Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Elle frissonne...Tout ce qu'elle a fourré sous le tapis depuis des décennies ressort ces temps-ci, parce la solitude conduit inexorablement à l'introspection. La mise à l'arrêt d'aujourd'hui renvoie dans les méandres du passé ou invite à se projeter dans le futur. Et, pour Lucia, la vie est derrière plus que devant elle.
Quelle aurait-été sa vie si ses parents étaient restés là-bas ? Rafaella s'est tellement posé la question. Ici, en Europe, elle a dû trouver sa place de femme et de femme racisée, mais le chemin avait été tracé par d'autres. Au Congo, les femmes sont violées et mutilées chaque jour que Dieu fait, sous tous les prétextes. Le contrôle des terres riches donne lieu à des exactions permanentes, sous le regard passif des multinationales qui utilisent ces richesses-là, complices d'un massacre au nom du profit. Elle a toujours été bouleversée par cette réalité...
Je ne savais pas, en empruntant ce roman conseillé par ma médiathèque, que l'action se situait pendant le COVID, lors du premier confinement, en avril 2020, le 24 exactement. J'aurais sans doute hésité à l'emprunter, mais par chance, ce n'est pas le centre de l'histoire.
A noter, le roman se déroule sur une seule journée.
Elles sont huit femmes toutes différentes et de tous les âges dont une petite fille et une ourse. Elles habitent aux quatre coins du monde. Le lecteur les découvre dans leur univers durant le premier confinement et dans un ordre bien précis qui se répètera ensuite au fil du récit.
Le prologue nous met dans l'ambiance avec Ida qui appelle à l'aide la gendarmerie laquelle a besoin de preuves concrètes pour intervenir : sa voisine Kirsten est maltraitée par son mari et enfermée avec son bourreau. Nous sommes en Allemagne. C'est la voix de Kirsten qui va être entendue dans le roman. Celle d'Ida intervient entre les chapitres à travers des échanges de mails ou la transcription de communications téléphoniques.
Puis le lecteur fait la connaissance de Magali, conductrice de poids lourds qui assure le ravitaillement des populations et se rend en Espagne. Lors d'un arrêt Gloria s'introduit dans son camion, elle s'est sauvée et Magali va décider de l'aider.
Il a ensuite Lucia qui vit en Italie. A son âge (91 ans), elle se retrouve bien isolée loin des siens et apprend à communiquer avec eux par les réseaux sociaux.
Judy est la porte-parole du gouvernement américain. Elle s'est toujours battue pour ses convictions mais a des choses graves à se reprocher et son passé va la rattraper alors qu'elle doit se retrouver sur le devant de la scène médiatique lors d'une conférence de presse.
Il y a ensuite Numéro 9072 qui sera surnommée Xi Wang. On la découvre dans une situation dramatique enfermée dans une cage dans une ferme particulière quelque part en Chine. Je vous laisse découvrir son histoire, je vous dis juste qu'elle a été arrachée à sa mère alors qu'elle était tellement petite qu'elle ne se souvient plus de l'odeur de la forêt. Numéro 9072 est une ourse.
Puis Rafaella est infirmière et vit en Espagne. Elle travaille plus qu'il ne faut en ces temps perturbés. Très engagée, elle trouve le temps en parallèle de militer sur internet à travers son blog. Elle publie sous le pseudo d'Afro-Feminista Chica.
La petite Sahana est orpheline. Elle vit en Inde et a été recueillie dans un foyer en attendant que sa sœur puisse venir la chercher, mais maintenant qu'elle ne va plus à l'école, que le monde est en arrêt, elle s'ennuie et en plus les nouvelles ne sont pas bonnes pour elle. Mais heureusement elle a un ami, Ilango, et étant tous deux les plus grands du foyer, les Didis ferment les yeux et leur laissent un peu de liberté.
Et enfin Hayley qui est une chanteuse célèbre très engagée dans la cause des femmes battues. Elle vit en Angleterre avec sa famille, son mari et ses deux filles. C'est avec elle que se terminera le roman...une fin à laquelle on ne s'attend pas et que je ne vais pas vous dévoiler.
Toutes ont en commun, d'avoir vécu un événement marquant durant leur vie.
