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Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...

Je vous écris dans le noir / Jean-Luc Seigle

Flammarion, 2015

Flammarion, 2015

Quand Pauline Dubuisson, étudiante en médecine, tue son ex-fiancé Félix Bailly, elle n’imagine pas qu’elle va provoquer par une sorte de ricochet du destin une autre mort, celle de son père qui se suicide après avoir appris son arrestation le lendemain du meurtre. A vingt et un ans, coupable de tout, elle est jetée en prison au lieu d'obtenir son diplôme de médecin. Elle passe trois ans plus tard, en 1953, devant les assises de Paris... Pauline devient la seule femme contre laquelle le ministère public, c'est à dire la société française, requiert la peine de mort pour un crime passionnel sans que cela n'émeuve personne à l'époque, pas même Simone de Beauvoir, qui pourtant aurait pu trouver là un bel exemple de vie de femmes saccagée par les hommes.

Le crime passionnel est un des rares crimes pardonnables, m'avait dit mon avocat. Mais personne ne voulait me pardonner. Ils voulaient tous faire la démonstration de mon goût pour le crime et pour le sang.

Encore une fois cette semaine je vous propose une lecture autour du père et de la relation père-fille cette fois-ci, mais pas que...

Ce livre nous parle de Pauline Dubuisson qui a défrayé la chronique dans les médias au début des années 50. Je n'étais pas  née ! 

"Pauline Dubuisson est connue pour avoir été au centre d'un fait divers des années 1950. Jugée en 1953 à Paris pour le meurtre de son ex- petit ami, Félix Bailly, elle a inspiré le personnage principal du film d'Henri-Georges Clouzot, La Vérité (1960). Son histoire fait également l'objet du téléfilm "La Petite Femelle", inspiré du récit de Philippe Jaenada, paru en 2015." nous dit Wikipédia.

Je ne savais rien de ce fait divers, j'avais juste vu passer sur la blogosphère ce titre que j'avais noté depuis longtemps pour le lire un jour, sachant que je ne connaissais pas du tout l'auteur qui est décédé en 2020. 

Dans le roman,  l'auteur ne cherche pas à raconter le fait divers tel qu'il a été commenté voire décortiqué en détails dans les médias, mais il se met dans la peau de cette jeune femme que la société de l'époque a condamné à mort.  Il veut l'écouter nous dire SA vérité, et tout en ne portant aucun jugement, et en ne reniant rien des faits qui lui sont reprochés, il nous plonge dans un témoignage d'une rare intensité émotionnelle.  

Un roman à découvrir qui a fait coulé beaucoup d'encre dans la presse et sur Babelio...

L'enfance fut donc bien un paradis dont je ne savais pas qu'il était écrit que nous devions tous en être chassés un jour pour être jetés dans les ronces de la vie réelle.

Dernière née d'une famille de quatre enfants, la petite Pauline se construit tout en vénérant son père et en étant prête à tout pour attirer ses regards et lui faire plaisir. Il l'élève comme un garçon. La mort durant la guerre de deux de ses frères finit par détruire la famille. 

Le père égoïste et opportuniste veut avant tout retrouver le bonheur familial mais surtout l'amour de sa femme devenue dépressive depuis les drames. Il est prêt à tout pour cela. De plus, il a des problèmes avec son entreprise. Il va sans toutefois le réaliser, se servir de sa fille pour arriver à ses fins. Elle est jolie, elle plait aux hommes plus âgés...

De plus, toute jeune adolescence, elle n'arrive pas à surmonter seule tout ce chamboulement familial et pour survivre à la perte de ses frères, à la dépression de sa mère, se trouver peut-être une raison de vivre ou tout simplement se sentir vivante, elle se donne à des hommes sans réfléchir et devient pour tous une fille facile... avec tout ce que cela sous-entend à cette époque. 

Elle est exclue du lycée à cause de son comportement qui dérange les bien-pensants. Pas d'aide psychologique en ce temps-là pour les ados en mal de vivre et, malgré ses résultats brillants et ses deux années d'avance, elle se retrouve exclue du monde.

Son père va alors la prendre en charge pour des motivations qui nous échappent mais que le lecteur comprendra plus tard. Il lui permet en la faisant travailler d'arrache-pied, d'obtenir son bac.

C'est la guerre et sous prétexte qu'elle est trop jeune et ne peut commencer ses études de médecine sans aucune expérience, il fait jouer ses relations pour la faire entrer comme infirmière dans un hôpital dirigé par un allemand. Elle devient très vite sa maîtresse. A la fin de la guerre, elle sera tondue, puis torturée et violée par tout un groupe de résistants déchainés qui veulent sa mort. Son père viendra la "sauver" in extremis. Elle restera meurtrie à jamais, trop jeune pour comprendre le pourquoi de tant de violence. 

