Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Elle ne le sait pas mais le quartier d'Hamilton Creek est un endroit particulier. Il y avait une source, avant, et les aborigènes lui prêtaient des pouvoirs magiques. Hamilton Creek portait alors un autre nom. Il signifiait "le lieu d'où les morts ne partent pas".
En effet d'ici les morts ne partent pas toujours. Certains restent pour veiller sur les vivants, et parfois leur viennent en aide.
Continuons la semaine avec ce roman qui se passe dans un lieu un peu magique, puisqu'il s'agit d'un jardin créé en bordure du désert australien.
Il nous raconte le destin de deux femmes à des décennies d'écart qui ont eu la volonté de créer quelque chose d'impossible qu'on leur prédisait irréalisable et d'aller au bout de leur projet.
La première Ann est australienne et a vécu dans les années 30. En désaccord complet avec sa famille et son éducation bourgeoise, elle décide de quitter Sidney pour épouser Justin Callaghan, le fils du riche propriétaire des mines de bauxite de la petite ville imaginaire de Salinasburg, dont la famille est d'origine irlandaise, et vivre avec lui dans ce coin perdu de l'Australie. Là, elle va concevoir un projet fou : créer un magnifique jardin en acclimatant des plantes qui ne poussent pas dans la région et en faisant des recherches sur les hybridations. Elle tient jour après jour une sorte de journal de bord dans lequel elle annote toutes ses observations et tentatives. Li-Peng son fidèle assistant fait tout pour l'aider à réaliser ce rêve fou. Mais alors qu'elle est heureuse dans sa maison de bois, les difficultés s'accumulent dans ce coin de l'Australie proche du bush. Le minerai se fait rare...
Des décennies après, Fréderic qui est médecin et Valérie qui travaille dans l'art, tombent sous le charme de la maison d'Ann et Justin et s'y installent. C'est là que leur petite fille Elena vient au monde. Tous deux se consacrent à leur travail qui pour Valérie est aussi une passion puisque c'est dans ce but qu'elle a quitté la France pour s'y installer. Elle veut créer un festival d'art contemporain en plein désert, qui va être mondialement connu, loin des lieux habituels à succès.
Mais Elena, à trois ans, ne parle toujours pas et ils sont obligés de consulter un psychologue qui va peu à peu ouvrir les yeux de Valérie sur son passé, sur son enfance dans les quartiers nord de Marseille, sur sa famille d'immigrés italiens, turcs et macédoniens et tout ce qu'elle a laissé derrière elle comme eux l'avaient vécu bien avant sa naissance, lorsqu'ils ont débarqué dans le port de Marseille, sans bagages et avec leurs seuls souvenirs en poche.
Pour se détendre, elle se met à défricher le jardin avec l'aide de sa petite Eléna. Là, avec sa petite fille, dans ce jardin du bout du monde, et au fur et à mesure qu'elle découvre les anciennes plantations, elle a l'impression que quelqu'un veille sur elles deux...
Un jour, je me souviens, le prêtre de l'église irlandaise a suggéré que par les épreuves amoncelées sur mon chemin, le Tout-Puissant voulait m'avertir : je n'aurais pas dû désirer une autre existence que celle pour laquelle j'étais née.
Frederic vient d'une région figée pour l'éternité. Il m'y a emmenée quand on rentrait de temps en temps en France. Une petite ville proprette traversée d'une rivière. Rien à dire...Dans la grande maison des parents de Frédéric, le moindre meuble est à sa place et les repas en famille se déroule toujours de la même façon.
J'ai dit à Fréderic que jamais je ne donnerai l'impression d'avoir honte de ma condition d'immigrée en Australie.
Quelque chose m'avait foudroyée. Une panique venue du fond du siècle, surgie intacte de ce jour où ils étaient descendus du bateau à Marseille, quand ils s'étaient retrouvés dans un pays dont ils ne connaissaient pas le premier mot.
Ce roman est très beau et j'ai aimé découvrir le destin de ces deux femmes, tellement différentes d'une époque à l'autre mais si proche car elles ont en commun d'avoir laissé leur famille derrière elle, d'aimer ce lieu magique, leur jardin et tout ce qui l'entoure.
Elles ont également en commun d'avoir voulu s'affranchir des conventions et de leur famille, s'émanciper sans tenir compte de l'avis de leurs proches qui voulaient leur imposer un mode de vie qui ne leur convenait pas, et les croyaient incapable de penser par elles-mêmes. Ce jardin devient le symbole de leur liberté, de leur indépendance conquise à force de travailler. Toutes deux sont considérées par les habitants comme deux originales un peu dérangées, mais il faut le noter, elles sont fortement soutenues par leur mari.
J'ai trouvé émouvant de penser que le combat de l'une dans les années 30 va aider l'autre, des années après, à continuer le chemin vers une plus grande liberté. Ann s'est battu pour mener à bien son projet au lieu de rester une potiche de salon, qui papote autour d'une tasse de thé, Valérie devra se battre pour faire entrer la culture aborigène dans son festival et la faire accepter par les critiques d'art.
Les chapitres alternent la voix des deux femmes et peu à peu le lecteur apprend à les connaître, tout en découvrant leur passion, leur vie quotidienne, leur famille.
Le roman est aussi prétexte à nous faire voyager en imagination en Australie et mieux connaître la vie et la culture des aborigènes aujourd'hui.
J'ai découvert avec plaisir la plume de cet auteur que je ne connaissais pas du tout grâce à Hélène, dont vous pouvez aller lire la chronique ICI, sur son blog.
Pour info ce roman a obtenu le prix Rosine Perrier en 2020.
Ma vie aurait-elle été différente si je m'étais occupée d'art plutôt que d'agriculture ? Je ne crois pas. Ma vie était vouée à faire naufrage, j'en suis certaine, j'étais venue sur terre pour tout rater, par stupidité, arrogance ou aveuglement, et mes regrets aujourd'hui s'accumulent tant que je peux les compter.