiosité naturelle au début de leur scolarité, une soif d'apprendre et cela était vrai hier comme aujourd'hui. Ce n'est pas parce qu'ils ne comprennent pas qu'ils sont stupides. L'école ne laisse pas assez le droit aux enfants de ne pas comprendre, d'être plus lents que les autres, de se tromper, toute situation hors norme devenant très vite pénalisante.
Au passage les médias en prennent aussi pour leur grade car ils sont responsables de l'image désastreuse que certaines personnes ont actuellement des jeunes de banlieues. L'auteur ne nie pas la réalité des reportages, ni le vécu des habitants, ni les difficultés des enseignants, mais il "refuse d'assimiler à ces images de violence extrême tous les adolescents de tous les quartiers en péril..."
Ce livre est plaisant à lire même si par moment le lecteur est catastrophé de voir ainsi des élèves "s'autodétruire", car ils sont entrés dans un engrenage et n'arrivent pas à en sortir. Mais ce n'est pas un livre triste car l'auteur nous livre de nombreuses anecdotes vécues lorsqu'il était enfant (et cancre) mais aussi certaines, issues de son vécu d'enseignant. Il montre à quel point les élèves, jeunes ou ados, sont prêts à tout pour être aimés tels qu'ils sont, mais aussi comment ils sont ensuite enfermés dans un rôle dont ils ont beaucoup de mal à se défaire, si personne ne leur tend la main. Il partage aussi de multiples expériences très intéressantes, vécues en classe qui peuvent paraitre idéalisées mais sont à découvrir et pourquoi pas à tester.
C'est le second livre (avec "Comme un roman" lu dès sa sortie mais jamais présenté sur le blog) où il dévoile son passé de cancre, un passé que le lecteur sent encore douloureux tant l'auteur a souffert dans son quotidien en classe et à la maison.
Maintenant qu'il a atteint la soixantaine, qu'il a enseigné pendant 25 ans et publié plusieurs livres, il dit que c'est plus facile d'en parler, de se livrer, de faire remonter des souvenirs précis pour analyser le pourquoi de cette sorte de révolte, de l'enfermement qui a suivi, et de la difficulté de s'en sortir.
Il ne condamne pas les enseignants qui parfois perdent patience, emploient des mots qui font mal, se sentent eux-aussi mal aimés, mal reconnus, et mal formés, ni les parents qui font de même, car démunis, et blessent leurs enfants sans le vouloir, mais souvent durablement.
Il a au contraire envie de remercier les enseignants qui ont cru en lui et en son avenir. Ceux qui savent encore aujourd'hui écouter les élèves en difficulté, les comprendre et les aider. Ceux qui n'ont pas perdu la foi et croient en leur métier et en l'humanité. Les enfants en difficulté sont des enfants qui ont peur et qui sont malheureux.
En écrivant ce livre, en exhumant tous les bulletins, échanges avec ses parents quand il était en pension, il dit avoir enfin pris la mesure de leur angoisse et ressenti leur soulagement quand enfin il a eu un vrai métier.
J'ai été frappée par le côté intemporel de ce livre qui a reçu le Prix Renaudot en 2007. Trop peu de choses ont changé depuis. L'auteur est même d'avant-garde quand il aborde le sujet de l'enfant-consommateur d'aujourd'hui en occident et des modifications de comportement que cela implique quant au savoir et à l'école...Mais je ne vais pas tout vous raconter pour vous laisser l'envie de le découvrir.
Dans la société où nous vivons, un adolescent installé dans la conviction de sa nullité...est une proie.
Il existe cinq sortes d'enfants sur notre planète aujourd'hui : l'enfant client chez nous, l'enfant producteur sous d'autres cieux, ailleurs l'enfant soldat, l'enfant prostitué, et sur les panneaux incurvés du métro, l'enfant mourant dont l'image, périodiquement, penche sur notre lassitude le regard de la faim et de l'abandon.
Ce sont des enfants tous les cinq.
Instrumentalisés tous les cinq.