Quand elle reprend ses études et rencontre Félix, elle ne supporte pas qu'il la quitte puis la rejette à cause de tout cela, qu'il se mette à la mépriser et la considère comme une fille facile, qui ne mérite plus de devenir sa femme, c'est pour le faire taire qu'elle le tuera.

Son père se suicidera quand il apprendra son geste et son arrestation. 

Après sa condamnation et sa libération anticipée, elle qui pensait laisser le passé derrière elle et vivre enfin tranquillement tout en s'occupant de sa mère, assiste avec effroi à la sortie du film de Clouzot dans lequel Brigitte Bardot incarne Pauline, la remettant au devant de la scène médiatique. Elle décide alors de quitter définitivement la France pour le Maroc où elle espère commencer une nouvelle vie. Elle a changé de prénom mais le drame la poursuit.

Là-bas, elle rencontre Jean, elle l'aime mais lui, lui demande de l'épouser. Il ne sait pas qu'elle est en train de revivre ce qui, des années auparavant l'a conduite jusqu'au crime. Choisira-t-elle de ne rien lui dire puisqu'il ne sait rien de son passé ou bien de faire émerger la vérité au grand jour, celle qu'elle n'a jamais dévoilée même lors de son procès ?

Je voulais sentir des baisers chauds contre les baisers de marbre sur le front des morts qui avaient anesthésié mes lèvres, je voulais sentir des étreintes brûlantes et puissantes contre cette fatalité inacceptable de ne plus jamais serrer vivants mes frères contre moi...

L'auteur retrace la vie de Pauline en écrivant un roman à la première personne ce qui est une véritable prouesse littéraire pour un homme. 

Il met une juste distance dans ses propos même lorsqu'il nous parle de l'horreur de l'après-guerre, il redonne une certaine dignité à cette héroïne malgré elle, si seule que le lecteur ne peut que chercher lui aussi à comprendre comment elle a pu, elle qui était si brillante, intelligente et amoureuse de la vie, en arriver là, à devenir une criminelle et à être incapable de se défendre pour expliquer son geste.  

L'auteur nous fait donc entrevoir une autre vérité, celle qui n'avait pas été retenue lors du procès. Il montre à quel point tout le monde s'est acharné sur elle qui n'avait pas prémédité son geste, et l'horreur de ce qu'elle avait vécu adolescente pendant la guerre avec ses conséquences psychologiques.

Bien entendu qu'elle est coupable de son crime et tout le long de ce roman le lecteur ne l'oublie pas mais c'était une autre époque, et il est intéressant de se demander comment elle serait jugée aujourd'hui alors que les femmes prennent enfin la parole pour dire ce qu'en ce temps-là, elles ne pouvaient que taire. 

Pauline Dubuisson a écrit dans des cahiers qui n'ont jamais été retrouvés, mais de nombreux témoins comme sa voisine au Maroc l'ont attesté. L'auteur imagine donc dans ce livre ce qu'elle avait écrit à l'intérieur sans doute pour enfin dire la vérité à celui qu'elle aimait... avant de se suicider.

Le lecteur découvre les raisons qui ont poussé cette jeune femme au crime et les souffrances et humiliations qu'elle a subies. Les faits sont vérifiés et l'auteur s'est considérablement documenté avant d'écrire son roman. Bien entendu, il a interprété le ressenti de cette jeune femme car elle-même ne laissait jamais rien paraître.

C'est un livre qui ne peut laisser personne indifférent, il est à la fois troublant et dérangeant car le lecteur se pose beaucoup de questions tout au long de sa lecture et certaines resteront sans réponse. C'est un roman qui montre bien que la Justice même si elle fait tout ce qui est en son pouvoir pour faire appliquer les lois, est influencée par la société et l'époque pour livrer son verdict. Il montre bien aussi que même si les personnes condamnées ont payé leur dette envers la société, elles sont poursuivies pour le restant de leur vie par leurs actes et ne peuvent pas sereinement reprendre une vie normale.

Ce roman a reçu le Prix Charles-Exbrayat en 2015, puis le Grand prix des lectrices de Elle, le Prix littéraire de la Ville de Caen et le Prix des lycéens en 2016. 

 

Ils seraient sûrement ravis de savoir qu'au fond ils ont réussi leur coup : que j'ai bien été condamnée à mort, à une mort lente où chaque jour est une marche supplémentaire à gravir, que je me fais de plus en plus lourde avec le temps, que l'escalier qu'il faut monter est vermoulu et qu'à chaque pas tout peut s'effondrer et m'écraser sous les décombres.

En écoutant Mozart je ne peux m'empêcher de me dire que les hommes ont toujours fait des choses magnifiques pour les morts bien plus que pour les vivants...