Hayley aimerait tant pouvoir absorber la tristesse qui vit en lui et dont il ne s'est jamais vraiment départi. Grandir dans ce système, c'est bâtir sur des ruines, se forger face aux vents contraires, se battre contre la peur de l'abandon, être marqué au fer rouge...
Ces images sont bien plus fortes que sa propre personne...elles ancrent la puissance de la musique et sa capacité à réunir les hommes. Les notes et les mots, comme un pied de nez à une crise inédite, comme un chant d'espoir, un cri du coeur. Ces images figent une époque, la réaction d'une nation, sa nation italienne, paralysée mais debout...
Voici un roman féministe et engagé qui nous parle de solidarité et d'humanité. C'est un roman entièrement tourné vers les femmes (quelques hommes petits ou adultes sont tout de même présents, je vous rassure). Interviennent aussi dans le roman des personnages secondaires qui ne sont pas moins importants pour l'histoire mais dont on ne connaitra pas (sauf pour Gloria) beaucoup de détails sur leur vie.
Je reprécise comme je l'ai dit en introduction, que si le confinement est bien la toile de fond du roman car donne toute sa dimension à l'histoire en impliquant une situation très particulière pour chacune d'entre elles, ce n'est pas du tout le centre de l'histoire. Il est bien entendu évoqué mais sait se faire oublier sinon je crois que j'aurais abandonné le roman tout de suite.
L'auteur aborde des thèmes forts et d'actualité encore aujourd'hui comme les violences conjugales, l'inceste, l'abandon, la prostitution...mais nous parle aussi de maltraitance animale, un combat cher à l'auteur. Certaines situations ont simplement été plus compliquées car exacerbées par le confinement, comme par exemple les violences conjugales. Heureusement des associations veillent et sont mises en valeur par l'auteur de manière très judicieuse je trouve.
Le ton est juste et le roman est plaisant à lire, rythmé par des chapitres courts dans lesquels alterne la voix de chacune. Cette construction n'a rien d'original et m'a rappelé "La tresse" de Laetitia Colombani puisque chacune des personnes est présentée puis on recommence dans le même ordre. C'est bien écrit et se lit facilement. Par contre les différents personnages n'auront pas forcément de liens entre eux, je ne vous en dirai pas davantage...
Le roman est parfois léger malgré le sujet, parfois plus difficile par les scènes évoquées, car la vie quotidienne de toutes ces femmes ne peut nous laisser indifférent(e)s. L'auteur sait cependant nous toucher au fil de l'histoire.
Toutes ces femmes ont des secrets, et le confinement qui les sépare des êtres aimés, les rend plus vulnérables tout en leur permettant d'avoir du temps pour faire une mise au point sur leur vie ce qui rend la situation encore plus difficile à vivre pour elles. Qu'elles nous soient sympathiques ou pas, que nous les trouvions pour certaines un peu caricaturales ou pas, elles ont des choses à nous dire...et du coup le lecteur aimerait en savoir davantage sur elles, savoir ce qu'elles deviennent, quelles décisions elles ont prises mais la fin laisse libre cours à notre interprétation personnelle.
Je ne connaissais cet auteur que de nom pour avoir entendu parler d'elle lors de la sortie de "La Révérence de l’éléphant" son huitième roman qui a été finaliste du Prix littéraire 30 millions d’amis et que j'avais noté pour le lire. Il était temps que je fasse sa connaissance.
Enfin, je terminerai ma chronique en disant que je classe ce roman dans les romans feel-good "qui font du bien" donc, et pour moi je rajouterai "parfaits à lire en vacances sans prise de tête, mais bien écrits" ce qui n'est pas le cas de tous les romans du genre. En effet, même si les sujets abordés et le contexte sont plutôt lourds, le fait que les personnages soient si humains, fait en effet du bien.
Je n'en lis pas souvent mais c'est reposant en cette période de l'année, et on rêverait tous volontiers d'un monde aussi solidaire et humain, d'un monde où l'humanité traverserait les frontières et les générations et prendrait en compte la souffrance animale.
Les fardeaux que l'on porte, on vit avec, mais ils ne nous définissent pas...