Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Ce n'était pas qu'elle détestait Mallard, c'était surtout qu'elle se sentait prise au piège de sa petitesse. Toute sa vie, elle avait foulé les mêmes chemins de terre, gravé ses initiales à l'intérieur de bureaux où sa mère s'était assise avant elle et, un jour, ses enfants passeraient à leur tour les doigts sur ces sillons irréguliers.
Son père était si clair de peau que, par certains matins glacials, elle pouvait voir le bleu de ses veines quand elle retournait son bras. Mais rien de tout cela n’avait fait de différence, le jour où les Blancs étaient venus le chercher, alors qu’est-ce que ça pouvait bien faire d’avoir le teint clair ?
Alors qu'elles ont seize ans à peine, les jumelles, Desiree et Stella Vignes, disparaissent de Mallard, leur petite ville natale (fictive), perdue dans le sud et même pas mentionnée sur une carte, laissant seule leur mère qui ne se doutait à aucun moment de leur fuite. Cette ville regroupe une communauté d'afro-américains, tous très clairs de peau, ce qui n'a pas empêché leur père de mourir brutalement, lynché par un groupe d'hommes blancs, sous les yeux de sa famille et de ses petites filles.
Toutes les deux sont à la fois différentes et inséparables, elles ne pouvaient pas faire autrement que de partir ensemble. Stella qui adore les mathématiques, rêvait de faire des études scientifiques et Desiree plus expansive, rêvait de faire du théâtre.
Quatorze ans après, Desiree revient seule auprès de sa mère. Les deux sœurs inséparables s'étaient rendues à la Nouvelle-Orléans, puis Stella a disparu un jour sans explication...et personne ne sait, même pas sa soeur, ce qu'elle est devenue depuis.
Desiree a eu une petite fille avec Sam, un homme très noir de peau et la petite Jude dénote au milieu de la ville. Elle s'est enfuie parce que Sam la battait. Il ne veut pas en rester là et la fait rechercher. Pour cela, il embauche Earl, un chasseur de prime, mais ce que Sam ignore, c'est celui-ci est originaire de Mallard et connait Desiree depuis son adolescence. Il en était même secrètement amoureux. Quand Earl retrouve sa trace et revient à Mallard, il retombe immédiatement sous le charme de la jeune femme. Quand il comprend que son mari la battait ce que Sam, en tant qu'avocat s'était bien gardé de lui dire, il renonce à son contrat pour la protéger et envoie son mari sur une fausse piste. Earl reviendra pendant des années la retrouver entre deux "recherches" d'autres personnes. Quant à Sam, il renonce et refait sa vie.
Alors qu'au départ Desiree comptait juste passer un peu de temps à Mallard, elle trouve du travail et reste auprès d'Adèle sa mère, qui n'a jamais cessé de les attendre. Jude grandit et n'a qu'une idée en tête, partir à son tour pour entreprendre des études loin d'ici où elle ne se sent pas acceptée. Devenue championne d'athlétisme, elle va obtenir une bourse et quitte donc la ville. Mais alors qu'elle travaille comme serveuse pour payer ses études de médecine, son destin va basculer : elle croise tout à fait par hasard, lors d'une soirée la copie conforme de sa mère, sa tante Stella !
Elle découvre aussi qu'elle a une cousine à la peau blanche, Kennedy.
Au départ elle les observe de loin, mais des années plus tard, quand elle recroise la route de Kennedy, qui est devenue actrice, elle ne peut s'empêcher de lui révéler la vérité. Stella a bâti sa vie sur un mensonge : elle est devenue une femme blanche...
Pas étonnant qu'il soit furieux. D'accord, il aimait rouler des mécaniques. Mais comment lui en vouloir sachant qu'il vivait dans un monde qui ne le respectait même pas en tant qu'homme ?
Mentir, elle savait faire. La seule différence entre le mensonge et le théâtre, c’était le public : dans un cas, il n’était pas au courant, dans l’autre, si ; mais au bout du compte il s’agissait toujours de jouer un rôle.
Dès le début du roman, j'ai été happée par l'histoire particulière de ces deux sœurs jumelles.
Bien entendu, l'auteur décrit très bien le racisme anti noir qui sévit encore dans le pays. Les gens évoluent lentement mais le racisme est très présent dans les propos et les réactions des gens, y compris dans la petite ville de Mallard et dans sa communauté de noirs à la peau claire.
Le roman alterne passé et présent, passe d'un personnage à l'autre, s'attarde sur l'un pour laisser le temps passer chez les autres.
Le personnage de Kennedy, blanche et blonde, capricieuse et trop gâtée qui, pour s'opposer à ses parents et surtout à sa mère, décide d'abandonner ses études pour devenir actrice, est vraiment caricatural. J'ai beaucoup apprécié par contre la jeune Jude qui entreprend des études de médecine, tout en vivant avec Reese et en travaillant comme serveuse.
Stella bien entendu, celle qui ose tout, qui trahit ses origines, sa famille est de loin le personnage le plus intéressant, on ne saura pas à la fin si elle continue ou pas à mentir à son mari, si Kennedy garde le secret ou pas.
Le rêve d'être quelqu'un d'autre est omniprésent : Kennedy rêve d'être différente de ce que ses parents lui imposent. Therese (devenue Reese), l'amie de Jude devient une autre personne...en changeant de genre. Stella devient blanche puisque les autres la voient blanche.
C'est un roman fort que j'ai lu avec plaisir malgré quelques longueurs et les digressions sur d'autres personnages qui ne sont pas au centre de l'histoire. Au delà du racisme, c'est un roman qui nous parle d'identité, de genre et du besoin de trouver sa juste place dans le monde pour être heureux et réaliser nos rêves.
Doit-on se conformer à ce que les autres voient ou attendent de nous ? Faut-il au contraire suivre ses propres rêves loin de l'environnement social ou familial ? La société nous le permet-elle ?
Pliée en deux, elle pleurait dans ses mains. Stella retourna s'asseoir à côté d'elle. Elle l'enlaça et regarda sa nuque, faisant semblant de ne pas voir les fils plus clairs entre ses cheveux noirs. Elle s'était toujours sentie plus âgée, même si c'était seulement de quelques minutes. Qui sait ce qui s'était passé pendant ces sept minutes où elles avaient été séparées ? Peut-être avaient-elles vécu une vie entière qui les avait placées chacune sur une voie différente. Qui leur avait révélé qui elles pouvaient être.
On croit qu'être unique, ça fait de soi quelqu'un d'exceptionnel. Non, ça fait juste quelqu'un de seul. Ce qui est exceptionnel, c'est d'être reconnu et accepté.