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G
J'en ai beaucoup entendu parler, mais pas lu.
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G
Je ne connais ni l'auteur ni le fait divers... mais ce roman pourrait tout de même bien m'intéresser.
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E
C'est trop noir, je vais faire des cauchemars ! Bon lundi, bisous
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T
Quand un roman s'empare d'un personnage au destin dramatique, bourreau ou victime, et sous son nom véritable, la matière est toujours délicate Cela me met parfois mal à l'aise. Cette femme s'est exilée pour échapper aux médias, aujourd'hui les réseaux sociaux augmentent encore la pression médiatique et l'acharnement.
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F
" L’œil était dans la tombe et regardait Caïn"... le passé nous poursuit, surtout s'il est entaché par "l'effroyable"... L'âme humaine est une réalité que l'on prend bien trop à la légère, même en la soumettant aux examens introspectifs de la psychologie.<br /> En fait, l'application de la justice face aux crimes de sang est pour le commun des mortels, sujet à passions et ce, quelle que soit l'époque. <br /> Jugement à l'emporte-pièce des personnes lambda aveuglées par l'inacceptable criminalité. Il y a donc le regard de la société d'une part et celui de notre conscience face à nos actes, d'autre part. On échappe pas à leurs imprégnation qui persiste dans le temps. Causes ... effets... rien ne s'efface. Oui, cette lecture doit être bouleversante et susciter bien des questions d'ordre éthique mais aussi sur les âpretés que comportent les existences de certains d'entre-nous.<br /> Merci pour cette présentation explicite invitant à la lecture.<br /> Amitiés des Farfadets du Poitou.
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B
Effectivement c'était une autre époque, qu'en serait-il aujourd'hui ? C'est une très bonne question.
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L
Je suis comme toi, je n'étais pas née mais en plus je n'ai jamais entendu parler de ce fait divers. Merci pour ton partage.<br /> <br /> Beau samedi. Bisous !<br /> Lavandine<br /> <br /> Article du 23 juin :<br /> https://auboutdelalorgnettelavietoutsimplement.fr/bons-baisers-d-epoisses-20/
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M
nous y sommes allés il y a déjà quelques années avec un groupe, donc en car....mais le monde est par endroits bien sûr, mais rien ne nous empêche d'aller et venir à notre guise....passe une bien agréable journée
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C
je ne connais pas cette histoire, je n'étais pas née non plus, pas sur que cela me tente. merci pour ton commentaire sur mon petit gateau, cela me touche beaucoup. bises.celine
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P
Ecrire dans le noir, ça ne doit pas être simple ! <br /> Je ne connais pas ce fait divers non plus. Je n'étais pas né non plus ! <br /> "La petite femelle", j'en ai entendu parler, mais je n'ai pas lu. <br /> Bon weekend.
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G
Beaucoup d'histoires dramatiques <br /> On vit un drôle de monde <br /> PARFOIS on aide à l'autre bout de la planète et on ignore son voisin <br /> Bonne soirée Manou<br /> Merci
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A
Un livre à lire, certainement ! Les romans nous apprennent tant sur la vie. Bises
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E
Un livre magnifique que tu exposes vraiment bien.Je ne connaissais pas cette affaire .<br /> Il est vraiment triste que personne n'ait pu l'aider , la comprendre , sa vie aura été un enfer ! Heureusemnt , les temps ont changé , et même si la société est parfois cruelle , les femmes ont acquis une reconnaissance .<br /> Tu me donnes envie de le lire .<br /> Douce soirée, bises Manou
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R
this sounds like a somewhat tragic story. HUGS
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M
Triste histoire, trop poignante pour moi mais ta chronique riche et passionnante donne vraiment envie de lire ce livre !<br /> Bises Manou
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M
Tu me donnes vraiment envie de lire ce livre
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F
Je n'ai jamais entendu parler de cette femme , mais son histoire est dramatique.Je pense qu'on pardonnait plus facilement aux hommes, les crimes passionnels . . Bon week end
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L
Je ne connaissais pas ce fait divers (je n'étais pas née non plus) ni le film<br /> Je n'aime plus trop lire de livres avec des crimes ou des violences, mais celui-ci, tu m'as donné envie de le lire. Sans doute qu'aujourd'hui, l'affaire serait jugée différemment<br /> Bisous et bon week-end
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C
On devrait toujours se demander qui on est pour juger ...<br /> Tu as raison de souligner oh combien les "modes éthiques, morales " d'une société peuvent influencer la justice ... et si dans nos sociétés cela a un peu évolué, il est encore à ce jour dans une partie du monde bien des "injustices" produites à l'égard des femmes ...<br /> amitié .
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V
J'avais vu le film la vérité sans savoir que c'était une histoire vraie. je note ce livre qui doit être intéressant, merci. gros bisous Manou. cathy
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